La crise de l’inflation : l’inflation, c’est quoi ? [1/3]

Auteur(s)
Pierre Lécot, pour FranceSoir
Publié le 20 octobre 2022 - 14:00
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Billet / Inflation
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Qu’est-ce que l’inflation ?
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TRIBUNE - La crise économique tant attendue arrive. Cela tombe bien, celle de la pandémie commence à ennuyer tout le monde. La crise dont il faut avoir peur aujourd’hui et dont vont nous sauver nos chers décideurs, grâce à leurs mesures miracles, est celle de l’effondrement économique. La courbe de l’horreur n’est plus celle du nombre de cas positifs, mais celle de l’inflation. Nous allons voir dans une série de trois articles si la courbe de l’inflation est aussi fiable que celle des tests RT-PCR, et si les mesures économiques de nos dirigeants seront aussi chères et aussi efficaces que les mesures sanitaires. Je vous invite à me dire qui est le plus mauvais entre un expert en économie et un expert en santé : moi, je n’arrive pas à trancher. Nous allons voir dans cet article ce qu’est l’inflation, la manière dont cet indicateur est construit, ses limites, et la différence entre l’indicateur et ce que vivent réellement les gens. Dans le deuxième article, nous verrons ce qui cause l’inflation et dans le troisième, nous verrons si c’est vraiment « l’inflation » qu’il faut combattre ou s’il vaut mieux l’accompagner, par exemple en augmentant les salaires.

Voir aussi : "L'inflation, c'est quoi ? La crise de l'inflation # épisode 1"

Qu’est-ce que l’inflation ?

On l’aura compris en écoutant la télé, la radio, ou en lisant les journaux : l’inflation, c’est mal. On doit tous être contre l’inflation. Personne n’explique ce que c’est, mais on nous assène qu’il faut la combattre. Il faut dire que depuis deux ans, on a pris l’habitude de se battre contre des ennemis invisibles et contre des indicateurs. D'ici à l'arrivée de la solution miracle ou de la fin du monde, passons quelques instants à comprendre l’inflation. On ne sait jamais, ça pourrait servir.

L’inflation est définie par le Larousse comme « situation ou phénomène caractérisé par une hausse généralisée et continue du niveau des prix ». On doit déjà se poser plusieurs questions sur cette définition, qui est assez loin de ce que les instituts peuvent mesurer et présenter.

Depuis la page d’accueil du site de l’Insee, on voit apparaître un bandeau contenant les indicateurs stars de l’institut et notamment la fameuse « inflation ». À l’heure de l’écriture de ces lignes, il est écrit « + 5,6 % ». Ce qui ne veut en soi rien dire si on ne sait pas par rapport à quoi, ni sur quelle période.

Les plus curieux d’entre nous feront l’effort de passer la souris au-dessus de ce pourcentage, pour voir apparaître un pop-up : « Inflation (glissement annuel) en septembre 2022 ». Cela nous permet de savoir que ce « + 5,6 % » a été mesuré en septembre 2022 et correspond à l’augmentation de quelque chose par rapport à septembre 2021. Si ce quelque chose coûtait 100 euros en septembre 2021, il coûte désormais 105,6 euros en septembre 2022. L’inflation de 5,6 % ne renseigne pas sur ce qui est arrivé récemment, mais sur une augmentation étalée sur un an. Si vous voulez savoir ce qui se passe ces derniers mois, il faudra regarder un autre indicateur.

Maintenant que nous avons compris la période de comparaison (on regarde des prix sur un mois et on les compare par rapport au même mois l’année d’avant), il reste à comprendre de quels prix il est question. Pour cela, il faut nous intéresser à l’indice des prix et à ce qu’il représente.

L’indice des prix reflète-t-il la réalité ?

En France, ce qu’on appelle « inflation » est calculé par l’Insee au moyen de l’Indice des Prix à la Consommation (IPC). On dit qu’il y a inflation lorsque cet indicateur augmente. Cet indicateur est construit à partir de nombreux prix. Contrairement à la définition du Larousse, on peut dire qu’il y a « inflation » lorsque seulement certains prix augmentent et pas tous. Il suffit qu’une partie des prix augmente pour faire augmenter l’IPC et pouvoir conclure à l’inflation. Il peut même y avoir certains prix qui baissent au même moment et avoir quand même une inflation.

