Commission d'enquête Covid-19 : au Sénat, le jugement de Salomon ?
Jérôme Salomon, le directeur général de la santé (DGS), est lourdement mis en cause par la commission d'enquête du Sénat "pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion", qui publiait son rapport ce matin.
Les députés avaient déjà évalué sévèrement les responsabilités de l'exécutif dans la crise sanitaire, et voilà que les sénateurs tirent une deuxième salve, plus forte encore, et qui met particulièrement en cause Jérôme Salomon. Le DGS, que les Français avaient découvert au printemps dernier lors de son point télévisé quotidien sur l'évolution de l'épidémie, est accusé d'avoir fait pression sur le comité d'experts.
Bruneau Retailleau, président du groupe "les Républicains" au Sénat, déclarait sur Europe 1 ce matin :
« Jérôme Salomon a fait pression sur un comité d'experts pour que celui-là modifie ses conclusions en matière de stocks de masques". "On lutte contre l'épidémie avec une volonté politique, une vraie stratégie mais aussi en inspirant confiance. Cette confiance a été rompue avec les Français »,
Si les accusations portées à l'encontre de Jérôme Salomon sont avérées, Bruno Retailleau demande à ce que le gouvernement "en tire les conséquences". Pour ce dernier, "le Sénat a fait le travail, comme l'Assemblée nationale". "Chaque crise joue comme un révélateur. Cette crise aura révélé une sorte de toute-puissance de la bureaucratie française, qui se protège."
De son côté, le sénateur (LR) de la Côte-d'Or Alain Houpert, qui est aussi médecin, nous confie en exclusivité :
« Le Sénat s’impose comme le seul contre-pouvoir aujourd’hui dans notre pays. Sans passion politicienne mais avec opiniâtreté et rigueur, il joue pleinement son rôle de contrôle de l’action du gouvernement et met en lumière les contradictions ou les omissions que certains voudraient faire oublier. »
Le rapport des sénateurs inclut de nombreuses propositions détaillées ci-dessous. Il est cependant regrettable que ces propositions ne soient pas chiffrées, tout comme l'est le fait que le rapport, long de 456 pages, ne parle pas plus des problèmes de l’étude britannique Recovery. Elle fut souvent citée dans les documents officiels des autorités de santé en France alors qu'elle présentait de nombreux vices : cette étude n’a pas été revue par des experts français et n’inclue aucun patient français.
Ce rapport élude ausssi l’influence des liens d’intérêts de certains médecins très présents sur les plateaux de télévisions.
Un point positif, qui attire l'attention, est que le Sénat recommande qu’une plus grande ouverture et transparence vers les citoyens soit mise en place.
Quelques recommandations importantes [extraits]
Sécuriser la gestion des stocks stratégiques et développer une filière française de production de masques de protection
• Définir un programme de contrôle et d'évaluation réguliers de la qualité des produits composant les stocks stratégiques d'État et informer la direction générale de la santé des résultats des tests. En cas d' édiction de nouvelles normes de qualité, évaluer au plus vite la conformité des stocks à ces nouvelles normes.
• Prévoir la constitution, au plus près des besoins, de stocks « de crise» de masques chirurgicaux et FFP2 et se doter des moyens de contrôler et de suivre le niveau de ces stocks :
- définir, entre chaque ARS et les établissements de santé et médico-sociaux, en fonction des caractéristiques de leur activité, le stock que ces derniers doivent détenir et en établir un recensement régulier et précis ;
- intégrer la constitution de stocks de masques chirurgicaux et le contrôle de leur qualité par les professionnels de santé libéraux parmi les critères de la rémunération sur objectifs de santé publique ;
- encourager l'acquisition par chaque ménage d'une boîte de 50 masques chirurgicaux
• Accélérer la pérennisation d'une filière française de masques en tissu en renforçant le soutien de l'État.
Garantir la continuité des soins en temps de crise
• Pour éviter les déprogrammations, structurer des filières de prise en charge à l'échelle régionale ou inter-régionale afin de garantir la continuité des soins notamment dans des pathologies lourdes
• Mettre en place des plans personnalisés d'accompagnement pour les malades du cancer et dans d'autres pathologies chroniques.
