Le réveil ou la ruine : Jeffrey Sachs devant le Parlement Européen défie l’Europe face à l’Amérique et la Russie

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France-Soir
Publié le 24 février 2025 - 17:30
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Jeffrey Sachs au Parlement Européen
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Le réveil ou la ruine : Jeffrey Sachs devant le Parlement Européen défie l’Europe face à l’Amérique et la Russie
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Une voix disruptive dans un continent en crise - Le 19 février 2025, Jeffrey Sachs, économiste américain de renom et figure influente dans les cercles académiques et géopolitiques, a prononcé un discours retentissant devant le Parlement Européen lors d’un événement intitulé « la Géopolitique de la Paix », organisé par Michael von der Schulenburg, ancien assistant du secrétaire général de l’ONU et député européen du parti allemand BSW. Ce discours, qualifié d’« explosif » par de nombreux observateurs, a secoué les fondations d’une Europe déjà fragilisée par des crises internes et externes. Sachs, avec son expérience de conseiller auprès de gouvernements de l’ex-Union soviétique et son expertise en politique étrangère, a livré une critique cinglante des politiques américaine et européenne, notamment sur la guerre en Ukraine, la dépendance envers l’OTAN, et la perte d’autonomie stratégique de l’Europe.

Jeffrey Sachs commence par un retour sur la fin de l'Union soviétique en 1991, un événement qu'il qualifie de catalyseur pour l'hégémonie américaine. Il affirme : « Les États-Unis ont littéralement cru que le monde était désormais américain, et nous ferons ce que nous voulons. » Selon lui, cette mentalité a conduit à des décennies de conflits initiés ou soutenus par les États-Unis, notamment au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe de l'Est.

VO sous titrée en français.

Dans un contexte marqué par des bouleversements politiques récents – les élections anticipées en Allemagne du 23 février 2025 remportées par le bloc conservateur CDU/CSU, l’annulation controversée des élections en Roumanie, et les déclarations belliqueuses d’Emmanuel Macron sur l’Ukraine suivies de sa rencontre avec Donald Trump – les paroles de Sachs résonnent comme un appel urgent à repenser le rôle de l’Europe sur la scène mondiale. Cet article explore les messages clés de son discours, leurs implications pour l’Europe, et les dynamiques politiques actuelles qui pourraient amplifier ou contrecarrer ses idées.

L'intervention de Sachs a été postée sur X par le grec Fidias Panayiotou, plus jeune député européen qui fait un usage novateur des réseaux sociaux afin de promouvoir la transparence.

 

Une critique sans concession délivrée comme une série de messages clés

  • La responsabilité américaine dans la guerre en Ukraine - Sachs a ouvert son discours par une accusation directe : 

    « La guerre en Ukraine, qui entre dans sa troisième année en 2025, aurait pu être évitée 
    si les États-Unis n’avaient pas poursuivi une politique expansionniste via l’OTAN ». 

  • Il a évoqué une conversation privée avec Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, le 15 décembre 2021, où il l’aurait imploré d’abandonner l’idée d’une intégration de l’Ukraine dans l’OTAN. Selon Sachs, Sullivan aurait minimisé cette menace, assurant que « l’OTAN n’allait pas prendre l’Ukraine ». Pourtant, deux mois plus tard, l’invasion russe débutait, précipitant une crise que Sachs attribue à des « provocations américaines » comme l’élargissement de l’OTAN vers l’Est depuis 1991 avec des relais britanniques.

