L’ Ukraine, puissance nucléaire : Victoire à la Pyrrhus de la stratégie britannique - la manœuvre des Britanniques et des Américains(partie 2)

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Etienne Bommier France-Soir
Publié le 28 mars 2024 - 16:19
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France-Soir
L’ Ukraine, puissance nucléaire : Victoire à la Pyrrhus de la stratégie britannique - la manœuvre des Britanniques et des Américains(partie 2)
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Cette longue analyse est articulée en trois partie dont la première partie, publiée hier décrit la situation. Dans la seconde, l'auteur, Etienne Bommier propose une analyse sur la manœuvre des Britanniques et des Américains. Enfin, dans la troisième à paraitre demain, il décrit ce qui pourrait être l’état final à long terme.

Le long combat des Américains et des Britanniques

Le rôle du dollar pendant la guerre Froide

Il est impossible de parler des forces en présence sans parler du dollar comme d’une arme monopolaire par destination. Le dollar joue le rôle d’une arme multipotente, une forme de couteau suisse financier qui parfois joue le rôle de dissuasion, parfois de persuasion, telle la lame tranchante du couteau et parfois un travail de sape telle la lime. Le seul pays qui en dispose est les Etats-Unis.

En 1944, à Bretton Wood, quarante-quatre pays y compris l’URSS se sont réunis. Tous les pays conviennent de passer par le dollar en lieu et place de l’or à raison de 35$ l’once pour régler leurs échanges. Mais Staline fort d’une conscience stratégique soviétique, s’y refuse. Il refuse le dollar comme mesure de la richesse sur le plan international. Il reste sur l’or.

En 1960, l’once d’or vaut 60$. La France du général de Gaulle demande à changer en or les 1,5 Md$ qu’elle possédait au taux de 35$ et d’autres pays suivent l’exemple de la France.

En 1970, l’URSS de Brejnev revient sur la décision de Staline de 1944. Elle reconnaît le dollar comme monnaie de réserve alors que les US sortent des accords Bretton Wood l’année suivante le 15 août 1971. Ce manque de vision stratégique de Brejnev est une faute qui signe l’amorce de la perte de puissance de l’URSS.

Le travail de sape de la puissance soviétique par le dollar est entamé.

Le plan américain d’après-guerre Froide

L’arrivée en 1999 de Vladimir Poutine au Kremlin marque un durcissement des relations des Américains et des Britanniques avec la Russie alors que la présidence française jusqu’en 2006 insiste pour maintenir les bonnes relations. Les Américains veulent étendre leurs marchés sur l’ancien bloc soviétique et pousser les entreprises russes au repli, et les Britanniques retrouvent leur obsession séculaire de réduire toute puissance continentale.

Considérant ces deux volontés américaine et britannique, l’intégration de la fédération de Russie dans le concert européen leur pose problème :

  • la Russie est une puissance énergétique, notamment nucléaire emmenée par Rosatom, qui s’accroitra avec les SMR dont ils maitrisent déjà la technologie ;
  • la Russie est forte de ses échanges avec l’ingénierie allemande, et en tout premier plan Siemens, et l’Allemagne est forte de son commerce avec la Russie ;
  • la Russie ne souffre pas d’une France qui s’accommode bien de sa gouvernance et la France s’y vend bien (Alstom, Total, etc.).
  • la Russie a de bonnes relations avec les Etats européens sur les plans miniers, économiques, culturels, sportifs etc. Son image est belle en Europe.

Le plan de bataille américain apparait clairement aujourd’hui : récupérer le contrôle du marché de l’énergie nucléaire en Europe de l’Est pour réduire la position dominante de la Russie et affaiblir l’Allemagne et la France, vues comme des suppôts de la Russie, en les désindustrialisant.

  1. Westinghouse (USA) doit faire le nécessaire pour sortir Rosatom (Ru) des centrales nucléaires construites en Europe de l’Est à l’époque de l’URSS ;
  2. Siemens (Allemagne), deuxième entreprise mondiale de l’énergie après GE (USA), doit être attaquée sur le plan juridique, puis réduite ;
  3. Alstom (France) troisième entreprise mondiale de l’énergie doit être prise dans la tourmente des marchés et devra accepter d’être aspirée par GE.
  4. L’Europe doit être coupée des ressources de la Russie.

Le refus de la France et de l’Allemagne de cautionner l’intervention en Irak en 2003 sonne le tocsin du lancement des opérations américaines contre ces deux pays. Les dés sont jetés. Les forces militaires d’Ukraine de Leonid Koutchma, quant à elles, participent à l’opération militaire américaine en Irak : pourquoi ? Comme une initiation aux opérations de l’OTAN ?