Le nombre de prix relevés chaque mois par l’Insee pour calculer l’indice des prix est énorme. Ces relevés couvrent presque complètement les achats des Français :

-        les grandes enseignes sont obligées de fournir à l’Insee tous les tickets de caisse. Cela représente 80 millions de prix chaque mois ;

-        1 000 enquêteurs de l’Insee se déplacent chaque mois dans 30 000 points de ventre pour recueillir 160 000 prix ;

-        500 000 prix sont relevés automatiquement sur Internet ;

-        toutes les dépenses d’assurance maladie, les prix des carburants, de l’énergie sont connus grâce à des sources administratives ;

-        les loyers sont connus grâce à deux enquêtes spécifiques, l’une pour le parc privé et l’autre pour les bailleurs sociaux.

En conclusion, on peut et on doit critiquer le calcul de l’inflation, mais très clairement, il n’y a aucun problème de qualité des relevés ou de remontée des données. Tout est toujours améliorable, mais le niveau de précision est aujourd’hui excellent. Il y a pourtant des différences profondes entre l’inflation calculée par l’Insee et ce que peuvent ressentir les gens. Cela n’a rien à voir avec la qualité des relevés des prix, mais avec la définition de l’indice des prix à la consommation. Nous allons détailler ici deux aspects qui expliquent cette différence.

Le premier aspect est qu’il y a certains objets qui évoluent au fur et à mesure des innovations technologiques. Par exemple le célèbre téléphone portable Nokia 3310 a été mis sur le marché en l’an 2000 autour de 300 euros. C’était une révolution à l’époque. Aujourd’hui acheter un Nokia 3310 coûte 25 euros. Et encore, c’est probablement surpayé, et pour les nostalgiques. Mais puisque l’Insee compare l’évolution des prix du même produit, elle va déduire que le prix de ce genre d’appareils téléphoniques a baissé de 90 % en 20 ans. Mais, aujourd’hui, avoir un téléphone portable assez performant, donc au moins milieu de gamme, comme l’était le 3310 à l’époque, coûte toujours autour de 300 euros. Le prix pour ce cas d’usage n’a donc pas baissé. On peut faire le même raisonnement entre l’ordinateur qu’on pouvait acheter il y a 20 ans, d’une puissance de 250 Mhz, d’une mémoire de 64 Mo et avec un écran cathodique 19 pouces, le tout pour 1 500 euros. Ce niveau de performance n’est aujourd’hui même plus sur le marché tellement il est inadapté. Cet ordinateur ne vaut plus rien. Là encore, l’Insee conclut à une énorme baisse des prix des ordinateurs. Aujourd’hui, pour avoir un PC et un écran de milieu de gamme, il faut plutôt compter dans les 500 euros. Le prix est bien plus abordable qu’il y a 20 ans, mais ce n’est pas gratuit. La méthode de l’Insee consistant à projeter les prix dans le futur à produit égal est donc complètement discutable pour ce qui a trait à la technologie. Dépenser 300 euros pour un téléphone portable relativement performant reste toujours d’actualité. On peut tout à fait dire que les prix sont restés fixes pour le même usage, mais que c’est le niveau technologique qui a augmenté. On peut même aller plus loin : aujourd’hui la plupart des démarches administratives se font par internet (déclarer ses impôts, acheter des billets de train, d’avion, prendre rendez-vous etc.) Il est donc aujourd’hui nécessaire d’avoir un smartphone et un ordinateur, et beaucoup plus puissants que les modèles haut de gamme d’il y a 20 ans. Les gens ne se rendent donc pas compte de la baisse des prix des technologies de la communication, tout simplement parce qu’ils ne la vivent pas. Ils vivent une stagnation des prix d’appareils dont les performances augmentent. Ils ont même vécu une obligation d’achat qu’ils n’avaient pas avant. Le coût de la technologie ne diminue donc pas pour le portefeuille des Français, il augmente. Ça ne signifie pas que l’indice des prix de l’Insee est faux, mais que, sur le point précis des innovations technologiques, on pourrait rediscuter de la méthode de calcul et envisager l’usage plutôt que le produit.