    Ce récit remet en question le narratif dominant en Europe, où la Russie est unanimement désignée comme l’agresseur. Sachs soutient que les États-Unis ont exploité les divisions internes de l’Ukraine – entre pro-occidentaux et pro-russes – pour avancer leurs intérêts stratégiques, notamment en soutenant le renversement de Viktor Ianoukovitch en 2014. L'un des points les plus controversés de la conférence fut la discussion sur la guerre en Ukraine. Sachs a qualifié l'idée que « Poutine reconstruit l'Empire russe » de « propagande puérile ». Il affirme que les anglo-saxons ont dissuadé l'Ukraine de signer un accord de paix, prolongeant ainsi le conflit inutilement. « J'ai supplié les Ukrainiens... Sauvez vos vies, sauvez votre souveraineté, sauvez votre territoire, soyez neutre. N'écoutez pas les Américains » a-t-il déclaré. Et dans les années 90 l'Otan a bien promis à la Russie de ne pas s'élargir à l'est, tel que le montre le professeur d'Histoire Patrice Gibertie.
     
  • L’Europe vassale des États-Unis - Un autre point saillant de son intervention est la critique de la soumission européenne aux diktats américains. Sachs a déploré que l’Europe ait « abandonné sa propre politique étrangère » en suivant aveuglément Washington, notamment en acceptant l’expansion de l’OTAN malgré les réticences de leaders européens en 2008 lors du sommet de Bucarest, ou en ne s’opposant pas à la destruction des gazoducs Nord Stream en 2022 – un acte qu’il qualifie de « plus grande attaque contre l’infrastructure logistique européenne depuis la Seconde Guerre mondiale ». Pour Sachs, cette dépendance a coûté à l’Europe son autonomie, sa sécurité et son bien-être économique, notamment via la rupture des liens énergétiques avec la Russie.
     
  • Un appel à la diplomatie et au courage de la paix - Jeffrey Sachs propose un message optimiste, mais ferme : « Même si l’Europe se comporte comme un grand belliciste, cela n’a pas d’importance. La guerre finira. » Il prédit que les négociations entre les États-Unis et la Russie, amorcées sous l’administration Trump en février 2025 à Riyad, aboutiront à un cessez-le-feu, marginalisant l’Europe si elle ne reprend pas l’initiative. Pour Sachs, la diplomatie est cruciale pour éviter les conflits. Il critique l'absence de véritables négociations entre l'Europe et la Russie, et appelle à un dialogue direct : « La diplomatie, c'est aller à Moscou, inviter votre homologue russe ici, et discuter. » Il appelle aussi les Européens à élaborer leur propre vision de la sécurité, indépendante de l’OTAN.

    En France, rares sont les personnes qui se sont opposées sur la politique étrangère vis-à-vis de l’Ukraine en disant « non à Macron, non à la guerre » avec des arguments à l’appui.  Le sénateur Alain Houpert, le Général Pellizzari ou l’ancien député Nicolas Dupont-Aignan ont eu ce courage de la Paix, cependant ils ont été marginalisés ou attaqués pour leurs prises de positions. Sur l’accord franco-ukrainien, signé en catimini le 17 février 2024, France-Soir s’est interrogé si « Macron, Attal et Séjourné avaient sciemment violé la Constitution et désinformé le Parlement  ? »  

    Cet accord a d’ailleurs été contesté jusque devant les Nations Unies à raison avec une saisine du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies pour absence de soumission au vote des parlementaires et donc d’approbation du Peuple de l’accord Franco-Ukrainien. Des faits pour lesquels Xavier Azalbert, directeur de la rédaction de France-Soir a été entendu pendant plus de deux heures par les analystes des Droits de l’Homme aux Nations-Unies. En sus, Attal, Lecornu et Séjourné ont été visés par plusieurs plaintes pour avoir livré à une puissance étrangère du matériel affecté à la défense nationale (ici et ici). 

    Le prix à payer pour ne serait-ce qu’évoquer un désaccord avec la politique du gouvernement ou de l’Europe sur ce sujet est proche de celle des dictatures : censure, invisibilisation et toute la batterie de mesures coercitives indirectes. France-Soir en payera le prix par la perte de son agrément.

