ENTRETIEN : Mohand Sidi Saïd, ancien vice-président de Pfizer : « Il faut espérer l’arrivée d’un vaccin avant l’hiver 2021.»

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Rabah Ait-Hamadouche pour FranceSoir
Publié le 18 mai 2020 - 01:22
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Mohand Sidi Saïd, ancien vice-président de Pfizer
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Mohand Sidi Saïd, ancien vice-président de Pfizer
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Ancien vice-président du leader mondial de l’industrie pharmaceutique Pfizer, Mohand Sidi Saïd, qui milite désormais pour l’accès universel aux soins et pour une réforme urgente de la santé en France nous livre ses réflexions sur la crise du Coronavirus que nous traversons. L’auteur du livre à paraître en juin aux éditions Prolégomènes : « Du Djurdjura à Manhattan. Résilience, pouvoir et philanthropie » nous éclaire de sa connaissance aigue du monde de la santé et de l’écosystème des Big pharmas, au centre de la recherche du vaccin contre le Covid-19.
  
FranceSoir : Quel est votre sentiment face à la pandémie que nous affrontons actuellement ?
MSS : Au départ, un premier sentiment de peur. Que cette pandémie affecte l’Afrique dont l’infrastructure sanitaire et les moyens logistiques sont souvent embryonnaires et outrageusement insuffisants. Une catastrophe en perspective, à l’image de la tragédie VIH SIDA, avant l’émergence des trithérapies. Et pourtant, l’Afrique affiche un nombre de cas relativement faible, à la surprise des experts. Son climat tropical, la jeunesse de sa population, la plus jeune au monde, l’usage régulier d’un antipaludéen, la chloroquine, et de traitements antirétroviraux ont peut-être contribué à réduire l’état de virulence du COVID -19, sans qu’on puisse l’affirmer aujourd’hui avec certitude.

L’autre sentiment : L’espoir. Un tel déploiement de ressources, de projets, d’énergie, d’innovation, jamais égalé, ne pouvait demeurer improductif. Et aujourd’hui des lueurs d’espoir pointent à l’horizon.

FS : Pouvait-on prévoir l’arrivée du Covid-19 et son ampleur ?
MSS : Absolument pas. Personne ne pouvait prévoir la dangerosité de ce virus, chez des personnes âgées et de surcroît porteuses de facteurs de comorbidité. La COVID -19 tue dix fois plus que le virus saisonnier de la grippe.

Cependant, des déficiences dans la communication de la Chine et plus grave encore de l’OMS, ont probablement accentué sa propagation.

FS : Du point de vue sanitaire et médical, a-t-on été à la hauteur en France ?
MSS : On a, à l’évidence, trop tâtonné dans cette crise sanitaire. Et le jeune chef de l’État, très vite promu au rang de chef de guerre, s’est retrouvé sans assez de munitions et de moyens logistiques.

La critique est aisée. Le chef de l’État n’a pas manqué d’énergie.

FS : En tant qu’ancien dirigeant de Pfizer, quelle place doit tenir l’industrie pharmaceutique devant une telle situation ?
MSS : Dans cette crise, elle était désarmée. Elle a, depuis des années, cessé toute activité de R&D dans l’antibiothérapie et la virologie pour des raisons de rentabilité. Qui blâmer ? Le gouvernement qui s’est acharné sur les « petits prix » des antibiotiques et d’autres molécules de première nécessité, au lieu de lutter contre les prix souvent prohibitifs des produits innovants ?

L’industrie pharmaceutique a beaucoup changé mais les chemins qui conduisent vers l’entreprise solidaire, consciente de sa responsabilité sociale, sont longs .

FS : Que pensez-vous de la polémique autour de l’hydroxychloroquine et du professeur Raoult ?
MSS : Cette étude n’aurait jamais dû sortir de son confinement habituel, celui de la R&D. Ce vacarme télévisuel répond à des soucis d’égo et de vedettariat.

Il n’apporte rien à la science. Il accentue le caractère anxiogène de cette crise sanitaire.

FS : L’état a-t-il bien réagi sur cette question ?
MSS : Non. Il n’a pas été décisif. Ou bien l’essai du Pr Raoult est fondé, compte-tenu de l’urgence et on l’étend aux régions plus vulnérables, les plus touchées, avec un renforcement du suivi des patients traités par ce dérivé hydroxylé de la chloroquine associé à un antibiotique. Ou bien, cet essai est dangereux et ne répond pas au fameux critère de risque/bénéfice, et on l’arrête. On a fait le choix de laisser faire le Pr Raoult, et à Marseille, exclusivement… Étrange !