• Évaluer, en liaison avec les associations d'usagers, les impacts sanitaires du report ou du renoncement aux soins, en portant une attention particulière aux publics vulnérables et aux enjeux de santé mentale.
• Mettre en œuvre sur cette base un plan d'actions de santé publique, notamment des campagnes de communication ciblées sur le dépistage organisé des cancers et la vaccination des nourrissons.
Sécuriser la prise en charge des personnes vulnérables en établissement social ou médico-social
• Rétablir la vaccination obligatoire du personnel en établissement, et ouvrir, avec le Haut Conseil de la santé publique et les représentants d'usagers, le débat relatif à la vaccination obligatoire des résidents.
• Renforcer les outils de gestion des risques en établissements médico-sociaux : rappeler que le plan bleu a bien vocation à les préparer à toute situation sanitaire exceptionnelle, non aux seules canicules; systématiser l'élaboration des plans de continuité d'activité ; intégrer plus systématiquement les Ehpad ainsi que les autres ESMS aux exercices annuels organisés sur la gestion des risques.
• Améliorer les outils de surveillance épidémiologique du secteur.
• Pérenniser les outils de prise en charge externes aux établissements déployés en seconde partie de crise.
• Augmenter la couverture des Ehpad en médecins coordonnateurs et leur donner un rôle plus affirmé de chef d'orchestre des prises en charge externes.
• Inclure le temps de rééducation dans le budget soins.
• Renforcer la surveillance nocturne des résidents, en accélérant le déploiement des infirmiers de nuit.
Mieux coordonner la recherche clinique et clarifier la stratégie thérapeutique
• En période de crise sanitaire, mettre en place une remontée d'informations sur les prescriptions hors AMM par l'intermédiaire des systèmes d'information utilisés par les prescripteurs de ville.
• En période de crise, flécher les financements exceptionnels alloués à la recherche sur de grands essais prioritaires et multicentriques afin de mieux coordonner les travaux de recherche sur le territoire
• Rapprocher le consortium REACTing del' ANRS pour renforcer les moyens et le pilotage de la recherche en maladies émergentes et infectieuses
Garantir l'adéquation des capacités et des priorités de la politique de dépistage aux besoins de la crise
• Promouvoir l'équipement des laboratoires publics et privés en biologie moléculaire en accélérant la modernisation de la nomenclature des actes de biologie médicale.
• Se mettre en capacité d'activer, en phase épidémique, des plateformes territoriales de tests associant l'ensemble des acteurs (laboratoires de biologie publics et privés, laboratoires de recherche ou vétérinaires), en mutualisant les capacités d'analyse à l'échelon régional.
• Mutualiser l'expertise en matière d'évaluation des tests pour augmenter la réactivité et la capacité analytique en temps de crise et concevoir en amont des éléments de coordination de l'évaluation à l'échelle européenne.
• Faciliter la constitution d'une banque d'échantillons biologiques pour permettre d'évaluer plus rapidement les kits de tests.
Renforcer la cohérence de l'expertise scientifique et l'ouvrir sur la société
• Créer une instance nationale d'expertise scientifique unique chargée de conseiller les pouvoirs publics dans la gestion des crises et de mobiliser et coordonner les sources d'expertise existantes.
• Reconnaître à l'instance nationale d'expertise scientifique un pouvoir d'auto-saisine pour produire des avis et garantir l'indépendance et la transparence de ses travaux en la dotant des moyens humains et financiers nécessaires à son autonomie de fonctionnement.
• Créer un comité de liaison citoyen garantissant des échanges permanents entre l'instance nationale d'expertise scientifique et la société civile.
• Impliquer les associations de patients ainsi que les instances de démocratie sanitaire, au niveau national comme territorial ainsi que dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, dans les décisions impactant l'organisation des soins en période de crise ainsi que dans l'élaboration des retours d'expériences sur la gestion de l'épidémie.
Renforcer le pilotage interministériel et la coordination européenne dans la préparation et la réponse aux urgences sanitaires
• Garantir au niveau administratif l'association du ministère de l'intérieur aux décisions prises par le centre de crise sanitaire en phase ascendante de crise avant l'activation de la cellule interministérielle de crise.
