Chronique COVID N°9 – « Les réanimations ont été submergées »
Le témoignage de vérité du Pr Xavier Lescure (cliquer sur le lien pour écouter l’enregistrement audio), du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Xavier Bichat, AP-HP, Paris, un reportage sur France Info diffusé le 17 avril 2020, une dizaine de jours après le pic des décès covid-19 à l’hôpital :
« On s’est fait submerger par la vague, clairement on s’est fait submerger dans le Grand-Est, on s’est fait submerger dans les Hauts-de-France, et on s’est fait submerger en Île-de-France… »
Le 28 mars, Edouard Philippe expliquait en conférence de presse que notre capacité de réanimation en France était de 5.000 lits.
Olivier Véran poursuit en indiquant que « les réanimations sont des services de médecine dans lesquels on peut hospitaliser des patients en état très sévères, allant parfois jusqu’à les mettre en coma artificiel et procéder à ce que l’on appelle une intubation et une ventilation mécanique pour les aider à respirer… Les capacités de la France en réanimation ont été augmentées grâce à la déprogrammation [des « soins non urgents »] et grâce à la mobilisation de tous les hôpitaux, à 10.000 lits. Désormais, nous souhaitons atteindre un objectif de 14.000 à 14.500 lits de réanimation sur tout le territoire national ».
Lors de la seconde conférence de presse, le 19 avril, Edouard Philippe expose qu’habituellement, la capacité des réanimations est de 5.000 lits, mais que la plupart de ces lits sont occupés. Tant et si bien que le volant disponible de lits est estimé à 500. Il prévoyait l’afflux de patients covid-19 en détresse respiratoire dans un état grave à hauteur de 10.000 voire plus. Du coup, pas fameux en math notre Edouard. En effet, la cible d’une capacité augmentée des lits pour faire face à la vague aurait dû être 4.500 + 10.000 = 14.500, en lieu et place des 10.500 inscrits sur le tableau à côté du Premier Ministre…
Katia Julienne, Directrice générale de l’offre de soins (DGOS), donc en charge notamment des hôpitaux, affirmait aussi le 23 avril 2020 devant les députés de la mission d’information parlementaire que la capacité en lits de réanimation avait été portée à 10.500 lits.
Quid des 14.000 à 14.500 d’Olivier Véran ????
Lors de son audition par la Commission d’enquête, deux mois et demi après la 1ère conférence de presse d’Edouard Philippe, le 16 juin 2020, le Directeur général de la santé saluait à son tour la prouesse d’avoir doublé la capacité des réas.
Personnellement, connaissant les normes draconiennes et les exigences réglementaires auxquelles doivent se conformer les réanimations et unités de soins intensifs, à tous points de vue, équipements et matériels, personnels, propreté, je n’ai jamais cru que l’on puisse en quelques jours ou quelques semaines doubler leur capacité
A vrai dire, quelque chose ne collait pas.
La réponse à mon interrogation allait mettre apportée par le Dr Lila BOUADMA, réanimatrice à l’hôpital Xavier BICHAT, AP-HP, Paris, qui s’exprimant devant la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale, n’a pas maché ses mots :
« Chaque hôpital, chaque structure de soins, a progressivement augmenté sa capacité en trouvant des lits dans des structures qui ne sont pas adaptées à la réanimation, qu’on a rapidement essayé d’adapter à la réanimation »
Le médecin réanimateur poursuivait :
« Là, je pense que c’est quelque chose qu’il ne faut pas renouveler et qu’on peut dès à présent réfléchir à comment on ouvrira des lits, dans quel ordre, dans quels hôpitaux, à quel endroit. Et les adapter dès maintenant à des soins de réanimation qui ne seront pas comme dans des services de réanimation, mais qui seront bien meilleurs ».
