Réanimation : des chiffres et des ombres

Auteur(s)
FranceSoir
Publié le 20 mars 2021 - 11:38
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AFP
Réanimation, des chiffres et des ombres
AFP
Principal indicateur sur lequel s'appuie le gouvernement pour justifier ses décisions sanitaires, le nombre de personnes en réanimation pour cause de covid reste empreint d'une grande opacité. Explications. 
 
Différences entre réanimation et soins critiques 
 
Le nombre de personnes hospitalisées en réanimation pour cause de covid qui nous est indiqué chaque jour par les chaînes d'info en continu et par le gouvernement est issu de Santé Publique France, site recensant toutes les statistiques officielles concernant la pandémie en France. Selon ces statistiques, le nombre de personnes en réanimation était de 4246 au 18 mars 2021.
 
Cependant, lorsque l'on se rend sur Santé Publique France, on constate que ce chiffre correspond à la somme des personnes en « réanimation », en « soins intensifs » et en « surveillance continue ». Ces trois services de soins critiques sont différents et ne correspondent pas aux mêmes types de lits hospitaliers. Par exemple, une personne sous oxygénothérapie n'est ni intubée, ni sédatée, et n'occupe pas un lit de réanimation mais un lit de soins intensifs. Elle sera néanmoins comptabilisée comme étant en réanimation alors que ce n'est pas le cas. Il en est de même pour une personne gardée en observation sans assistance respiratoire : elle occupera un lit de surveillance continue mais sera recensée comme étant en réanimation. 
 
Pour résumer, ce chiffre de 4246 est surévalué puisqu'il comptabilise les patients en soins intensifs et en surveillance continue qui eux ne sont pas en réanimation. Cette confusion sémantique serait sans importance si elle s'appliquait également au nombre de lits de réanimation. Sauf que ce n'est pas le cas : les lits de réanimation n'englobent pas les lits de soins intensifs et de surveillance continue. Il existe environ 5 800 lits de réanimation et 14 000 lits de soins intensifs et de surveillance continue. Les taux d'occupation des services de réanimation sont donc faussés puisque les 4246 patients ne devraient pas être rapportés aux 5 800 lits de réanimation, mais à l'ensemble des lits de soins critiques, soit environ 20 000 lits. 
 
La répartition entre réanimation, soins intensifs et surveillance continue est inconnue 
 
La répartition exacte des patients entre les trois services de soins critiques reste mystérieuse ce qui empêche de connaître le véritable nombre de personnes en réanimation. Il est également difficile de savoir à quel niveau se réalise la fusion des effectifs. Est-ce Santé Publique France qui décide sciemment de ne pas donner cette information ou bien les hôpitaux qui livrent un chiffre global non détaillé ? La question reste entière. Un autre chiffre qu'il serait judicieux de connaître est le nombre de « personnes en réanimation et en soins intensifs hors-covid » afin d'évaluer la réelle saturation des hôpitaux. Mais là encore, aucune communication gouvernementale sur ce paramètre qui pourrait, s'il était élevé, être d'une grande aide pédagogique pour dissiper le scepticisme d'une partie de la population. 
 
Un nombre de lits de réanimation minoré 
 
L'hôpital public compte 5 800 lits de réanimation en capacité initiale. Cependant, il a la possibilité de transformer certains de ses lits de soins intensifs et de surveillance continue en lits de réanimation (il le fait déjà actuellement). Et c'est là qu'un nouveau problème intervient : les taux d'occupation en réanimation ne prennent pas en compte cette augmentation. Si par exemple 2 000 lits de réanimation étaient ouverts, le taux d'occupation réel devrait être calculé par rapport à la nouvelle quantité totale de lits, soit 7 800. Or, depuis le début de la crise, les organismes officiels calculent cet indicateur par rapport à la capacité initiale de 5 800 lits ce qui induit inévitablement un gonflement de cette statistique.
 
Les cliniques privées inégalement sollicitées 
 
Selon Lamine Gharbi, le président de la Fédération de l'hospitalisation privée, environ 2 000 lits de réanimation (en plus des 5800 du secteur public) sont mis à disposition par les établissements privés pour prendre en charge les patients covid depuis novembre 2020. A l'heure actuelle, une partie des cas graves nécessitant une hospitalisation en réanimation a déjà été redirigée vers ces établissements. Mais il existe des inégalités territoriales : dans certaines régions, le privé prend en charge 20 à 30% des patients tandis que dans d'autres seulement 7 à 8%. Ces disparités géographiques seraient dues à la frilosité qu'ont certaines ARS (agences régionales de santé) à faire appel au secteur privé. 
 
