La mission de chacun

Auteur(s)
Rorik Dupuis Valder pour France-Soir
Publié le 08 avril 2025 - 16:30
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Une société qui fonctionne est une société où chacun est à sa place. Mais qu’est-ce qu’être à sa place ? Question délicate, presque taboue, à une époque où règnent les publicitaires et les démagogues, dont la mission consiste à faire croire, au nom de la religion égalitaire, que n’importe quel consommateur obéissant est un génie en puissance, une star qui s’ignore, pouvant prétendre à la gloire et la fortune au même titre que ses idoles. Reine des croyances née de l’ultralibéralisme à l’américaine — qui amène les gens à se shooter, tant aux opioïdes qu’au fusil d’assaut, dans les rues sous l’œil des marmots… —, c’est la success story pour tous.  

Eh oui, le monde d’Internet regorge de génies virtuels, influenceuses, youtubeurs, hommes-sandwiches 2.0 et autres modèles de parasitisme égocentrique, cumulant les « vues » et les « followers » comme on cumule des points de crédit social, tandis que le monde des médias traditionnels, avec ses mauvais acteurs cooptés, chanteurs de kermesse et romanciers de supermarché élevés au rang de vedettes, regorge lui aussi de génies désespérément virtuels… Mais attention, mes frères et sœurs, voici venu le temps de l’IA ! Alléluia ! Pour ma part, si les écrans m’irritent les yeux comme un poison obligé (sans doute suis-je encore trop sauvage pour cela), je m’efforce tout de même d’offrir aux lecteurs de France-Soir un peu d’espoir et de matière à réflexion, car j’ai comme l’impression que l’esprit critique n’est plus tellement en vogue dans les journaux, non ?…  

Être à sa place, cela signifie simplement que chacun, selon ses caractères et ses prédispositions naturelles, ses compétences et ses expériences, est tenu d’occuper un emploi, un poste, un statut en adéquation avec ceux-ci, mettant ainsi son savoir-faire et son engagement au service de la collectivité, dont il reçoit une juste reconnaissance basée sur le principe élémentaire de mérite. Car il me semble que l’on se définit d’abord, socialement et personnellement, par son travail, son métier. Jusque-là, rien de révolutionnaire, n’est-ce pas ?  

En ce sens, nous ne sommes pas tous égaux devant la tâche : travaux manuels, physiques, intellectuels, créatifs, etc., il y en a pour tous les profils, toutes les sensibilités. Rassurons-nous, « la nature est bien faite » (formule assez peu inclusive, je vous l’accorde…) ! Ainsi, l’on pourrait catégoriser les missions humaines, au sein de la collectivité, en les synthétisant en verbes d’action : nourrir, soigner ou bâtir pour les missions « primaires », aider, former et organiser pour les missions « secondaires », puis servir, divertir, etc. Alors que le leitmotiv des pseudo-progressistes aux affaires est de faire croire à chacun, au nom d’un égalitarisme insensé, qu’il est en droit de se définir par un verbe d’état : être, sembler, paraître, rester, demeurer, avoir l’air… Par exemple, être de gauche ou de droite, paraître heureux, sembler compétent, rester solidaire, avoir l’air important, etc. La passivité et le formalisme étant encouragés et valorisés, au détriment de l’esprit d’initiative, par un système qui ne cherche qu’à contrôler : bienvenue dans la zombie nation, où les images et les algorithmes font la loi ! 

Sans oublier qu’éduquer, d’une façon ou d’une autre, est la mission universelle, le premier travail (et probablement le moins évident) de tout parent qui se respecte. Et le rôle social de l’enseignant, en plus d’instruire, est de révéler les talents de chacun (ce qui demande parfois beaucoup d’imagination… hum…), de les stimuler et les accompagner au mieux, dans la mesure où, selon l’adage, « il faut de tout pour faire un monde ». Voilà ce qu’est, véritablement, une « politique inclusive » : donner à chacun la possibilité de se rendre utile. De s’occuper intelligemment. 

Pour avoir exercé comme enseignant et éducateur auprès de publics très divers, des gamins des bidonvilles du Caire aux enfants de la haute bourgeoisie parisienne, je dirais que l’être en construction, quel que soit son milieu, est fondamentalement partout le même : il ne demande qu’à s’élever. Apprendre et comprendre. Mais une société qui pratique — plus ou moins ouvertement — le favoritisme, où le mensonge et la triche restent impunis pourvus qu’ils servent les idéologues au pouvoir, ne sera jamais fonctionnelle dans la mesure où elle préfèrera toujours un usurpateur soumis à un innovateur honnête ; alimentant les frustrations, les tensions et les conflits au sein de la population du fait des injustices ainsi permises. Quoi de plus frustrant pour un être talentueux de se voir empêché de s’élever à hauteur de son talent ?    