Olivier Véran avait abordé le 28 mars la problématique de « tensions sur l’approvisionnement en médicaments ». Le Ministre de la santé a précisé que « certains médicaments sont indispensables pour la réanimation » et a assuré que « À chaque fois qu’un établissement de santé nous fait part de difficultés pour s’approvisionner, ou nous fait part de difficultés sur les stocks qui lui restent, nous mettons tout en œuvre pour lui fournir ce médicament à partir des stocks nationaux ou territorialisés dont nous disposons ». Il a ajouté que « toutes les entreprises qui fabriquent des médicaments en France, en Europe comme dans le Monde, sont totalement mobilisées… »
Lila BOUADMA confirme aux députés que « beaucoup de réanimateurs, et en particulier dans son service, manquaient de médicaments, les curares en particuliers »
Sur les respirateurs, également indispensables à la réanimation des patients covid-19 en détresse respiratoire les plus sévèrement atteints, le Ministre le 28 mars a garantie que « Nous avons monté en gamme tous les respirateurs que nous pouvions monter en gamme. Nous sommes allés récupérer partout où ils étaient sur le territoire national les respirateurs pour les rendre disponibles aux hôpitaux à mesure qu’ils en avaient besoin. Au-delà, nous avons passé des commandes à tous les producteurs et notamment, un producteur français, Air Liquide, avec une commande qui porte sur plus de mille respirateurs supplémentaires, c’est à ce prix que nous pourrons passer le nombre de lits équipés de 10.000 à 14.000. Et puis, nous regardons aussi à l’étranger, à travers des commandes, mais également à travers des prêts et je tiens à remercier nos collègues allemands qui ce matin encore nous livraient pour la région Grand-Est 25 respirateurs très utiles pour les malades »
Mais, ici aussi, il y a loin du discours très policé du Ministre qui se veut rassurant et convaincant, à la triste réalité qui a dû désespérer plus d’un réanimateur ou d’une réanimatrice…
Lila BOUADMAD « Les respirateurs, bien évidemment, on a failli en manquer. Dans mon service se posait tous les soirs la question de savoir si on pourrait ventiler le prochain malade. On a utilisé des ventilateurs de domicile qu’on avait demandé à des sociétés privées. Il y a un certain nombre de ventilateurs qui ont été fabriqués, des ventilateurs de transport fabriqués en urgence, qui ne sont pas adaptés à la ventilation de malades qui ont le coronavirus à la phase aiguë… Et puis surtout, il ne suffit pas pour faire de la réanimation d’avoir des respirateurs. On pourrait en avoir 10.000, 30.000, il faut des gens, il faut des médecins, il faut des soignants, il faut des bouteilles d’oxygène, et ça on ne l’a pas. Donc, 10.000 ventilateurs, je ne vois pas très bien moi personnellement, comment on aurait pu mettre le personnel derrière. Voilà. »
« Tous les établissements publics, tous les établissements privés, sont mobilisés dans la lutte contre cette épidémie » assurait notre jeune Ministre de la santé le 28 mars.
Ce n’est pas tout à fait le témoignage recueilli de la part des acteurs de terrain, et il faut saluer encore le courage de Lila BOUADMA qui n’a pas failli devant la représentation nationale constituée en commission d’enquête :
Enfin, il y a eu tous ces transferts de malades dans un état critique, dont on ne sait pas d’ailleurs combien auront survécu, en hélicoptères, en avions militaires ou en TGV « sanitaires », depuis les régions submergées (Grand-Est, Hauts-de-France, Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté) vers l’ouest et le sud-ouest, moins touchés ou vers des pays frontaliers, qui eux, possédaient encore des capacités en réanimation, l’Allemagne, le Suisse, le Luxembourg.
Franchement, on n’organise pas de tels transferts s’il subsiste des capacités de réanimation…
Olivier Véran à propos de ces transferts, lors de la conférence du 28 mars :
Bref, les hôpitaux, les réanimations ont bel et bien été submergées, contrairement à ce qui nous a été dit.
L’affirmation du Chef de l’État, alors qu’il s’apprêtait le 13 avril à annoncer le déconfinement progressif à partir du 11 mai, selon laquelle « Les hôpitaux français ont réussi à soigner tous ceux qui s’y présentaient », était un mensonge d’État.
Encore plus, lorsque l’on sait que les plus âgés de nos concitoyens se sont vus fermer les portes de l’hôpital et des réanimations…
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