Nuremberg : Le procès des juges et des juristes
TRIBUNE - Nuremberg et ses procès, suite de la partie 1 et 2
Les accusés du « procès des juges et des juristes » furent poursuivis pour avoir, selon le procureur américain Telford Taylor, « converti le système judiciaire allemand en un moteur du despotisme, de la conquête, du pillage et du massacre »1. L’incendie du Reichstag, dans la nuit du 27 au 28 février 1933, fut, pour Hitler, le prétexte à la suppression des libertés fondamentales et la mainmise sur les juges allemands qui durent désormais prêter serment au Führer. Cela les dispensait-il de résister à la dictature nazie ? Absolument pas et c’est ce que démontre en creux le cas de Lothar Kreyssig, le « seul parmi les juges et les procureurs à faire preuve de résistance »2. La coopération active des juges à la machine de guerre nazie, qui les a conduits sans vergogne à pratiquer « le meurtre, la persécution pour des motifs politiques, raciaux et religieux, la déportation et la réduction en esclavage, le pillage de biens privés, la torture »3 , a fait dire aux juges américains : « Ce Tribunal n’est pas assez crédule pour croire ces accusés si stupides qu’ils ne savaient pas ce qui se passait…Le poignard de l’assassin était caché sous la robe du juge »4. Ce qui ne les incitera pas pour autant à infliger aux accusés de ce procès des peines exemplaires ; elles furent au contraire extrêmement légères. De plus, ces « condamnés », pour des raisons de pure politique, furent tous libérés dès le début de la guerre froide, et purent ainsi poursuivre au sein de la RFA, en toute impunité, leur sinistre besogne, comme l’a démontré une enquête parue en 2016 seulement. En introduction à cette enquête publiée par le ministère de la Justice, la ministre Christine Lambrecht déclarera : « Sur les 170 juristes qui ont occupé des postes de direction au sein du ministère entre 1949 et 1973, 90 avaient appartenu au NSDAP et 34 aux SA. Plus de 15% d’entre eux avaient même travaillé au ministère de la Justice du Reich nazi avant 1945. Ces chiffres montrent clairement pourquoi la poursuite des crimes nazis a été contrecarrée pendant si longtemps, pourquoi la souffrance des victimes a été ignorée pendant bien trop longtemps et pourquoi de nombreux groupes de victimes –comme les homosexuels ou les Sinti (groupe rom) et les Roms – ont une fois de plus été discriminés en République Fédérale. »5 A l’inverse d’un Goebbels qui estimait que « lorsqu’il prend ses décisions, le juge doit moins procéder de la loi que de l’idée de base que le délinquant doit être éliminé de la communauté »6, elle invite les juristes d’aujourd’hui à « intérioriser et vivre les valeurs de notre Loi fondamentale –dignité humaine, liberté et diversité. », et elle ajoute « La connaissance de l’Histoire nous rend sensibles aux cas de violation des droits de l’Homme et de l’Etat de droit aujourd’hui. […] Chaque juriste allemand devrait connaître les côtés sombres du passé de sa profession afin de se rendre compte de la grande responsabilité qu’il porte pour le présent et l’avenir. »5
Quatre ans après cette déclaration, la crise sanitaire a donné aux juristes allemands une magnifique occasion de mettre en œuvre ces recommandations et de prouver aux yeux du monde qu’ils avaient, effectivement, tiré les leçons du passé. Si les résultats, à ce jour, n’ont pas été à la hauteur des espérances, la suite qu’ils donneront au scandale provoqué par la récente divulgation des « RKI Files » (#RKIFiles - Allemagne - Les dossiers RKI méritent la Croix fédérale du mérite | FranceSoir) permettra de savoir s’ils sont désormais conscients ou pas, de cette « grande » responsabilité qui est la leur envers les générations présentes et futures.
Le procès du haut commandement militaire (1947-1948)
A l’occasion du « procès du haut commandement militaire » qui concerna 14 accusés dont les condamnations furent bien légères au regard des crimes perpétrés par la Wehrmacht, en Pologne et sur le front russe en particulier, et dont les libérations furent anticipées, Philippe Valode rappelle que d’autres officiers supérieurs, soit ne furent jamais inquiétés, soit connurent après la guerre des lendemains plutôt heureux. Ainsi en fut-il du GeneralFeldMarshall Erich von Manstein. Accusé de massacres de populations civiles (dont en Crimée lorsqu’il commandait la 11ème armée), il fut jugé par les Britanniques en 1949 et condamné par eux à 18 ans de prison. Libéré dès 1953, il s’attela à la rédaction de ses mémoires ; parues en 1955, elles ont lourdement contribué au mythe d’une Wehrmacht exemplaire alors que la réalité fut tout autre. Appelé comme conseiller militaire auprès de Konrad Adenauer dans le cadre de la création de la Bundeswehr, il finira tranquillement ses jours le 10 juin 1973, âgé de 85 ans et sera inhumé avec les honneurs militaires.
A suivre : le procès des grands industriels
1 « Les 12 procès oubliés de Nuremberg » Philippe Valode, éd. du Rocher, 2023, page 131 2 Ibidem, page 159 3 Ibidem, page 133 4 Ibidem, page 156 5 Ibidem, page 158 6Ibidem, page 132
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