Est-ce que la sécurité des marseillais a moins de valeur que celle des habitants d’autres régions ?

FS : Le Pr Raoult a-t-il raison de parler de révision du droit des brevets ?
MSS : J’ose me dire qu’il n’y croit pas. Sur ce plan et quelques autres, il n’est pas différent des patrons de La France Insoumise et de la CGT. Il est à côté de ses pompes.

FS : Le confinement était-il la meilleure solution ? Ne valait-il pas mieux tester et traiter ?
MSS : Sans doute. Mais avec quels tests ? Nous en étions dépourvus. La même situation pour les masques.

Le gouvernement a manqué de perspicacité en Janvier 2020.

FS : Que pensez-vous de l’Orthodoxie des milieux médicaux et de la recherche qui ne tolèrent visiblement pas de voix discordantes ?
MSS : Pas d’amalgame. Nous avons la chance d’être doté d’un corps soignant parmi les meilleurs au monde. La preuve en a été apportée d’une façon éloquente et émouvante lors de cette crise. Cependant, certaines sphères du corps professoral donnent le sentiment d’être minées par des soucis d’égo, de leadership et d’aucuns diraient par des intérêts financiers.

C’est un fait que l’expérimentation clinique de la phase 3, randomisée, en-double -aveugle draine beaucoup d’argent.

FS : Que dire des voix émergentes analysant par exemple le Covid-19 autrement que comme une simple maladie respiratoire ? Certains pointant du doigt le rôle du microbiote intestinal et de la bactérie Prévotella ?
MSS : Le COVID -19 n’est pas une infection respiratoire. Ce virus est total. Ce n’est pas une simple grippe.

Il est capable de répercussions sur le système nerveux central, les reins, le cœur et peut endommager le système immunitaire.

FS : Que pensez-vous des critiques à l’égard des big pharma qui voudraient coûte que coûte imposer des traitements chers ?
MSS : On oublie une chose importante. L’industrie de la pharmacie, ce sont des hommes et des femmes. Beaucoup ont de l’empathie, de la résilience avec un sens réel de la responsabilité sociale de l’entreprise. D’autres, ont fait de l’appât du gain une priorité. Je les dénonce depuis longtemps. Face au lobby du groupe pharmaceutique, puissant et organisé, il est indispensable d’avoir une organisation des patients, unie, pourvue de moyens mais réaliste et loin du populisme de certains.

Il ne s’agit pas d’opposer les uns par rapport aux autres.

FS : Vous possédez des laboratoires R&D, c’est un domaine coûteux avec des délais longs. Pas toujours rentable pour l’industrie ?
MSS : Oui, la R&D est longue, coûteuse et hasardeuse car risquée. Mais elle est riche, les succès compensant très largement les échecs. Nous assistons à l’émergence de petites startups, innovantes, peu dépensières et efficaces. Ce sont les biotechnologies, un autre modèle de la R&D. Ce sera la surprise de ce siècle. À condition de les doter de moyens, par des incitations fiscales encore plus attrayantes, plus incitatives.

Sinon elles seront phagocytées par les Big Pharma.

FS : Que penser des déclarations du directeur général du groupe français Sanofi qui a affirmé qu’il servirait « en premier » les Etats-Unis en cas de découverte d’un vaccin ?
MSS : Il faut d’abord qu’ils le trouvent ! Un dérapage de sa part? Je ne le crois pas.  Ils sont entourés de juristes, de spécialistes en communication de très bonne qualité et vigilants. Alors, peut-être un message en direction de la FDA (agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux NDLR), le puissant organisme qui délivre les autorisations de mise sur le marché des médicaments? Ou tout simplement une publicité en direction des marchés financiers? Tout cela est futile. Ne versons pas dans les procès d’intention! Cela amène une réflexion.  Si vaccin il y a, c’est certain, il n’y en n’aura pas pour tout le monde! La fabrication d’un vaccin est compliquée, plus longue avec un volume des lots nettement moins importants, à l’opposé du comprimé ou de la gélule. Le gouvernement devra s’en préoccuper, maintenant.

Demain, il sera peut-être trop tard. Les deux géants de l’économie, les Etats-Unis et la Chine seront les premiers servis.

