Les bars à jeux prolifèrent et les adultes y prospèrent

Auteur(s)
Axel Messaire, pour France-Soir
Publié le 26 octobre 2024 - 15:55
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Jeu de société
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DR - Unsplash
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Les Grands Gamins, Les Mauvais Joueurs, Loufoque... Les bars à jeux de société se multiplient à Paris, comme partout en France. Ils sont envahis par des troupes d'adultes plus ou moins adultes, pas toujours sérieux, mais à l'air heureux. Il y en a souvent pour tous les goûts, l'ambiance est toujours au rendez-vous, et à grandes doses de soirées interminables, ces lieux qui semblent hors du temps remettent en jeu notre rapport au... jeu.

Peut-on être adulte et jouer sans complexe ? Le jeu peut-il être sérieux ? Si oui, doit-il l'être ? Voilà quelques questions qui ont plusieurs fois secoué le monde de la philosophie, pour être toujours d'actualité aujourd'hui. Les confinements imposés à répétition lors de la crise sanitaire du Covid-19 ont poussé tout un chacun à revoir sa façon d'occuper ses journées. Si bien que certains se sont temporairement faits boulangers, pendant que d'autres sont tombés amoureux de l'écriture, et d'autres encore se sont (re)mis à jouer.

Pas seulement les enfants, et pas seulement aux jeux vidéos. Si leurs publics se confondent parfois, ce sont bien des jeux de société dont nous allons parler, parce qu'ils sont loin d'être enterrés. Au contraire, depuis 2021, les Français achètent quelque 30 millions de boîtes de jeux par an et le marché se porte très bien. Grâce à des grands classiques (Monopoly, UNO, La Bonne Paie...) et d'immenses succès plus récents (Villainous, Seven Wonders, Code Names...). Les échecs ont aussi connu un engouement tout particulier. Et, dans les deux dernières années, les jeux de cartes à collectionner se sont, eux aussi, développés comme jamais. Certaines cartes Pokémon sont littéralement devenu des trésors, Disney a édité son propre jeu (Lorcana) et ainsi conquis tout un public novice dans les jeux de stratégie, et une nouvelle entreprise française (Equinox) a récolté pas moins de 6 millions d'euros en un été pour le lancement de son jeu Altered.

"Aller chercher le plaisir là où il est"

Bref, on ne manque ni de jeux ni de joueurs. Désormais, pas non plus de lieux dans lesquels aller jouer ! Qu'ils soient bars, boutiques, ou les deux, on les trouve de plus en plus nombreux pour accueillir toutes sortes de joueurs pour toutes sortes de jeux. Soirées jeux de rôles, tournois de cartes ou jeux libres, il y a souvent plusieurs centaines de possibilités différentes desquelles profiter, avec ou sans enfants, avec ou sans grands-parents, avec ou sans expérience... Des animateurs guident les joueurs et surveillent les tricheurs, cependant qu'ils vous servent une bonne bière ou un quatre heures.

Le fait est qu'on a tous besoin, de temps en temps, d'échapper à notre difficile réalité. À l’heure où les espaces de socialisation se numérisent, où la performance est clé, le retour en force du jeu physique est plus qu’un simple passe-temps. Paradoxalement, c'est peut-être même un retour au réel. Jouer, c’est aussi revendiquer une certaine liberté, qui n'est pas forcément contraire de maturité. "Je crois que les gens qui pensent ça manquent d’ouverture d’esprit et ne savent pas aller chercher le plaisir où il est. Je ne me sens pas moins adulte quand je joue, mais plutôt plus en phase avec une part de moi que j’ai moins l’occasion de montrer.", confie Esther à Philosophie Magazine. "Je trouve toujours ça un peu ridicule, je suis à l'aise avec le fait de jouer et ça ne me fait pas me sentir “enfant”. En tant que psychologue, je vois beaucoup de gens qui essayent de tracer des limites claires et nettes entre leur enfance et l'âge adulte. C'est évidemment un continuum, je jouais déjà enfant, c'est vrai, mais je joue très différemment maintenant adulte.", poursuit Antoine, 32 ans.

Jouer sans pression, savoir dire non

"L’homme ne joue que là où il est homme", écrivait Schiller dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, une réflexion sur le jeu comme expérience de liberté essentielle à tout âge. On retrouve là encore l'idée de reconnexion à soi, et aux autres. Contrairement aux relations virtuelles, l’interaction au cours d’une partie est humaine et instantanée, nécessitant une attention réelle. Les jeux de société valorisent des compétences aujourd’hui moins sollicitées dans le quotidien numérique : coopération, communication face-à-face, patience. Et cela permet de faire le pont entre son soi-enfant et son soi-adulte, comme cela fait le pont entre les générations.

Finalement, la prolifération des bars à jeux et la diversité de leur clientèle reflètent une certaine approche du temps libre. Face aux modèles de loisirs individualisés et aux vies de plus en plus numérisées, jouer permet certes de s'échapper, mais devient aussi une manière de dire non. Non à l’isolement social, non au tout numérique, non à la pression constante, non aux cloisons artificielles de l’âge... Il suffit d'une table, de quelques chaises et d'un bon jeu pour que chacun s'y retrouve.

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