Le deuxième aspect va nous amener doucement à comprendre le réel problème de l’indice des prix. Cet aspect concerne le logement. Nous avons vu que l’Insee scrute très précisément l’évolution du prix des loyers. Mais l’Insee ne s’occupe pas du prix d’achat des logements, appartements ou maisons, pour calculer l’indice des prix à la consommation. En effet, l’Insee considère qu’une maison achetée n’est pas un bien de consommation, mais un bien d’investissement. Donc il ne rentre pas dans le calcul de l’indice des prix à la consommation. C’est un sérieux problème pour les Français qui souhaitent devenir propriétaires et qui ont vu les prix des maisons exploser ces dernières années. Selon l’Insee, c’est assez simple, le prix des maisons a doublé en vingt ans, soit 100 % d’augmentation. Pendant cette période, la hausse des salaires des Français n’a été que de 30 %. Cela signifie que l’accès à la propriété est beaucoup plus difficile aujourd’hui.  Par exemple, un couple avec deux enfants qui gagnait 4 000 euros par mois en 2000, pouvait envisager de devenir propriétaire d’une maison pour 150 000 euros. Aujourd’hui, ce même couple gagne 5 200 euros (sans être plus riche du tout, juste avec la hausse des salaires qui suit l’inflation), mais la même maison coûte 300 000 euros. Les Français qui souhaitent accéder à la propriété ressentent une grosse perte de pouvoir d’achat en 20 ans et cela empire. L’inflation ressentie n’est pas vraiment comparable à celle calculée pour ceux qui veulent acheter une maison et qui voient les prix exploser. D’une manière générale, l’inflation calculée ne correspond, en fait, à personne, et nous allons voir pourquoi.

L’inflation est-elle la même pour tout le monde ?

Nous avons vu comment étaient récupérés tous les prix en France et vu aussi ce qui est discutable dans la manière de regarder ces prix. En revanche, nous n’avons pas vu comment l’indice est calculé à partir de tous ces prix. L’Insee ne fait pas brutalement la moyenne des 100 millions de prix qu’elle a reçu, pour ensuite la comparer à celle du même mois l’année précédente. Cela n’aurait aucun sens de mélanger des milliers de prix des différentes marques de carottes, au prix du gasoil ou de l’essence. Si le prix de l’essence augmente, cela va avoir un impact bien plus fort sur le pouvoir d’achat des gens que si le prix d’une marque de carottes augmente. Il faut donc pondérer l’indice des prix en fonction de ce que consomment réellement les Français.

Pour cela, l’Insee a créé et met à jour chaque année un panier de consommation des ménages. Ce panier contient 400 postes de dépenses différents correspondant à plus de 4 000 variétés de produits. Ce panier correspond à ce que les ménages dépensent en moyenne chaque mois pour vivre. L’alimentaire, l’énergie, les loyers etc. Pour les produits qui durent longtemps comme les voitures, l’Insee pondère en ne mettant qu’une fraction du prix total dans le panier.

Donc l’inflation correspond à l’augmentation du prix de ce panier précis. Ce panier est construit sur une moyenne de ce que consomment les Français et donc ne correspond à personne en particulier. Donc personne ne ressent les + 5,6 % d’inflation de septembre 2022 par rapport à septembre 2021 puisque personne ne consomme exactement ce panier moyen. C’est juste un indicateur moyen. Comme tous les indicateurs, il ne représente pas une réalité, mais quelque chose qui n’existe pas : une moyenne. Si vous êtes professeur, que vous faites un devoir, que parmi vos 20 élèves, 10 ont 20/20 et 10 ont 0/20, vous pourrez annoncer que la moyenne est de 10/20. Cette moyenne ne correspond à personne de la classe. Il ne faut pas attendre d’un indicateur qu’il corresponde à des vraies gens.

D’ailleurs, l’Insee nous propose un outil pour personnaliser notre indice des prix. On peut voir qu’il a stagné entre 2012 et 2016, qu’il a augmenté ensuite doucement et commencé à accélérer début 2021.

Cet outil permet de consulter la structure du panier moyen des Français. Par exemple, le Français moyen consacre 17,5 % de son budget à l’alimentation, 6,1 % au loyer, 9 % à la santé, 6,3 % à la restauration, 5,3 % à l’habillement ou encore 6,4 % à l’ameublement. Ces 6 postes de dépenses représentent plus de 50 % de son budget.

Nous pouvons également voir grâce à cet outil que les prix n’évoluent pas de la même manière selon la catégorie. Par exemple, les prix de l’habillement sont assez stables depuis 10 ans. Les variations que l’on observe sont dues uniquement aux périodes de soldes.

Le prix du tabac a lui été multiplié par deux, ces 10 dernières années.

Pendant ce temps, la téléphonie a fortement baissé.

Donc si votre panier est différent du panier moyen, et que vous dépensez plus votre argent sur des prix qui montent, vous allez ressentir plus d’inflation. Inversement, si vos dépenses concernent des prix qui baissent, vous ressentirez moins d’inflation.

