Le transhumanisme qui vient

Auteur(s)
Nicolas Floury pour France-Soir
Publié le 17 septembre 2024 - 15:00
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Vincent Pavant
Le totalitarisme en marche - Vincent Pavan
Vincent Pavant

C’est d’un véritable livre de philosophie politique dont il s’agit avec Le totalitarisme en marche. Vincent Pavan, qui nous avait déjà surpris avec son livre sur Sade1, nous montre ici à quel point il peut être important qu’un mathématicien utilise la rigueur propre à sa discipline pour faire de la philosophie – chose somme toute bien trop rare, alors que les philosophes n’hésitent pas à introduire à tout va des résultats des mathématiques dans leurs systèmes. Non pas qu’il s’agisse le moins du monde pour Vincent Pavan de penser la politique avec des mathématiques – ce dernier, au contraire, dénonce vigoureusement ce type de tentative, toujours folle –, mais parce que nous retrouvons dans son ouvrage une rare et dense clarté, propre aux mathématiques. Il s’agira ainsi, dans Le totalitarisme en marche, de l’exposition d’une méthode, du déploiement de définitions, de thèses, d’arguments, au service d’une démonstration.

Quelle est la méthodologie ? User, non pas comme en logique, de l’induction ou de la déduction, simple jeu grammatical tautologique propre au monde de l’hypothético-déductif, où l’on retrouve dans la conclusion ce qu’on aura mis dans les prémisses, mais de l’analogie, du paradigme, du recours à l’exemple, qui correspondent mieux à ce qu’il en est de l’univers de l’ontologie. On extrait ainsi du singulier quelques traits suffisamment abstraits pour pouvoir faire des liens avec d’autres singularités, mais sans chercher le moins du monde à en tirer des lois universelles.  

Cela permet à Vincent Pavan d’extraire deux paradigmes propres aux totalitarismes. La perversion de la loi, et la mise en sacerté 

C’est Hannah Arendt et Giorgio Agamben qui ont montré que les totalitarismes, au XXème siècle, auront eu comme point commun la permanence d’un état d’exception associé au dévoiement de la loi. On passe ainsi, à chaque fois, qu’il s’agisse du nazisme ou du stalinisme, d’une loi légale et légitime, moralement fondée, à une loi supposée scientifique, arbitraire comme telle et qui perd alors toute sa légitimité. Autrement dit, on passe toujours, lorsqu’il s’agit du totalitarisme, du paradigme du Bien à celui du (supposé) Vrai.  

C’est parce que la science aurait démontré l’existence d’un déterminisme, tant dans les lois de la biologie, que dans celles de l’Histoire, que des décisions politiques durent être prises.  

Le darwinisme, dévoyé, laissera penser à Hitler que pour améliorer l’espèce, le peuple allemand, il fallait accélérer le processus de la sélection naturelle, bien trop lent, en éliminant d’autorité les individus jugés trop faibles. Hitler pensait ainsi ne faire qu’appliquer les lois de la biologie. En ce sens, pour Vincent Pavan, la mise à mort des juifs n’aura pas été un sacrifice à des dieux obscurs et n’aura rien eu de « religieux », puisqu’il s’agissait d’appliquer très rationnellement les lois supposées de la biologie à son peuple. En ce sens, nous rappelle judicieusement Vincent Pavan, les totalitarismes ne procèdent d’aucune folie, mais bien de la pure rationalité 

Le marxisme, mal compris, laissera entendre à Staline qu’il y avait une nécessité à l’œuvre dans l’Histoire et qu’un jour, nécessairement, les classes sociales n’existeraient plus. Il a alors accéléré lui aussi le mouvement, éliminant la classe des possédants au nom de la précipitation de l’advenue des lendemains qui chantent.  

Dans les deux cas, une soi-disant loi scientifique, propre à la biologie ou à l’Histoire, vient prendre la place, la pervertissant, de la loi morale, qui était quant à elle fondée sur la religion, source du droit positif. Et c’est pour cette raison précise, nous rappelle Vincent Pavan, que le nazisme, comme le stalinisme, auront eu en horreur la religion, rempart aux scientismes, puisque prenant sous sa garde le corps nu, biologique, la zôè, la vie nue, comme sacrée et inviolable en tant que création de Dieu.  

Le totalitarisme, et c’est ce qui le distingue des tyrannies et autres dictatures, surgit ainsi quand le discours de la science, comme dispositif, fait à lui seul la loi au détriment de toute morale. La loi se règle alors, au nom du Vrai, sur la supposée véracité absolue de résultats de la science, coupant court à toutes discussions. « On peut discuter de tout sauf des chiffres ». Dans ce discours scientiste, le discours de l’Universitaire de Lacan, le savoir est aux commandes, mais il voile le fait qu’il y a toujours un Maître de dissimulé derrière. Cela veut dire qu’en dernière instance, ce savoir supposé scientifique, n’en est pas moins une pure idéologie. Il est énoncé par de supposés savants, qui acquièrent alors, automatiquement, sans que cela ne concerne plus aucune morale, du simple fait de dire qu’ils parlent au nom du savoir scientifique, une indiscutable et autoritaire légitimité. Ce dispositif se reconnait aisément car il fait appel sans cesse à des formules creuses, comme « une nouvelle étude démontre que », « le comité scientifique s’étant réuni », « les experts prouvant », etc.  

