En privatisant la FDJ, l'État français a sonné la cloche de l'addiction
En novembre 2019, l'État français cédait 52% de ses parts dans la Française des Jeux (FDJ) au public, promettant que cela permettrait de financer l'innovation sans perdre le contrôle sur ses activités risquées. Certains ont rapidement qualifié l'opération de succès, pendant que d'autres mettaient en garde contre les effets à long terme.
Les affaires d'addiction sont-elles privées ? L'État empochait quelque 100 millions d'euros de dividendes chaque année grâce à son actionnariat dans la FDJ, mais avec la loi PACTE, il a décidé de changer les règles du jeu. Dans l'objectif affiché de "donner aux entreprises les moyens d’innover, de grandir et de créer des emplois", le duo Emmanuel Macron-Alexis Kohler s'est penché sur le cas de la FDJ.
"L'État stratège" de Bruno Le Maire
Vache à lait datant de la période des gueules cassées, elle était alors le 4e acteur le plus important au monde dans les jeux d'argent, 2e en Europe. Oui mais, Bruno Le Maire est joueur : "Est-ce qu'on veut un État qui se contente de toucher des dividendes, ou un État qui prépare l'avenir des Français ? Un État stratège ?", interrogeait-il à l'époque. Et son collègue Darmanin d'ajouter : "On vend la Française des Jeux, on garde la régulation pour qu'il ne se passe pas n'importe quoi, et avec cet argent, on fait le fonds d'innovation qui permet de faire la batterie électrique qui sauvera peut-être Renault ou Peugeot demain."
Le plan était le suivant : vendre des actions à de nombreux Français pour que les 20% de parts conservées par l'État constituent toujours une majorité. Pour bien faire, on appelle ça l'actionnariat populaire, et ça marche. Quelque 500 000 personnes ont acheté des actions à 19,50€/u, l'État récolte 2 gros milliards d'euros, et la FDJ est côtée en Bourse. Victoire ?
L'avenir des uns, l'échec des autres
À court terme, on pourrait dire que oui. Bercy apparaît comme un bon père de famille auprès des Français, à la fois prêt à jouer et à protéger. Pour financer l'innovation de rupture et préparer l'avenir, la loi PACTE prévoit un "Fonds pour l’innovation et l’industrie à hauteur de 10 milliards d'euros", et la cession des parts de la FDJ contribue à son développement.
Le hic, c'est que la FDJ n'est pas une entreprise comme une autre, qui vend des biens comme les autres. Il n'aura échappé à personne que l'on parle ici de jeux d'argent, de paris sportifs, de lotteries... bref, d'addiction. Et, c'est précisément pour réguler tout ceci que l'État se devait de conserver des parts importantes dans la FDJ.
Sur ce sujet, Bruno Le Maire se voulait rassurant, martelant qu'une autorité de contrôle allait être créée spécifiquement à cette occasion pour réguler le marché. L'Autorité nationale des jeux (ANJ) voit le jour en janvier 2020. Ses objectifs ? "Prévenir le jeu excessif et assurer la protection des mineurs ; assurer l’intégrité des opérations de jeu ; prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ; veiller à l’équilibre entre les différentes filières de jeu."
Sauf qu'un investissement n'est intéressant que lorsque la valeur de l'action augmente dans le temps. De facto, les 500 000 Français qui ont misé sur le développement de la FDJ auront à coeur que les autres aillent jouer, et c'est ce qu'il s'est passé. En ligne et en physique, la FDJ triomphe : son rapport du 1er semestre 2024 donne à voir une augmentation des recettes à tous les niveaux, notamment grâce à ses dernières acquisitions (ZEturf, Premier Lotteries Ireland, Kindred).
Concrètement, pendant que les plus pauvres se ruinent un peu plus en jouant, les plus aisés (ceux qui achètent des actions et se lancent dans des start-ups) s'en mettent plein les poches. C'est d'autant plus dangereux que le jeu en ligne cartonne, accueillant à bras ouverts les joueurs les plus jeunes, comme on peut le voir sur la page 20 du rapport de 2023.
Il ne faut que du pain et des jeux pour rendre une population malheureuse, dépendante et fragile, et le gouvernement Macron n'aura eu de cesse de le prouver.
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