1er objectif : la Russie avec Rosatom

Le 5 juin 2000, les USA et l’Ukraine signent un accord sur la qualification des combustibles nucléaires américains (https://www.state.gov/00-605). Dès l’an 2000, Westinghouse va commencer à expérimenter ses barres de combustibles dans des réacteurs d’origine Rosatom type VVER :

  1. En République Tchèque : en 2000, à la centrale de Temelin ;
  2. En Finlande : en 2000, à la centrale de Loviisa ;
  3. En Ukraine : en 2005, à la centrale de Youzhnoukraine où Westinghouse installe 6 barres de combustibles sur le réacteur numéro 3.

En 2007, la déformation d’une barre de combustible américain à la centrale de Temelin provoque un incident grave. En conséquence, le gouvernement tchèque décide d'arrêter l’expérimentation américaine et de reprendre le combustible Russe. Malgré cet avertissement, l’Ukraine signe en 2008 un accord pour l'achat de combustible Westinghouse.

En 2012, Westinghouse connait un accident majeur en Ukraine, à Youzhnoukraine, avec à nouveau la déformation et la défragmentation de ses barres. Le réacteur d’essai n°3 doit être arrêté en urgence. Les travaux de réparation vont durer plusieurs années. C’est une perte de production d’électricité conséquente pour l’Ukraine. A la suite de cet accident, la commission ukrainienne de sécurité nucléaire interdit l'utilisation des barres de combustible Westinghouse, comme l’avait fait en 2007 la République Tchèque. Mais en 2014, à la suite de la révolution Maidan, l’Ukraine renouvelle sa coopération avec Westinghouse qui poursuit son expérimentation.

Depuis 2018, 40% des centrales nucléaires ukrainiennes sont exploitées avec des barres de combustibles Westinghouse, les 60% restants fonctionnent avec du combustible Russe (TVEL).

En août 2021, un mémorandum sur le choix exclusif de réacteurs américains AP-1000 de Westinghouse dans les futures centrales à construire en Ukraine, est signé pendant le voyage aux États-Unis du Président Zelensky nouvellement élu (https://www.nuklearfoRum.ch/Ru/nouvelles/ukraine). La France de Framatome et d’Areva est exclue de fait, de ces marchés à long terme.

Les USA sont en passe de gagner une première bataille contre la Russie sur le plan de l’industrie nucléaire en entrant, en force, sur le marché ukrainien.

2ème objectif : l’Allemagne avec Siemens

Dans le domaine précis des stations électriques turbines gaz, Siemens fournit les turbines et tout le control command (CC), alors que GE ne fait pas le CC complet de la station. Cette réalité industrielle faisait que Siemens détenait une grande part du marché des installations turbines gaz au monde, et spécialement en Russie. Dans les années 2000, les perspectives d’accroissement de ce marché sont gigantesques parce que le charbon est montré du doigt. Les Américains s’en inquiètent. S’appuyant sur la loi anticorruption à portée extraterritoriale (FCPA) votée par les Etats-Unis en 1977, les services américains montent des dossiers de corruption à partir de l’année 2000 contre plusieurs compagnies européennes dont Siemens qui est la deuxième société mondiale de l’énergie.

En 2003, alors que l’Allemagne ne se montre pas solidaire dans le conflit irakien, les USA cessent de s’accommoder de l’avance technologique de Siemens. Ils décident de la « marquer à la culotte » dans le domaine des turbines à gaz. GE ouvre rapidement un centre de recherche à Munich, et attire les ingénieurs allemands de Siemens. Puis le dispositif anticorruption FCPA servira opportunément les intérêts américains. Siemens est d’abord privée d’accès au gigantesque marché de reconstruction de l’Irak et cinq années plus tard, en 2008, doit faire face à la justice américaine. La société se défend en plaidant coupable ; elle est condamnée à une amende record de 800 M$ et se fait imposer pendant quatre années un contrôle serré par l’administration américaine. En 2012 le siège de Siemens Energy accepte de se déplacer aux USA pour avoir accès aux marchés américains, ce qui sera effectif en 2014.

Siemens Energy n’est plus en Allemagne. La désindustrialisation de l’Allemagne commence, ce que confirme un article récent : https://www.bloomberg.com/news/features/2024-02-10/why-germany-s-days-as-an-industrial-superpower-are-coming-to-an-end?srnd=premium-europe

3ème objectif : la France avec Alstom

Alstom était la troisième société mondiale de l’énergie. A la différence de ses concurrents GE n°1 et Siemens n°2, Alstom avait la particularité de savoir vendre ses centrales clés en mains. Alstom avait développé un réseau mondial d’ateliers, notamment en Russie et en Chine où les centrales modèle Alstom sont pléthoriques.

