"Un peuple", fidèle immersion dans l'épopée des Gilets jaunes
CRITIQUE — Le 17 novembre 2018, les Gilets jaunes entament un mouvement qui marquera l'histoire. Dans le film-documentaire "Un peuple", le réalisateur Emmanuel Gras choisit de s'immerger au sein de ces collectifs, pour un récit d'une partie de la vie des Gilets jaunes de Chartres, des ronds-points à Paris, la première année du mouvement.
L’enthousiasme des débuts, la découverte de la lutte collective
Caméra au poing, Emmanuel Gras suit le quotidien d'Agnès, Benoît, Nathalie, Allan… Un groupe de Gilets jaunes chartrains qui s’engagent à corps perdu dans la lutte collective. Ces personnes, jusqu’alors isolés dans leurs difficultés, se rassemblent sur ce rond-point pour partager leur sentiment d’injustice sociale et leur mépris envers un pouvoir trop éloigné d’eux. Une des femmes explique d’ailleurs qu’elle appelle ses compagnons de rond-point « les gueux », car c’est de cette manière qu’elle se sent considérée par la classe dirigeante.
Ce sentiment d’injustice sociale crée une force chez ces individus qui sortent de chez eux chaque samedi pour braver le froid, monter des actions parfois risquées, résister aux intimidations policières, organiser des manifestations de plus de centaines de personnes… Ces exemples d’implication sont accompagnés de témoignages sincères, qui permettent de donner une humanité, un visage à ce mouvement trop souvent stigmatisé par les médias et réduit à sa violence.
Des images de guerre
Les images des manifestations, pourtant déjà amplement diffusées dans les médias, nous emportent, car nous les découvrons sous un nouvel angle. La question de la violence ne fait pas l’objet d’un parti pris, l’agressivité des forces de l’ordre est présentée tout autant que celle d'une partie des manifestants. La caméra suit les protagonistes et nous nous retrouvons au centre de la manifestation, en plein cœur de l'action qui évoque presque des scènes de guerre. Elles montrent la réalité du terrain sans toutefois tomber dans le sensationnalisme : pas d’image de blessés ou de sang, mais des barricades, des bousculades, des pierres lancées et reçues… Les images se suffisent à elles-mêmes.
Quand le mépris et l’ignorance sont la seule chose que ces manifestants récoltent de la part du gouvernement, la violence est pour certains le seul moyen de se faire entendre. Mais la plupart de ces personnes n’étaient pas préparées à de tels affrontements. Agnès, une des protagonistes confie que les images d’affrontement avec la police, notamment lorsqu’elle fut coincée sur le rond-point de l’Étoile lors de l’Acte II, furent un traumatisme et restèrent dans son esprit longtemps après l’événement.
Les tentatives de structuration du mouvement jusqu'à l'épuisement
Le caractère immersif du documentaire permet de comprendre les mécanismes d’auto-organisation du mouvement des Gilets jaunes. Leur manque de structuration leur a souvent été reproché, mais c’est aussi cette fraîcheur qui a fait la force de ce courant. Emmanuel Gras pose ici la question de la difficulté concrète d’organiser un mouvement né spontanément à l’échelle nationale. Des « leaders » apparaissent naturellement au sein du groupe, mais parviennent-ils pour autant à éviter de reproduire les erreurs démocratiques de ceux qu’ils critiquent ?
« Au fur et à mesure du tournage, j’ai compris qu’il s’agissait pour moi de faire exister la vibration intérieure d’un mouvement populaire, avec ce qu’elle peut avoir d’harmonieux et de chaotique », explique le documentariste.
Dans « Un peuple », Emmanuel Gras filme l’énergie vitale qui anime ces individus, leur force et leur humanité, sans vouloir cacher les instants de doute, de peur, d’errance ou d’incompréhension, qui existe aussi. Il n’est pas question de diaboliser ou d’angéliser les Gilets Jaunes, seulement d’essayer d’en faire un portrait réaliste.
Immortaliser les problèmes de communication
Le documentaire saisit des conversations entre les acteurs principaux du groupe des Gilets jaunes et des personnes extérieures à leur mouvement. Face à un patron d'une grande enseigne ou à des membres du parti politique « La République en marche », on voit la difficulté pour ces citoyens révoltés de se faire entendre et comprendre. Chacune de ces discussions met en exergue les différences de perceptions de la vie et de la misère des Gilets jaunes.
Malgré l'impact du Covid, le mouvement se poursuit et prend parfois d'autres formes. Le documentaire rend justice à l’engagement sincère de ces individus décidés à faire bouger les choses. Les deux années passées depuis la fin des Gilets jaunes révèlent cependant à quel point les raisons de leur colère restent toujours autant, voire davantage d'actualité.
Un peuple, 1h45min, un documentaire d'Emmanuel Gras, en salle le 23 février 2022.
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