À tous les camarades de la précarité, d’ici et d’ailleurs, à tous les amis résistants, jeunes, chômeurs ou retraités, j’aimerais dire ceci : continuez. Votre ténacité vous ennoblit chaque jour un peu plus. Et la meilleure façon de ne pas céder à la peur ou au désespoir est de prendre la vie comme un jeu. Comme une expérimentation permanente. Une source infinie d’émerveillement et d’amusement. En couple, au travail, dans la rue ou dans les montagnes, dites-vous que la résilience vous est donnée. Nous sommes beaucoup à attendre, que quelque chose se passe, que la situation enfin se débloque. Nos gestes et nos mots nous semblent parfois dérisoires devant la machine infernale du mensonge et de la corruption, mais nous surestimons l’adversaire : cette machine de destruction n’est active que par les manœuvres d’une infime minorité. Nous avons avec nous la force du nombre. Tout est affaire de coordination. 

Je n’ai rien de particulier contre les mafieux dès lors qu’ils s’éliminent les uns les autres ; mais les grands problèmes naissent toujours d’une balle perdue… Au moins, le mafieux, s’il a toute sa tête, ne fera jamais de foutu live TikTok pour filmer ses exploits comme la greluche à filtres est fière de montrer au monde ses nouvelles godasses. Notre problème, aujourd’hui, ce sont ces communicants semi-mafieux au sommet de l’État qui prennent en otage un peuple sidéré par leur sans-gêne… Question : la démocratie est-elle réellement démocratique ? 

Nous, pauvres pèquenots en goguette qui n’avons appris la morale ni dans la Bible ni devant la télé mais dans le regard de nos parents et avec quelques proverbes d’instit, nous aspirons seulement à la paix. Une paix non rentable pour l’autorité corrompue adepte de la stratégie de « diviser pour mieux régner ». Il faut bien vendre du flingue et du médoc pour alimenter le cercle vicieux des lobbyistes pactisant, où la chair à canon et la chair à cacheton se disputent le privilège de crever convenablement pour le Système.  

Et, coincé entre le techno-capitalisme occidental et le techno-collectivisme oriental, l’homme d’esprit européen regarde les vaches qui regardent passer les trains. C’est beau, une vache. Pourquoi en faire une injure ? Enfin, gare aux penchants suicidaires — voire ethnocidaires — d’Homo smartphonus, traversé d’ondes et de pulsions en tous genres ! Loin de nous, apprentis sorciers et fous belliqueux ! Sachez que nous nous réclamons d’Homo sapiens ! 

Être à sa place, c’est aussi avoir l’humilité d’y rester ou l’intelligence de s’y imposer. Pour illustrer l’assertion, j’évoquerai ici ce phénomène assez fascinant, venu avec l’apparition des transducteurs électroacoustiques et l’amplification de la voix humaine, que j’appelle « le pouvoir du micro » : avez-vous remarqué comme les tribunes attirent immanquablement les escrocs ? et comme les gens sont indulgents envers ces mêmes escrocs ? De l’animateur de salle des fêtes au président de la République en passant par le journaliste officiel ou la chanteuse « fille de », il est toujours stupéfiant de voir avec quelle facilité les moins légitimes d’entre tous s’emparent du microphone et monopolisent la parole pour abrutir ou manipuler leur auditoire… Stupéfiant aussi de voir avec quel zèle les gens applaudissent l’insignifiance et la malhonnêteté… Y compris dans les tribunaux. 

Bref, peut-être le temps est-il venu de débrancher, enfin, les micros des escrocs (sans accrocs !), et de retrouver la liberté de dire « ta gueule » à qui le mérite. « Ta gueule », voilà un premier cri de ralliement populaire qui me semble assez pertinent dans un monde où le baratin est la règle, l’emportant systématiquement sur l’action et la vérité. Faux artistes, faux experts, faux journalistes, faux politiciens, qui ne devez votre légitimité qu’au pouvoir de la sonorisation et à votre place devant le microphone, préparez-vous à la panne de courant générale ! Ni divine, ni robotique, voici venu le temps de l’intelligence humaine ! Celle-ci ne triomphera peut-être pas de façon spectaculaire, mais au moins aura-t-elle l’insolence d’exister. De nous faire vibrer, agir et espérer. 

 

 

 

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