Après l’Allemagne, les services américains s’attaquent à la France en 2008. Ils ouvrent un bureau à la Défense au cœur du monde des sièges d’entreprises françaises. Le refus de la World Bank de financer les renouvelables d’Alstom en 2011 fut un premier combat réussi par les USA, ce qui a affaibli grandement Alstom. Le 1er nov 2015, Alstom passe aux mains de GE. D’autres sociétés françaises subiront le même sort.

La désindustrialisation de la France commence.

Avec la réorganisation faite par GE, il y a eu perte de compétence sur les produits Alstom. L’exemple de la turbine Arabelle développée pour les centrales nucléaires est éloquent. Entre 2017 et 2023, GE a exécuté les contrats Arabelle signés par Alstom auparavant, mais n’en a vendu aucun.

4ème objectif : une fracture Europe/Russie à créer
  • Une politique d’éloignement de la Russie à plusieurs vitesses : Parmi les mesures économiques prises contre Moscou depuis février 2022, les Etats-Unis pressent les entreprises étrangères installées en Russie à quitter ce pays. La France adhère à cette politique. La société française Total est sommée de quitter les champs gaziers du grand Nord et perd douloureusement tous ses investissements. Par contre la société américaine GE Hydro Power Russia ne quitte pas la Russie et poursuit à Moscou l’activité de la société Alstom Hydro Power Russia reprise en 2016 sur les projets identifiés initialement par cette dernière, Toktogul par exemple.
     
  • Une industrie européenne à affaiblir : En 2023, la dynamique de déconstruction du système industriel européen se prolonge. Le gouvernement américain propose de larges avantages aux sociétés qui acceptent de se délocaliser aux USA. 
    Cette situation amène le président de la République française à prononcer un discours en novembre 2023 manifestement destiné aux partenaires américains.
     
  • La dépendance énergétique de l’Europe à contrôler : L’Europe prenait son gaz, son pétrole, son charbon, son uranium et autres produits miniers en grande partie en Russie. En imposant une rupture entre l’Europe et la Russie, les Etats-Unis forcent les Européens à acheter l’énergie aux entreprises américaines et à dépendre des bonnes volontés du gouvernement américain encore un peu plus.

Cette guerre en Ukraine est une aubaine pour les Etats-Unis pour déconstruire ou avaler l’industrie européenne.

 

Le rôle de la Grande Bretagne

Cette bataille contre la Russie implique particulièrement la Grande Bretagne qui, de tous temps, s’est méfiée de l’émergence d’un bloc continental. Diviser le continent est une constante séculaire de la politique de la couronne britannique.

La vision de la Grande Bretagne de l’avenir des pays issus de l’URSS est simple : dépecer ce bloc géoculturel de 17 millions de km² que fut l’URSS en un ensemble de blocs géopolitiques autonomes et autosuffisants, et disconnecter les réseaux interconnectés. Cette vision est partagée par Lech Walesa, prix Nobel de la paix, qui déclare en juillet 2022 la nécessité de ramener la population de la Russie à 50 Mhab. La solution imaginée est de dépecer la fédération de Russie pour la réduire à son cœur russe qui fut la Moscovie d’Yvan le terrible, au XVI° siècle.

L’Ukraine de Leonid Kravtchuk apparaît rapidement comme le « guinea pig », comme l’Etat avec lequel la grande Bretagne saura trouver des oreilles attentives. En 1994 l’Ukraine rejoint le programme de l’OTAN de partenariat pour la paix. Avec ce premier pas et dans cette perspective d’arrachement de l’Ukraine au bloc russe, les forces britanniques commencent par identifier le personnel militaire ukrainien malléable dans une vue stratégique qu’il faut saluer :

  • depuis 2014, de nombreux instructeurs britanniques et américains sont présents dans le polygone de Yavoriv près de Lviv ; ils y entraînent des unités et forment les officiers à l’anglais et aux méthodes otaniennes.
  • depuis 2015, des milliers de membres des forces armées ukrainiennes auraient été formés dans des camps britanniques ou américains ;
  • en 2015, la Grande Bretagne s’installe sur la base marine d’Ochakiv à l’ouest d’Odessa en mer Noire ;
  • en 2019, la Grande Bretagne identifie Volodymyr Zelensky comme le candidat à soutenir pour la présidence. Une britannique est mise en place auprès de lui pour organiser sa communication et il se dit que Volodymyr Zelensky détient aujourd’hui le passeport britannique.