FS : Concrètement, que penser du projet Discovery et de toutes les tentatives de trouver des vaccins et médicaments anti-Covid ?
MSS : Le projet Discovery semble avoir des difficultés à recruter des patients. À noter que la Suède, première à utiliser l’hydroxychloroquine en Europe vient d’arrêter son utilisation à cause d'effets secondaires ennuyants. D’autres études sont en cours. La FDA vient de donner une autorisation spéciale pour l’utilisation d’un antiviral connu, Remdesivr, pour traiter des patients atteints sévèrement par le virus, en milieu hospitalier. Un autre essai est en cours à Hongkong avec 86 patients traités par d’autres antiviraux. Il y a aujourd’hui quelques centaines d’expériences cliniques. Un acharnement à trouver une thérapie rarement égalé.

FS : La découverte éventuelle d’un vaccin prendra combien de temps ?
MSS : On n’en sait rien. Plusieurs prototypes sont en cours d’analyse. À mon sens, celui de l’américain Moderna Therapeutics a une longueur d’avance. Ils ont conclu un arrangement intelligent avec la FDA qui leur permet d’accélérer leur recherche. Ils ont notamment obtenu d’injecter chez l’homme un fragment du code génétique du virus pour générer une réponse immunitaire, sans passer par les tests chez l’animal.

D’autres laboratoires accélèrent leurs recherches. Il faut espérer l’arrivée d’un vaccin avant l’hiver 2021.

FS : Le secteur du médicament doit-il être ramené sur le sol national quand on sait que l’essentiel des molécules sont produites en Asie, à l’instar des masques qui ont manqué ?
MSS : Pas au niveau de la France, seule.  Nous sommes trop faibles. Il faut renforcer les pouvoirs de l’EMA, European Médecines Agency, pour l’étendre aux négociations de prix et de sites de production. Il faut de nouveaux partenariats avec l’industrie pour une réindustrialisation dans le secteur du médicament, produits finis, matières premières et R&D confondus.  Il faudra du temps, de l’audace, de la capacité à convaincre et parfois de la ...menace. Pourquoi se priver du poids que constituent 500 millions de patients potentiels.

Il appartiendra aux européens de s’accorder sur les implantations des sites.

FS : En 2016, dans votre ouvrage « Au secours, notre santé est en péril », vous demandiez un Grenelle de la Santé. Vous restez sur cette ligne ?
MSS : Oui, plus que jamais. J’en parle à nouveau dans mon livre “ Du Djurdjura à Manhattan “,  le secteur de la santé est sinistré depuis longtemps. Il est malade, donc inefficient. Nous y allouons les mêmes ressources que les allemands en termes de pourcentage de notre richesse et nous sommes moins performants avec presque deux fois moins d’infrastructures hospitalières. Le nôtre est dominé par la bureaucratie. Il est temps de tout mettre à plat dans le cadre d’un Grenelle de la Santé. Il faut réfléchir à un modèle allégé dans sa gestion, renforcé dans sa logistique, motivant et juste pour ses soignants, avec une priorité pour la prévention. Un modèle compatible avec notre siècle et l’économie de la connaissance et de l’innovation.   C’est ce modèle qui reste à dessiner.  

Hélas, la pression va être très forte pour que l’on dépense d’abord et que l’on réfléchisse ensuite, ou jamais. Comme d’habitude.

FS : Que doit nous apprendre une telle crise? Quel retour d’expérience?
MSS : Il vaut mieux prévenir que guérir ! Nous sortirons de cette crise plus affaiblis que la moyenne des européens. L’entité France vit de crédits. Il faut y remédier. Et rentrer de plein pied dans l’économie de la connaissance et de l’innovation pour ne pas se laisser distancer davantage.

Et bâtir, au plus vite, un modèle européen plus performant, moins discordant, avec plus d’empathie, de résilience et de solidarité.

FS : Et pour finir sur une note optimiste ?
MSS : Elle nous vient d’Amérique. Et c’est une lueur de lumière en ces temps de ténèbres. Une pré-étude, publiée par la revue scientifique « Nature », rapporte les résultats d’une analyse sérologique conduite à New-York par des chercheurs sur 1343 personnes touchées par le SARS-COV-2. Pratiquement tous les patients ont montré des anticorps spécifiques contre le COVID -19. Si ces résultats sont confirmés par ses promoteurs, cela tendrait à prouver que l’on ne peut-être atteint une deuxième fois et que l’on cesse d’être une source de propagation.

 

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