Conséquences pour l’Europe : une union à la croisée des chemins

  • En pleine crise de légitimité et d’identité - Le discours de Sachs intervient à un moment où l’Union européenne (UE) est confrontée à une crise existentielle. Les Européens, habitués à voir les États-Unis comme un allié indéfectible, pourraient commencer à douter de cette relation si les accusations de Sachs – notamment sur le rôle de Washington dans le sabotage de Nord Stream – gagnent en crédibilité. Cette perte de confiance pourrait pousser certains États membres à chercher des alternatives, comme une coopération accrue avec la Russie ou la Chine, au détriment de l’unité européenne.
     
  • Confrontée à la marginalisation géopolitique - Sachs met en garde contre une marginalisation de l’Europe dans les négociations sur l’Ukraine. Les pourparlers de Riyad, menés entre le secrétaire d’État américain Marco Rubio et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, ont exclu l’Ukraine et les leaders européens, soulignant leur perte d’influence. Si Trump impose un accord défavorable à Kyiv – comme le suggèrent certaines rumeurs sur l’accès américain aux ressources ukrainiennes en échange d’un cessez-le-feu – l’Europe risque de se retrouver avec une Ukraine affaiblie à ses frontières, sans avoir eu son mot à dire.
     
  • Une pression économique accrue suite aux sanctions économiques. Souvenez-vous les paroles de Bruno Le Maire qui se croyait capable de « mettre l’économie russe à genoux ». Les paroles n’engagent que ceux qui les tiennent, car la rupture avec la Russie, exacerbée par la guerre et les sanctions, a déjà coûté très cher à l’économie européenne et à la souveraineté des Nations. Sachs souligne que la destruction de Nord Stream a aggravé cette situation, privant l’Europe d’une source d’énergie abordable. En 2025, avec une Russie qui restructure l’architecture de sécurité européenne à son avantage et des États-Unis qui se désengagent sous Trump, les nations européennes pourraient être forcées de repenser leurs priorités économiques, peut-être en se tournant vers des partenariats moins alignés sur Washington.

 

Une Europe en mutation avec les événements politiques récents en Allemagne ou en Roumanie

  • En Allemagne, la victoire des conservateurs à de profondes implications. Ce 23 février 2025, le bloc conservateur CDU/CSU, dirigé par Friedrich Merz, a remporté les élections anticipées au Bundestag, marquant un tournant après des années de coalition instable sous Olaf Scholz. Ce succès reflète une lassitude des Allemands face à une politique jugée trop pro-ukrainienne et trop dépendante des États-Unis. Trump a salué cette victoire comme « un grand jour pour l’Allemagne et les États-Unis » suggérant une convergence possible entre Berlin et Washington sous son administration.

    Cependant, Merz a exprimé des doutes sur l’avenir de l’OTAN « dans sa forme actuelle » d’ici juin 2025, un écho indirect aux critiques de Sachs. Si l’Allemagne, moteur économique et politique de l’UE, adopte une posture plus autonome, cela pourrait inspirer d’autres nations à suivre, renforçant l’idée d’une Europe moins vassale des États-Unis. Mais, cela pourrait aussi accentuer les divisions internes, notamment avec des pays comme la Pologne ou les États baltes, farouchement pro-OTAN.
     
  • Une démocratie fragilisée avec l’annulation des élections en Roumanie, contestée par Câlin Georgescu. En Roumanie, l’annulation du résultat des élections fin décembre, officiellement pour des « raisons de sécuritéet d’ingérence » liées à la proximité de la guerre en Ukraine, a suscité des protestations massives. Ce pays, qui partage une frontière de 650 km avec l’Ukraine, est un acteur clé dans la logistique de l’OTAN. La démission du président Klaus Iohannis, officiellement afin « d’éviter une crise diplomatique profonde pour la Roumanie », mais officieusement par « crainte d’une motion de destitution », est probablement un véritable tournant pour la Roumanie comme pour l'Europe

    La présidente par interim Illie Bolojan a rencontré Macron le 19 février avec d’autres leaders européen, signe d’une tentative française de reprendre la main sur les événements qui paraissent la dépasser : la première rencontre pour construire la paix entre Sergueï Lavrov (ministre des Affaires étrangères de la Russie) et Marc Rubio, secrétaire d’État américain.

