"Je décroche" : la détresse des étudiants "seuls derrière leur ordi"
"Le matin, j'allume l'ordinateur, mais je suis incapable de suivre les cours. J'ai plus la force", soupire Sarah, en école d'ingénieurs à Lille. Après des mois de cours à distance, beaucoup d'étudiants se sentent comme elle "flancher", usés par la solitude et l'absence de perspectives.
"Huit heures seul derrière un ordi, c'est interminable. L'attention se perd, on se sent complètement perdu", lâche Sarah, 19 ans, la voix lasse après plus de trois mois "sans mettre un pied en cours".
Depuis la fermeture physique de son école en octobre devant la recrudescence de l'épidémie de Covid-19, sa motivation s'éteint: "au départ, je m'accrochais, je me disais +ça durera pas+. Mais en décembre, c'est devenu trop difficile, j'ai vraiment décroché".
En première année et "enfermée dans un 30 m2" avec son petit-ami, la Lilloise souffre de l'isolement. "C'est le plus difficile, le manque de lien social avec les autres, les profs. Je ne m'habille même plus, je reste dans mon lit", souffle-t-elle.
Les mathématiques, la conception assistée par ordinateur, "ce n'est pas du tout adapté au distanciel!" Quant aux examens, outre quelques devoirs surveillés, la plupart se déroulent "en contrôle continu" avec "énormément de devoirs à rendre, c'est super stressant", déplore cette étudiante qui souffre d'insomnies.
"J'ai tenté de rattraper mon retard pendant les vacances (...) Mais aujourd'hui je comprends que c'est loin d'être terminé", s'étrangle-t-elle, "découragée et en colère".
- "Hécatombe" -
Pour d'autres jeunes comme Léa, en 2e année d'histoire à Angers, cet "épuisement moral et physique" dure depuis mars, assorti de difficultés financières.
"J'avais un job de serveuse, pour ne pas être un poids pour ma famille. Au premier confinement, tout s'est arrêté", regrette Léa. Boursière, elle a récemment bénéficié d'une aide de 150 euros, toutefois insuffisante. Pour payer son loyer et "privilégier l'achat de livres scolaires", elle avoue ne manger parfois "qu'une seule fois par jour".
Après avoir "bien tenu plusieurs mois", la jeune femme s'est finalement vu "diagnostiquer une dépression" avant de "presque tout lâcher" au cours de l'hiver. "Ca a été l'hécatombe (...) la moitié des 220 étudiants de ma promo ont abandonné", assure-t-elle.
"On manque de perspectives, il y a l'angoisse de ne pas trouver de stages, de débouchés" avec cette crise, explique l'étudiante. Un temps intéressée par une carrière de professeure, elle envisage désormais "une L3 pro, en apprentissage", pour "retrouver le contact humain".
Parmi la centaine d'élèves de sa promotion d'école de commerce lilloise, Damien (prénom modifié) a lui fait circuler un "sondage" pour alerter la direction: "50% des élèves se plaignaient de douleurs physiques quotidiennes, un quart manquait plus de la moitié des cours chaque semaine".
- Oubliés -
Les étudiants "se sentent abandonnés", enrage Léa, évoquant "le récent discours du Premier ministre dans lequel il parlait remontées mécaniques, stades de football, mais jamais des facs".
Des collectifs et syndicats d'étudiants de Mulhouse (Haut-Rhin) ont adressé dimanche une lettre à Emmanuel Macron, l'appelant à entendre leurs "appels à l'aide" et réclamant un "retour en présentiel dans les plus brefs délais" pour "sauver ce qui reste à sauver".
A Lyon, l'émotion s'est aussi emparée samedi de la communauté étudiante après la tentative de suicide d'un étudiant en droit qui s'est défenestré de sa résidence universitaire, sans que rien ne permette à ce stade d'expliquer son geste.
"Les suicides chez les jeunes malheureusement il y en a tout le temps, tous les ans (...) c'est toujours multifactoriel" mais "oui, on surveille ça", a réagi à Cergy la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal.
"L'impact psychologique est peut être encore plus fort à un âge où on crée du lien, où on se fait des amis, où on construit son réseau social", a-t-elle relevé, faisant part d'une "demande de consultation des psychologues qui augmente énormément", face à laquelle le ministère "a décidé de doubler le nombre des psychologues au sein des établissements".
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