Télévision : Canal+, trente ans de cinéma, de sport et d’impertinence

Auteur(s)
Astrid Seguin
Publié le 04 novembre 2014 - 12:29
Mis à jour le 05 novembre 2014 - 16:59
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Anniversaire Canal+ Les Guignols
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©Pierre-Emmanuel Rastoin/Canal+
"Les Guignols" sont un des programmes les plus connus de Canal+.
©Pierre-Emmanuel Rastoin/Canal+
Il y a 30 ans, le paysage audiovisuel français se dotait d’une quatrième chaîne. Canal+, première chaîne privée et première chaîne cryptée (donc payante), précurseur sur le terrain de l’humour, du football et du cinéma, tente aujourd’hui de tirer son épingle du jeu dans une offre télévisuelle démultipliée.

C’était un dimanche. Le 4 novembre 1984 au matin, la chaîne cryptée Canal+ fait son apparition sur les écrans de télévision des quelque 186.000 abonnés fondateurs. François Mitterrand est alors président de la République et le paysage audiovisuel français (PAF) ne s’est pas diversifié depuis la création de la 3e chaîne douze ans plus tôt. En 1981, lors de la campagne présidentielle, le candidat François Mitterrand avait fait de la libéralisation de l’audiovisuel un de ses engagements de campagne.

La naissance de Canal+, initialement baptisée Canal4, doit beaucoup à André Rousselet. L’homme est un proche de Mitterrand: il a été son directeur de cabinet à l’Intérieur et à la Justice avant que celui-ci accède à la présidence. Au moment de fonder Canal+, André Rousselet est président de Havas, aujourd’hui premier groupe publicitaire de France.

Les débuts de la chaîne sont difficiles, mais en 1985 Canal+ présente un bilan positif. Ses dirigeants multiplient les plages horaires en clair, qui sont autant de vitrines pour le grand public de l’offre de cette quatrième chaîne toute nouvelle.

La Cinq de Jérôme Seydoux et Silvio Berlusconi fera son apparition en 1985 et TF1 sera privatisée et vendue au groupe Bouygues en 1987 –les deux étapes suivantes du bouleversement du PAF qui en connaîtra ensuite bien d’autres.

Trente ans après, Canal+ reste historiquement la chaîne qui a apporté un sang neuf dans trois domaines, ses trois piliers essentiels: le sport (essentiellement le football), l’humour (avec l’impertinence et le fameux «esprit Canal») et le cinéma (films, séries et le célèbre film X du premier samedi du mois).

Elle a été aussi un accélérateur de carrière pour jeunes talents –journalistes, animateurs, artistes. Mais la concurrence menace aujourd’hui «l’esprit Canal» et la stabilité d’un empire audiovisuel lentement construit, dans un environnement de plus en plus concurrentiel.

 

> Le sport

Canal+ a révolutionné la retransmission du sport sur le petit écran, principalement le football. Avant sa création, les matches de Ligue1 passaient rarement à la télévision. La diffusion d’un match de Ligue1 par semaine sera décisive pour le décollage de la chaîne. Une diffusion accompagnée chaque dimanche soir, depuis 2008, d’un rendez-vous: le Canal Football Club.

En outre, la chaîne se lie fortement au Paris Saint-Germain, dont elle acquiert la propriété de 1991 à 2006 et dont Michel Denisot est un temps président.

Jusqu’à la fin des années 90, Canal+ reste la seule chaîne à avoir les droits télévisuels sur le football. TPS et Orange tentent de se placer sur le créneau, avec plus ou moins de succès. Mais ce sont surtout les Qataris de beIN Sports, arrivés en 2012 pour bouleverser le marché des droits de retransmission du football (puis d’autres sports), qui inquiètent aujourd’hui Canal+.

Celle-ci réclamait à son concurrent nouveau venu 293 millions d’euros pour «concurrence déloyale», mais a perdu son procès. Et beIN Sports a donc continué de grignoter le quasi-monopole de Canal+, notamment du côté du foot et du handball.

 

> Le cinéma

Canal+ fut la première à diffuser, tous les premiers samedis du mois après minuit, un film X. Une offre qui a dû lui valoir à l’époque quelques dizaines de milliers d’abonnés supplémentaires, mais qui n’est qu’une anecdote à la fois dans son offre de programmes et dans la place qu’a prise la chaîne dans le monde du cinéma français.  

