L’Union européenne et le livre numérique : "That is not a book"
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a condamné la France le 5 mars 2015, à la demande de la Commission européenne, gardienne des traités, considérant qu’elle enfreint la règlementation européenne en appliquant un taux de TVA réduit de 5,5% sur le livre numérique (le même que pour le livre papier) au lieu du taux normal de 20% pour l'ensemble des biens et services en France.
La Cour a estimé que le livre numérique, en l’absence de support physique, ne peut pas être considéré comme un bien mais comme un service. Cette décision est sujette à controverse au sein de l’Union européenne: le livre numérique est-il un livre comme les autres?
En novembre 2006, l’Union européenne avait adopté une directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Cette taxe générale à la consommation s’applique aux activités commerciales impliquant la production, la distribution de biens et la prestation de services à l’échelle européenne. Par exception, la directive prévoit que des biens et services peuvent faire l’objet de taux réduits. Dans cette liste se trouve "la fourniture de livres, sur tout type de support physique".
Or, la Cour souligne que "si, certes, le livre électronique nécessite, aux fins d’être lu, un support physique, tel qu’un ordinateur, un tel support n’est cependant pas compris dans la fourniture de livres électroniques".
De plus, la directive exclut catégoriquement du taux réduit de TVA les "services fournis par voie électronique". Dans la logique précédente, la Cour considère que "le support physique permettant la lecture de ce livre, qui pourrait être qualifié de biens corporels, est absent lors de la fourniture. Il s’ensuit que (…) la fourniture de livres électronique doit être qualifiée de prestations de services". A fortiori, les Etats membres avaient choisi d’inclure "le contenu numérisé de livres" dans cette catégorie des services fournis par voie électronique.
Par conséquent, le livre électronique ne rentre pas dans les exceptions prévues par la directive et ne peut bénéficier d’un taux réduit de TVA.
En réaction à cette décision de la Cour, le Syndicat national français de l’édition (SNE) a lancé une campagne sur les réseaux sociaux intitulée "Un livre est un livre" avec le mot clé #ThatIsNotABook. Christine de Mazières, secrétaire générale du syndicat, a expliqué au journal Le Monde "qu’il s’agit de montrer qu’un livre est une œuvre qui ne change pas, quel que soit son support, et que dans ces conditions, il apparaît absurde de le taxer différemment".
Pour les autorités françaises, le livre, physique ou non, est considéré comme un bien de première nécessité, ce qui justifiait un taux réduit. La question d’un taux de TVA identique pour les livres papiers et numériques divise cependant les Européens. Seuls la France, le Luxembourg (deux pays condamnés sur ce point le 5 mars 2015) et l’Italie (depuis janvier 2015) pratiquent un taux de TVA réduit identique pour les livres papiers et numériques. Tous les autres pays européens taxent au taux normal les livres numériques. Le Royaume-Uni et l’Irlande, où le livre papier bénéficie d’une exonération de TVA, pourraient voir d’un mauvais œil les tentatives de modifier la législation européenne, craignant à terme une remise en cause de cette exonération.
On peut s’interroger sur les conséquences de cette décision de la Cour de justice sur le marché du livre numérique. Si les ventes ont progressé sur l’ensemble du territoire européen, la part du numérique reste encore faible. Pour autant, le retour à un taux de TVA à 20 % entraînera indubitablement une augmentation du prix du livre numérique en France gênant ainsi son essor.
En attaquant la France et le Luxembourg devant la Cour de justice, la Commission européenne met-elle un frein au développement du numérique ou au contraire souhaite-t-elle protéger le livre et les consommateurs européens de l’oligopole des "GAFA" (Google, Apple, Facebook, Amazon)? That is the question.
(Avec la contribution de la Maison de l’Europe de Paris)
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