Grâce à l’enquête Budget des familles, l’Insee nous permet de connaître les dépenses des ménages français selon plusieurs catégories. On peut notamment savoir ce que dépensent les Français modestes, aisés, propriétaires ou locataires. Si nous imaginons, sur la base des résultats de cette étude, les dépenses d’un ménage français modeste, qui a acheté sa maison en périphérie et doit donc prendre sa voiture pour aller travailler. On observe alors que l’inflation de son panier est bien plus importante que celle du Français moyen.

A contrario, le cadre aisé de centre-ville, locataire de son logement et qui utilise les transports en commun a plutôt connu une inflation inférieure au Français moyen.

Petite parenthèse : profitons-en pour rappeler que, si le travailleur pauvre se retrouve obligé de prendre sa voiture en habitant en périphérie, c’est parce que le parc privé de ville destiné aux travailleurs modestes a été entièrement détruit pour être remplacé par des appartements de luxe pour les cadres, ou des HLM pour inactifs, chômeurs ou étudiants. Ce sont donc bien des décisions politiques qui ont chassé des villes les travailleurs pauvres et les ont forcés à prendre chaque jour leur voiture. Décisions politiques qui ont bénéficié aux catégories sociales aisées des villes, qui se prétendent aujourd’hui « écologistes », et fustigent les méchants travailleurs de périphérie qui utilisent trop leur voiture.

Donc selon votre profil, actif, retraité, citadins, campagnard, l’inflation ressentie ne sera pas du tout la même. Cela pose un problème quand les éditorialistes et les autoproclamés experts économiques sont tous des Parisiens. L’information qu’ils vont distribuer risque d’être un peu biaisée par leur façon de vivre les choses. Les politiques, qui sont plutôt des travailleurs aisés ou des retraités sont également influencés par leur vécu de l’inflation. Si on va jusqu’au bout du raisonnement, il faut s’intéresser à la démocratie française, soit le profil des votants, pour savoir quelle population va lutter le plus efficacement contre sa propre inflation.

L’Insee nous donne la pyramide des âges française, qui nous permet déjà de constater que nous vivons dans un pays assez vieillissant.

Le calcul de l’inflation est donc fortement influencé par la population retraitée. Cela explique pourquoi dans le panier de l’Insee, 9 % est consacré à la santé. C’est énorme à côté de ce que nous pouvons voir dans les études concernant les ménages. Les retraités sont également des gens qui sont moins dépendants de la voiture puisqu’ils ne vont plus travailler. Leurs priorités sur les prix ne seront donc absolument pas les mêmes que celles des travailleurs.

Si, en plus, on applique à cette distribution, le taux de votants par tranche d’âge, calculé par l’Insee en 2017, on obtient alors le profil des votants suivants :

Les votants sont vieux. Plus de la moitié des votants a plus de 60 ans. Ajoutons que, parmi eux, ceux qui votent le plus sont les plus aisés. La démocratie française met à sa tête des gens qui plaisent aux retraités aisés. Les retraités aisés sont aussi la cible des médias. Seulement, les retraités aisés n’ont pas les mêmes besoins et les mêmes ressentis en termes d’inflation que les travailleurs. Les politiques et les lois françaises ne suivent donc pas les intérêts des travailleurs, mais les lubies, les priorités, les peurs, les intérêts, des retraités aisés. Cela explique facilement le grand délire paranoïaque que nous avons vécu pendant plus deux ans, sacrifiant notamment les enfants.

En conclusion, l’inflation calculée par l’Insee correspond à un Français moyen qui n’existe pas. Un mix entre un jeune et un vieux, un travailleur et un retraité, un propriétaire et un locataire. Comme tous les indicateurs qui sont des agrégats de plein de choses, il noie complètement l’information. Pour savoir ce qui se passe, il faut aller un peu plus loin dans l’analyse. Plus précisément, les médias et politiques ont tendance à faire croire que l’inflation serait quelque chose qu’ils subissent, sur laquelle ils n’ont pas de maîtrise et sur laquelle ils appliqueraient des « mesures de freinage », ou des « traitements ». Un peu comme un méchant virus qui arriverait d’on ne sait où, et contre lequel on se mettrait en guerre. Depuis 2 ans, j'ai détaillé les impacts des mesures prises pour montrer qu’elles n’avaient fait qu’exacerber les problèmes (qui, au demeurant, sont assez faciles à comprendre quand on s’extrait de la doxa). Dans le cas de l’inflation, c’est exactement la même chose. Les hausses des prix sont la plupart du temps la résultante de politiques mises en place, et les remèdes officiels ne font qu’empirer les choses.

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