Côté programmes, la chaîne diffuse de nombreux films 10 mois seulement après leur sortie au cinéma –soit bien avant les autres chaînes en clair–, et des séries, dont certaines sont autoproduites via sa filiale Canal+ Production (aujourd’hui StudioCanal) née en 1988. Plusieurs d’entre elles ont connu un fort succès comme Mafiosa en 2006 et récemment Les Revenants.

L’arrivée en France en septembre de l’Américain Netflix pourrait concurrencer cette branche d’activité de la chaîne.

Côté financement, Canal+ est devenu le principal bailleur de fonds du cinéma français –ce qui est logique puisque la grande majorité de ses programmes est composée de films. Cet engagement financier, prévu lors de sa création en 1984, se chiffre à «un milliard d’euros sur cinq ans», selon Nathalie Costes-Cerdan, directrice cinéma de Canal+. Très peu de films français qui sortent dans les salles ne bénéficient pas d’un financement de Canal+, d’une manière ou d’une autre (production, coproduction, participation au financement, etc.).

Et puisqu’elle se prétend «la chaîne du cinéma», Canal+ y ajoute le strass et les paillettes en organisant et en retransmettant (en clair) la soirée des César et les cérémonies d’ouverture et de clôture du Festival de Cannes.

 

> L’humour

L’humour a toujours eu une place de choix sur Canal+. Les deux émissions à succès Les Nuls (Alain Chabat, Bruno Carette, Dominique Farrugia et Chantal Lauby) et Nulle part ailleurs participeront dès 1987 à la naissance de «l’esprit Canal», comme plus tard Les guignols de l’info et le Service après-vente des émissions (SAV) d’Omar et Fred.

Un humour transgressif à ses débuts et aujourd’hui banalisé avec les années et la multiplication des chaînes. «Oui, il y a moins d’insouciance», concédait récemment au Figaro Magazine Antoine de Caunes. «Les interdits sont plus nombreux qu’à l’époque des Coluche et des Desproges».

Pour certains, Canal+ est devenue une chaîne bobo et parisienne, voire donneuse de leçons. Pour d’autres, elle reste un exemple en matière d’impertinence et de liberté de ton. Mais tous s’accordent à reconnaître que, dans un paysage audiovisuel très divers, la chaîne fait toujours beaucoup parler, en bien ou en mal.

Dans ses premières années, la chaîne avait même un impact certain sur l’opinion et la perception du monde politique que pouvaient avoir ses téléspectateurs –notamment les jeunes et notamment via Le Zaping et Les guignols de l’info. En 1995, cette dernière émission a conféré un capital sympathie élevé au candidat Jacques Chirac (via sa marionnette qui répétait «Mangez des pommes»), sans vraiment le vouloir. «Quand je pense qu'on a fait élire Chirac et qu'on n'est même pas ministres. On s'est fait niquer!», s’amuse Bruno Gaccio, l’un des coauteurs et responsables de l’émission.

 

©Xavier Lahache/Canal+

 

> Les grandes figures

Depuis trente ans, Canal+ est une usine à faire émerger les talents. Elle a conféré une notoriété grand public à son fondateur André Rousselet et au journaliste Pierre Lescure –qui deviendra en 1986 directeur de la chaîne.

Les présentateurs Philippe Gildas, Michel Denisot et Antoine de Caunes ont de leur côté façonné l’image de Canal+. Ce dernier, déjà à l’écran dans les années 80-90 en tant que chroniqueur, était chargé de faire rire dans Nulle part ailleurs. Oreilles géantes, lunettes-loupes, perruque banane, travestis costumés et soutanes de curé, tous les moyens étaient bons pour provoquer l’hilarité, avec son compère José Garcia. Il a fait son grand retour sur la chaîne cryptée en août 2013 pour y succéder à Michel Denisot comme présentateur du Grand Journal.

Plusieurs autres personnalités ont été lancées par Canal+ et sont aujourd’hui des vedettes du cinéma: outre José Garcia, Jamel Debbouze, Omar et Fred (qu’on n’appelle plus seulement par leur prénom, désormais), sans oublier les célèbres Miss Météo rigolotes devenues actrices (Louis Bourgoin, Charlotte Le Bon, Pauline Lefèvre, etc.).

Le groupe Canal+, aujourd’hui filiale de Vivendi, perd des abonnés mais en compte toujours plus de 9 millions en 2014. Le défit reste de taille pour ce mastodonte de la télévision payante: durer et durer encore, face à la concurrence et à la volatilité des téléspectateurs. En ce début novembre, plusieurs émissions spéciales et soirées événements viennent célébrer les 30 ans de ce qui fut une mini-révolution dans l’histoire de la télévision française.

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