États-Unis : la limitation du droit à l'avortement se poursuit

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FranceSoir
Publié le 09 mai 2022 - 19:45
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Manifestation de femmes pour défendre le droit à l'avortement aux États-Unis
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Jose Luis Magana / AFP
Manifestation de femmes pour défendre le droit à l'avortement
Jose Luis Magana / AFP

Les choses bougent sur le front de l’avortement aux États-Unis, tant au niveau fédéral qu’au sein des États fédérés. Tandis que la Cour suprême s’apprête à revenir sur l’arrêt Roe v. Wade, qui protège le droit des Américaines à interrompre leur grossesse, plusieurs États instaurent des lois pour limiter ce droit en raccourcissant son délai.

Oklahoma : l’avortement est interdit après six semaines de grossesse

Aux États-Unis, la limitation du droit à l’avortement se poursuit. Mardi 3 mai, le gouverneur de l’Oklahoma, Kevin Stitt, a signé une loi interdisant l’interruption volontaire de grossesse après six semaines de gestation. 

"Je veux que l’Oklahoma soit l’État le plus pro-vie du pays parce que je représente la totalité des quatre millions d’habitants de l’Oklahoma qui, de manière écrasante, veulent protéger les enfants à naître", a écrit sur Twitter le gouverneur le 3 mai, jour de la promulgation du texte.

Le texte ne prévoit aucune exception en cas de viol ou d’inceste. La seule exemption qui autorise à avorter au-delà du délai fixé par la loi est une raison thérapeutique.

L'Oklahoma n’est pas le seul État à limiter l’IVG. Depuis le 1er septembre 2021, le Texas a également adopté une loi restrictive, puisque l’avortement devient prohibé dès lors qu’un battement de cœur de l’embryon est perceptible à l’échographie, soit à environ six semaines de grossesse.

Les uns après les autres, les États conservateurs adoptent des lois qui reviennent sur ce droit acquis depuis l’arrêt Roe vs Wade, qui garantit la possibilité pour chaque Américaine d'interrompre sa grossesse. 

La Cour suprême prépare un document qui pourrait annuler l’arrêt Roe vs Wade 

Cela faisait quelques jours qu’un document émanant de la Cour suprême avait fuité, dévoilé par le site d’information Politico. Mardi 3 mai, la plus haute juridiction du pays a confirmé l’authenticité d’un avant-projet, qui prévoit d’annuler l’arrêt Roe vs Wade promulgué le 22 janvier 1973. 

La nouvelle a fait l’effet d’une onde de choc dans tout le pays. Jusqu’à présent, personne n’avait voulu revenir sur l’arrêt Roe vs Wade qui sanctuarise depuis 50 ans le droit à l’IVG. Un arrêt complété en 1992 par une disposition qui précise que l'IVG peut être pratiquée tant que le fœtus n'est pas viable, soit avant 22 à 24 semaines de gestation. 

L’arrêt Roe vs Wade est l’une des jurisprudences qui a le plus marqué les esprits puisqu’à cette époque, les juges de la Cour suprême, par sept voix contre deux, avaient considéré que le droit à la vie privée, protégé par le quatorzième amendement de la Constitution, s’étendait à la possibilité pour chaque femme de choisir d’interrompre sa grossesse. Un droit à la vie privée inscrit dans la section 1 de ce quatorzième amendement, puisqu’il est écrit :

"Aucun État ne fera ou n’appliquera de loi qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis ; aucun État ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière, ni ne deniera à quiconque relevant de sa juridiction l’égale protection des lois."

De son côté, la Cour suprême, qui est la plus haute juridiction du pays, a refusé de bloquer la loi au Texas, même si elle a autorisé les tribunaux fédéraux à s’y opposer.

Que contient ce projet, long de 98 pages, qui prévoit d’annuler l’arrêt Roe vs Wade ? De nombreuses questions juridiques. Parmi les problèmes pointés, c’est le rôle de la Cour suprême, son périmètre d’action qui est interrogé. Les juges actuels estiment que les juges de l’époque ont « court-circuité le processus démocratique » en créant un nouveau droit (IVG) que la Constitution ne contient pas alors que le rôle de la Cour suprême ne devrait se limiter qu’à appliquer ce qui est inscrit dans la Constitution. Par là, il faut comprendre qu’en se substituant au législateur, les juges n’ont pas respecté la séparation des pouvoirs.  

Par ailleurs, revenant sur l’affaire Roe et Casey, le texte estime que les notions de vie privée et d’autonomie personnelle ne peuvent pas justifier l’interruption volontaire de grossesse.

À l’époque de l’affaire Casey, l’affirmation selon laquelle "au cœur de la liberté se trouve le droit de définir sa propre conception de l’existence, du sens de la vie, de l’univers et du mystère de la vie humaine" avait justifié le droit à l’avortement. Aujourd’hui, les juges contestent donc cette assertion en écrivant que les croyances et les désirs ne créent pas de droit.

"Si les individus sont certainement libres de penser et de dire ce qu’ils veulent sur “l’existence”, “le sens”, “l’univers” et “le mystère de la vie humaine”, ils ne sont pas toujours libres d’agir en fonction de ces pensées. La permission d’agir sur la base de telles croyances peut correspondre à l’une des nombreuses acceptions de la “liberté”, mais ce n’est certainement pas une “liberté ordonnée”. 

Si la bataille juridique et intellectuelle promet d’être longue, il est à noter que si le projet d’arrêt était confirmé, le droit à l’interruption volontaire de grossesse ne serait pas pour autant supprimé : chaque État serait libre de décider de conserver ou non l’IVG et d’en définir les modalités. 

Pour contrer cet avant-projet avant qu’il ne soit trop tard, les démocrates ont déposé une proposition de loi. Adoptée à la Chambre des représentants, la proposition peine cependant à aboutir au Sénat, majoritairement républicain.

Lire aussi : L'avortement sans condition jusqu'à neuf mois préconisé par l'OMS

Les différentes lois des États fédérés et cet avant-projet de la Cour Suprême surviennent à un moment où l’Organisation mondiale de la Santé appelle les gouvernants à supprimer la limite de temps légale pour l’avortement, même après 24 semaines. Dans un document de 210 pages publié en mars 2022, l’OMS préconise notamment d’autoriser l’avortement en toute circonstance sans limitation dans le temps, c’est-à dire jusqu’au terme, et sans justification médicale.

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