Le Brexit libère aussi les Britanniques de tout compte à rendre à l’Europe quant à leurs intentions stratégiques. Cette autonomie retrouvée leur a manifestement donné une capacité d’anticipation et de préparation encore à saluer, comparée aux autres puissances continentales demeurées dans une forme de léthargie. Et certains se posent même des questions sur le rôle des Britanniques relativement à la tentative de coup d’Etat au Kazakhstan une semaine avant l’attaque du 24 février 2022.

Le rôle de l’OTAN

Malgré un document de 1991 dans lequel les USA s’engageaient à ne pas élargir l’OTAN vers l’est, la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque y entrent en 1999.

Le cas de l’Ukraine est bien différent, car elle faisait partie de l’URSS. Voir l’Ukraine, le plus grand atelier de fabrique d’armes de l’URSS et de dépôt d’armes nucléaires entrer dans l’OTAN serait un signe concret de l’affaiblissement de la Russie pour de très longues années. Profitant du fait que les présidents successifs Kravtchouk et Koutchma pourtant russophiles regardaient à l’ouest, l’occident apporte de l’aide en dollars et renforce la conviction du peuple ukrainien de l’avantage à basculer à l’ouest avec tout son territoire aux contours issus de décisions de l’ancien politburo soviétique. Il y a bien une estocade stratégique sans confrontation directe OTAN Vs Russie, conforme au concept américain du zéro mort, en mettant les Ukrainiens et les peuple de cette nouvelle Europe en première ligne sous contrôle de l’OTAN

En application de cette stratégie, l’OTAN crée une ceinture à l’ouest de la Russie ancrée au Nord sur la mer baltique et au sud sur la mer Noire, d’où le rôle des Britanniques sur la base maritime d’Ochakiv à l’ouest d’Odessa. L’entrée dans l’OTAN de la Finlande qui n’avait jamais appartenu au pacte de Varsovie, permet à l’Otan de montrer qu’il était devenu difficile aux Russes d’emprunter librement la mer Baltique. L’entrée de la Suède ferme définitivement la liberté de navigation aux navires Russes qui peuvent se faire inspecter conformément au droit de navigation international en passant dans les ZEE successives de la mer Baltique. Qui plus est, les soldats de l’OTAN en Estonie et en Finlande sont surtout des soldats américains et britanniques.

Cette ceinture restera solide tant que l’Ukraine aura un accès sûr à la mer Noire. Pour l’OTAN, la Crimée est donc la pierre d’angle du « control » de la mer Noire, par Ukraine interposée, ce qui amène le général américain BenHodge à déclarer en 2023 : « la Crimée est un DECISIVE TERRITORY ».

L’auteur de cette analyse en trois parties, Etienne BOMMIER, est entré à l’Ecole de l’air en 1975. Breveté pilote chasse, il a exercé sa première moitié de carrière au sein des escadrons de chasse de l’armée de l’air. Durant la deuxième moitié, il a été au fait de la conduite puis de l’inspection des opérations à l’état-major des armées. Il a aussi été professeur de stratégie militaire à l’Ecole de Guerre. En 2008 à l’heure de quitter l’uniforme comme colonel, il entre dans l’industrie chez Alstom Hydro Power (AHP). Directeur de projet, il travaille trois ans sur les projets AHP en Russie. Il est basé à Moscou. Il est rapidement nommé responsable du « Business development », ce qui lui permet de rencontrer de nombreux bureaux d’études, des sous-traitants Russes, des chefs de centrales hydroélectriques à Norilsk, à Irkutz, à Saratov etc, mais aussi dans les anciens pays de l’URSS Kirghizistan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Arménie, Géorgie, Ukraine, Belarus etc. Il a acquis une connaissance de la culture du travail dans ce monde et porte une appréciation fondée sur l’expérience de terrain. Il trouve d’ailleurs qu’il y a beaucoup de similitudes entre la conduite d’une opération militaire et celle d’un grand chantier. D’un côté on parle de situation et d’ordre de bataille (ODB) quand de l’autre on parle contrat et annexes, règlements des industries, coutumes locales, normes ... De tous les côtés, les objectifs doivent être clairs et toujours bien compris et acceptés de tous. Il y a réussite quand tout le monde y trouve son compte, sinon il y a échec quand les deux parties jusqu’auboutistes vont, de jure et de facto, jusqu’à leur propre anéantissement par des combats sans issue, avec leurs lots de destructions ou par des actions en justice qui pourrissent toutes les belles choses qui ont été faites auparavant.

Troisième partie à suivre.

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