Source : Gouvernement.fr
 
 
Bilan : les chiffres de réanimation peuvent être trompeurs 
 
Pour le grand public, 4246 patients covid sont actuellement en réanimation en France ce qui représenterait un taux d'occupation des lits de réanimation d'environ 73% juste pour le covid. La réalité est pourtant différente. Parmi ces 4246 personnes, certaines ne sont tout simplement pas en réanimation mais bien en soins intensifs ou en surveillance continue ce qui n'est pas la même chose. Le nombre de patients covid occupant un lit de réanimation est donc inférieur à 4246. Dans quelles proportions ? Seuls les hôpitaux ont accès à cette information. De la même façon, le taux d'occupation des lits de réanimation est en réalité plus faible que les 73% annoncés. En premier lieu parce qu'il prend en compte ce nombre de 4246 qui est surévalué, mais aussi parce qu'il sous-évalue le nombre total de lits de réanimation en excluant les lits temporaires et les lits du secteur privé qui sont pourtant sollicités. 
 
« Méthodologie de calcul alambiquée »
 
Une « méthodologie de calcul alambiquée », c’est ainsi que le service « CheckNews » du quotidien Libération décrivait le décompte des patients en « réanimation » dans un article du 30 octobre 2020 : « les communications officielles utilisent le terme «patients en réanimation» pour désigner tous les patients atteints du Covid-19, placés en soins critiques. C'est-à-dire dans les services de réanimation à proprement parler, mais aussi en unités de soins intensifs (SI) ou en unités de surveillance continue (SC). (…) On connaît, chaque jour, le nombre de patients Covid en soins critiques (…). Mais pas la répartition. Et donc pas le nombre de patients Covid occupant des lits en réanimation.»
 
Un des autres problèmes posés par cette méthode de calcul est qu’elle génère des aberrations statistiques comme des taux d’occupation en réanimation supérieurs à 100% (par exemple 120% dans les Hauts-de-France selon un article de FranceInfo du 17 mars dernier).  Comment ? Imaginez un hôpital comptant dix lits en réanimation, dix lits en soins intensifs et dix de plus en surveillance continue. Imaginez 5 patients covid dans chacun de ces services, donc 15 patients en tout, et donc 5 patients pour 10 lits en réanimation réelle, soit un taux d’occupation de 50% dans ledit service. Avec la méthode de calcul des autorités sanitaires, on décompte 15 patients covid pour 10 lits, soit 150% d’occupation. 
 
La saturation comme seul horizon ?
 
« Si la situation le nécessite, 12.000 lits de réanimation pourront être disponibles » avait annoncé Olivier Véran le 27 aout 2020. On en est pourtant officiellement à 5800 sept mois plus tard, le Canard Enchainé avait d’ailleurs de son côté relevé dans un article du mois d’octobre (qui a refait surface récemment) qu’en Ile-de-France la capacité d’accueil en « soins critiques » était passé de 2500 à 1700 en six mois, soit une baisse de 30%. Quoiqu’il en soit on ne se privera pas de noter que comme le montre ce graphique publié par CNEWS les seuils de saturation ont été allègrement franchis en 2017, 2018 et 2019 sans que cela ne provoque de réponse sanitaire particulière. 
 


Pour ajouter encore à la confusion sur ces indicateurs pourtant brandis par l'exécutif pour justifier ses choix, certains médecins médiatiques ont relativisé la saturation, expliquant qu'elle pouvait être un effet pervers du fonctionnement de l'hôpital public (professeur Peyromaure sur CNews, voir ci-après), ou bien que la tension était réelle mais que la saturation n'était pas acquise (Dr Kierzek sur LCI, voir ci-après).

Le tableau ainsi dressé devrait ajouter au désarroi des Français qui semblent de plus en plus réservés à l'égard des chiffres qu'on leur assène. Malgré la transparence revendiquée par l'exécutif, l'opinion publique apparaît en effet sujette à un certain scepticisme, adoptant le fameux "les chiffres sont comme les gens : si on les torture assez, on peut leur faire dire n'importe quoi".

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