Le patron de Telegram Pavel Durov interpellé à Paris, la France “refuse de coopérer” selon Moscou
Pavel Durov, patron milliardaire de la messagerie instantanée Telegram, a été interpellé samedi 24 août 2024 à l’aéroport du Bourget près de Paris, peu après son atterrissage. Le franco-russe de 39 ans, natif de Russie et informaticien de formation, faisait l’objet d’un mandat de recherche émis par les autorités françaises. La justice lui reproche particulièrement de “ne rien faire” contre l’utilisation criminelle de son application par des utilisateurs ainsi que son intransigeance en matière de confidentialité des abonnés, notamment pendant les enquêtes. Moscou a exigé un accès consulaire à son citoyen mais Paris ne démontre pas encore une volonté de coopérer.
Pavel Durov a co-fondé la messagerie cryptée Telegram en 2013 avec son frère, Nokolaï. Cet informaticien de formation avait d’abord co-fondé un réseau social réputé en Russie, à savoir VKontakte. Il expliquait en avril dernier que l’idée de lancer une messagerie instantanée cryptée lui est justement venue suite aux pressions des autorités russes sur VK, vendu en 2014.
La politique de modération de Telegram incriminée
Celui qui se dit opposant au président russe Vladimir Poutine a été naturalisé français en 2021, après avoir obtenu celle de Saint-Christophe-et-Niévès, un paradis fiscal situé dans les Caraïbes. Avant de s’établir à Dubaï et y installer le siège de la société, il a expliqué s’être rendu à Berlin, Londres, Singapour puis San Francisco. Mais l’environnement des affaires était plus propice aux Emirats, particulièrement pour leur “neutralité”.
Accompagné samedi soir de son garde du corps et de son assistante pour un voyage de Bakou à Paris où il devait diner, Pavel Durov a été interpellé par les autorités françaises. Il faisait l’objet d’un mandat de recherche émis par l’office chargé de la lutte contre les violences faites aux mineurs (Ofmin), en sa qualité de coordinateur d’une enquête préliminaire pour des infractions liées à l’escroquerie, au trafic de drogues, au cyberharcèlement, ou encore à la criminalité organisée.
Il est reproché à Pavel Durov un laxisme en matière de modération de sa messagerie instantanée, ainsi que des contenus d’utilisateurs, pouvant faire l’apologie du terrorisme, voire de la fraude, ainsi que de propager pour certains des contenus haineux, néonazis ou pédophiles. Il est surtout reproché au patron de Telegram, qui dit s’opposer à toute forme de “censure”, son intransigeance vis-à-vis de la confidentialité des utilisateurs ainsi qu’un manque de collaboration les services d’enquêtes.
L’Union européenne avait d’ailleurs pris contact avec Telegram pour évoquer sa conformité avec la nouvelle législation sur le contenu en ligne. La société a alors nommé un représentant légal en Belgique pour se conformer au Digital Services Act (DSA), bien que Telegram n'ait pas encore été désigné comme une "très grande plateforme en ligne" (VLOP) sous les règles de l'UE.
Des enquêteurs cités par la presse, qui se félicitent de la “fin de l’impunité de Telegram”, ont affirmé que Pavel Durov savait qu’il était recherché. Il devait être présenté à un magistrat hier, dimanche.
Moscou appelle Paris à coopérer
La nouvelle a vite fait réagir Moscou. L’ambassade russe à Paris a annoncé avoir “immédiatement demandé aux autorités françaises d’expliquer les raisons de cette détention”. “Nous avons exigé que ses droits soient protégés et qu’un accès consulaire lui soit accordé. A ce jour, la partie française refuse toujours de coopérer sur cette question”, explique-t-on. Maria Zakharova, porte-parole de la diplomatie russe, rappelle que “la France considère” la naturalisation française de Pavel Durov comme étant “sa nationalité principale”.
Dmitri Medvedev a de son côté révélé avoir déjà averti “il y a bien longtemps” Pavel Durov qu'il aurait “de graves problèmes dans tous les pays” en raison de la politique de confidentialité de son application. “Il a fait un mauvais calcul. Pour tous nos ennemis désormais communs, il est russe - et donc imprévisible et dangereux”, a écrit l’ancien président sur son canal de la messagerie instantanée.
Mais pour la commissaire russe aux droits humains, Tatiana Moskalkova, l’arrestation du milliardaire n’est qu’“une tentative de fermer Telegram, une plateforme internet où l'on peut apprendre la vérité sur les événements qui se déroulent dans le monde”. Sa déclaration intervient dans un contexte français marqué par la censure, avec la fermeture en février dernier, d’une vingtaine de canaux russes francophones sur Telegram.
En octobre 2023, le ministre de l’Intérieur désormais démissionnaire, Gérald Darmanin, qui intervenait quelques jours après l’attentat d’Arras qui a coûté la vie à Dominique Bernand, professeur de français, exprimait son optimisme quant à “pouvoir négocier une porte dérobée” avec les applications de messagerie chiffrée.
Il a notamment évoqué Whatsapp, Signal et Telegram, qui seraient utilisés par les terroristes et les délinquants pour communiquer. "Si nous étions capables de dire à WhatsApp, à Signal, et à Telegram : ‘Donnez-nous la conversation de cette personne parce qu'elle présente une menace', nous gagnerions énormément de temps", justifie-t-il.
L’arrestation de Durov fait réagir
Toutefois, le protocole de chiffrement de bout en bout permet aux deux interlocuteurs d’être les seules personnes à accéder au contenu de la discussion. Gérald Darmanin a ainsi regretté que la loi n’impose pas à ces sociétés la création d’une “porte dérobée”, c’est-à-dire une brèche, chose jugée impossible par les spécialistes, dans le chiffrement sur demande.
L’arrestation du patron de Telegram pose ainsi la question de l’avenir de cette messagerie instantanée et de sa confidentialité en France. Est-ce un avertissement pour les propriétaires des plateformes qui refusent de se conformer aux demandes gouvernementales de “censure” ?
Plusieurs autres politiciens russes ont accusé Paris d'agir comme une "dictature". Elon Musk, le milliardaire propriétaire de X, a réagi par un post sur la plateforme. "Nous sommes en 2030 en Europe et vous êtes exécuté pour avoir aimé ”. Robert F. Kennedy Jr, qui a abandonné vendredi sa campagne présidentielle américaine pour soutenir le républicain Donald Trump, a déclaré sur X que la nécessité de protéger la liberté d'expression "n'a jamais été aussi urgente”.
Plusieurs blogueurs russes ont appelé à des manifestations devant les ambassades françaises à travers le monde dimanche.
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