• Créer une fonction de délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires (Diprus), placé auprès du Premier ministre et chargé de coordonner une réflexion et une vigilance interministérielles permanentes sur l'état de préparation du pays aux crises sanitaires et d'en rendre compte tous les ans au Parlement.
• Permettre au Diprus de saisir Santé publique France et le HCSP de toute demande d'expertise en lien avec l'évaluation de la préparation du pays aux catastrophes sanitaires et, en cours de crise sanitaire, de saisir l'instance nationale d'expertise scientifique.
• Élaborer, sous la responsabilité du délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires, un plan de mobilisation face à un risque pandémique et comprenant un schéma de gouvernance de crise, une boîte à outils de mesures sanitaires et non sanitaires et un volet capacitaire et logistique.
• Procéder à un exercice national au maximum biannuel du plan pandémie, accompagné d'exercices locaux et régionaux.
• Élaborer un plan pandémie au niveau européen et organiser à intervalles réguliers un exercice pandémie à l'échelle européenne.
Clarifier la répartition des responsabilités entre les agences sanitaires et leur tutelle
• Définir au sein du comité d'animation du système d'agences la répartition des responsabilités et la priorisation des interventions des agences sanitaires mobilisées dans la réponse à une urgence sanitaire.
• Ré-instituer un financement intégral de Santé publique France par le budget de l'État afin de permettre un débat éclairé au sein du Parlement sur les priorités et moyens de la politique nationale de veille et sécurité sanitaire.
• Charger Santé publique France d'élaborer un schéma d'organisation interne de crise susceptible d'être déployé, le cas échéant de façon graduée, dès l'identification d'un risque ou d'un rebond épidémique.
• Confier à Santé publique France un pouvoir d'auto-saisine pour la production d'avis et d'expertise en matière de contre-mesures pour répondre à une urgence sanitaire et de gestion des stocks stratégiques afférents.
• Soumettre chaque programmation pluriannuelle des stocks stratégiques à la validation du ministre chargé de la santé, après avis du délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires.
• Renforcer l'autonomie du conseil d'administration de Santé publique France dans la réalisation des commandes nécessaires pour atteindre les cibles fixées par la programmation pluriannuelle des stocks stratégiques.
• Inclure des représentants de l' ANSM et de la HAS dans le conseil d'administration de Santé publique France afin de renforcer l'éclairage de ses membres sur les enjeux de sécurité et d'efficacité des produits de santé compris dans les stocks stratégiques.
Définir les contours d'une gouvernance territoriale et d'une veille épidémiologique au plus près des réalités de terrain
• Rappeler aux préfets qu'ils peuvent si nécessaire placer pour emploi les services des ARS sous leur autorité en temps de crise et réviser en ce sens les protocoles départementaux de coopération ou prévoir l'adoption de protocoles ad hoc.
• Redéployer des moyens humains et financiers des ARS vers leurs délégations départementales et attribuer à celles-ci des compétences propres, dont celle du lien avec les élus locaux.
• Garantir un pouvoir de décision réel aux collectivités territoriales, en particulier au conseil régional, dans la détermination de l'offre de soins régionale.
• Décliner dans chaque département, sous la responsabilité du délégué départemental de l' ARS, le plan «pandémie», y compris au sein des plans communaux de sauvegarde. • Adapter les mesures de gestion de la crise et le contenu des spots et messages sanitaires aux réalités territoriales afin de tenir compte des particularités locales, notamment pour les territoires ultramarins et les territoires frontaliers.
• Fusionner les cellules d'intervention en région de Santé publique France et les cellules régionales de veille, d'alerte et de gestion sanitaire des ARS au sein de bureaux de veille et sécurité sanitaire placés sous l'autorité du directeur général de l' ARS et développer des partenariats entre ces bureaux et les observatoires régionaux de santé.
• Généraliser la saisie dématérialisée des certificats de décès en mettant fin à la dérogation autorisant l'établissement du certificat de décès sur support papier et en publiant dans les meilleurs délais le référentiel d'authentification des médecins pour la saisie dématérialisée.
• Harmoniser, sur la base d'un cadre méthodologique établi par Santé publique France et le CépiDC de l'lnserm, les informations saisies par les médecins ou les établissements de santé et médico-sociaux sur les causes de décès lié à une situation épidémique.
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