    Cette crise démocratique fragilise davantage l’est de l’Europe, déjà sous tension. Elle pourrait valider les craintes de Sachs sur une Europe incapable de gérer ses propres crises sans intervention extérieure. Si la Roumanie sombre dans l’instabilité, cela risque de renforcer la Russie dans la région et de compliquer les efforts de l’UE pour maintenir une façade unie.
     
  • La danse diplomatique délicate et maladroite de Macron sur la Guerre en Ukraine, et dans sa relation avec Donald Trump. Emmanuel Macron, fervent défenseur d’une Europe puissante, a multiplié les déclarations sur la guerre en Ukraine. Dans un discours à la Sorbonne en avril 2024, il avait averti que « l’Europe pourrait mourir » sans une défense robuste face à la Russie. En février 2025, il a renforcé cette rhétorique, s’opposant à un cessez-le-feu précipité qui équivaudrait à une « capitulation » de l’Ukraine, lors d’un mini-sommet à Paris le 18 février. Pourtant, sa rencontre avec Trump à Washington le 23 février, aux côtés de Keir Starmer, montre une tentative de concilier sa vision avec la realpolitik de Trump.

    Macron cherche à convaincre Trump de maintenir une dissuasion américaine (missiles, armes nucléaires) tout en impliquant des forces européennes, comme des gardiens de la paix (« peacekeepers ») en Ukraine occidentale. Mais cette stratégie risque de heurter les mises en garde de Sachs : une Europe qui persiste dans une posture belliqueuse sans diplomatie propre pourrait être laissée pour compte si Trump et Poutine concluent un accord bilatéral. 

    L'approche maladroite de Macron se résume à sa dernière prise de position ambiguë. Ce énième « en même temps », méthode favorite de Macron ne sera probablement pas au gout des Américains : est-ce un "on veut la paix, mais à condition de continuer la guerre ?"

    Macron la paix mais la guerre ?
     

 

Entre réveil et paralysie, des implications pour les nations européennes sous forme de dilemme

  • L’Allemagne : leader ou diviseur ? Avec Merz au pouvoir, l’Allemagne pourrait devenir le fer de lance d’une Europe plus indépendante, alignée sur les idées de Sachs. Mais son passé de locomotive économique pourrait être entravé par des divergences avec des pays plus atlantistes, menaçant la cohésion de l’UE.
     
  • Une ligne de fracture pour la Roumanie et l’Est - La crise roumaine illustre les vulnérabilités de l’Europe de l’Est, où la peur de la Russie domine. Sans une stratégie européenne claire, ces nations risquent de se tourner davantage vers les États-Unis ou de succomber à l’influence russe, contredisant l’appel de Sachs à l’autonomie.
     
  • La France et Macron : le face-à-face ambition politique vs réalité des forces en présence. Macron incarne l’ambition d’une Europe souveraine, mais sa dépendance envers Trump pour la sécurité ukrainienne montre les limites de cette vision. Si Sachs a raison, et que la guerre s’achève sans l’Europe, la crédibilité de Macron – et de la France – pourrait en souffrir. De plus, Macron a un soutien très faible de sa population puisque seul 4 % pensent qu’il mène le pays dans la bonne direction selon un sondage France-Soir/BonSens.org.

    4% pensent que Macron mène le pays dans la bonne direction
     

Un réveil européen ou une chute dans l’irrelevance ? Le discours de Jeffrey Sachs au Parlement Européen est plus qu’une critique : c’est un miroir tendu à une Europe en perte de repères. En combinant ses avertissements avec les dynamiques actuelles – une Allemagne conservatrice en quête d’autonomie, une Roumanie en crise, et un Macron tiraillé entre guerre et diplomatie – il devient clair que l’UE doit choisir entre un sursaut stratégique ou une marginalisation durable

Sachs offre une voie : la diplomatie, l’indépendance et la paix. Mais dans un continent divisé et sous pression, cette voie semble aussi ambitieuse qu’incertaine.

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