Le danger, quand le savoir est ainsi mis aux commandes, qu’il dicte alors aveuglement la politique à tenir, réside dans le fait, alors escamoté, que le propre de l’existence humaine est qu’elle ne peut en aucun cas être organisée sous l’égide du seul Vrai. Le vrai est du ressort du monde, restreint, de la causalité, et il ne peut être efficient quand il s’agit dire ce qu’il en est, ou doit en être, de l’existence. La morale, et donc la politique, doit avoir affaire au Bien et non au Vrai.  

C’est pourquoi Vincent Pavan n’aura de cesse, tout du long de son livre, de nous rappeler à quel point la religion doit ici venir, comme ça a longtemps été le cas, faire rempart. La religion, s’occupant de la vie nue, sacralisant le corps biologique, fait en effet barrage aux scientismes, empêchant le politique de recourir au discours de la Science pour venir gérer les vies humaines dans ce qu’elles ont de plus intime. La religion peut ainsi à elle seule venir empêcher le biopouvoir 

Si le savoir est aux commandes, c’est lui qui a le pouvoir. Le totalitarisme se caractérise alors par le fait que ce « savoir », qui dicte la conduite à tenir, n’en est pas un. Il n’est pas pur savoir issu de la science qui aurait délivrée le Vrai absolu. Si l’on y regarde de près, ce supposé savoir scientifique se trouve être, de manière plus ou moins masquée, totalement contaminé par les intentions cachées du Maître, qui le manipule uniquement pour ses intérêts propres. Vincent Pavan rappelle ainsi qu’une telle prise de pouvoir du savoir dans le discours de la science est possible parce que « ce qui s’impose aujourd’hui dans l’inconscient politique occidental, ce sont bien les conceptions du positivisme d’Auguste Comte. La science doit devenir seule la boussole de l’organisation sociale, qui ne peut donc se mettre en place que sous le régime de la nécessité, celle découlant de la loi scientifique. »  

Tout l’enjeu du livre sera alors de montrer comment l’on peut alors extraire, pour la mettre au ban, pour la priver de tous ses droits, une partie de la population au prétexte de simplement appliquer des résultats supposés de la science. Cela en passe, pour le nazisme, puisqu’il s’agit pour eux de faire de la biologie appliquée, par la médecine, les juifs étant réduits à des poux censés propager des maladies dangereuses pour le reste du corps social…  

Pour Vincent Pavan, il ne s’agit, à aucun moment, d’user dans sa démonstration du principe du bouc-émissaire, auquel il préférera le recours bien plus judicieux à celui d’homo sacer. Ce terme, propre aux romains, que déploie Agamben, permet de rendre compte de l’existence d’individus qui n’étaient alors plus, au sein de la société, ni sous le régime de la loi des hommes, ni sous celui de celle de Dieu. Son meurtre n’avait ainsi aucune conséquence pénale ou morale. C’est en mettant ainsi en sacerté des groupes entiers que le nazisme comme le stalinisme ont obtenu la pleine participation de leurs citoyens à des crimes de masse. Cela en passe par la réduction d’un groupe d’individu à n’être que des sous-citoyens, auxquels ne s’applique donc plus la loi civique, puis à devenir l’équivalent des animaux, pour lesquels la loi religieuse n’a plus cours.  

Vincent Pavan, une fois exposé les deux paradigmes du totalitarisme, la perversion de la loi morale par une supposée loi scientifique, la mise au ban d’une partie de la population en les faisant passer au statut d’homo sacer, explicitant ainsi les mécanismes menant aux meurtres de masse propre aux totalitarismes du siècle dernier, peut alors déployer pleinement sa thèse. Pour lui, en effet, le scientisme propre à notre époque, qui est, ni plus ni moins, que le nouveau nom du totalitarisme en marche, n’est autre que le transhumanisme, la croyance en la toute-puissance de la technologie. Ce sont donc les supposées lois scientifiques de la Technologie qui seraient en train de prendre de plus en plus la place des lois morales dans nos sociétés. La Technologie serait en effet, pour les tenants du transhumanisme, tout à fait capable d’augmenter les corps de l’espèce humaine, faisant ainsi advenir plus rapidement que la nature ne le pourrait jamais un « homme nouveau », plus fort, plus résistant, plus intelligent, imperméable aux maladies, potentiellement immortel en tant qu’homo deus 

Ainsi, pour Vincent Pavan, le nouveau totalitarisme érigera la Technologie comme moyen incontournable d’augmenter l’espèce humaine, qu’il posera en Loi scientifique, comme déterminisme inéluctable déjà à l’œuvre. La partie de la population qui s’y opposera se verra alors privée de tous ses droits, devenant de fait un ensemble d’homo sacer à éliminer. Le biopouvoir aura ainsi pris encore davantage possession de nos corps, et quiconque refusera un contrôle total par ce dernier, qui sera toujours annoncé au nom du Bien, en appelant au dessein d’œuvrer uniquement à l’amélioration de la bonne santé des citoyens, aura aussitôt à en subir les foudres. Il devra s’attendre, ni plus ni moins, qu’à un bannissement brutal, prélude à son élimination symbolique ou physique.  

Il y a donc là analogie entre les totalitarismes du siècle dernier et ce que nous avons vécu durant la séquence Covid-19. Fidèle à sa méthode, Vincent Pavan termine donc sa démonstration, et c’est alors que son livre prend tout son sens, en nous montrant, exemples après exemples, à même notre société occidentale contemporaine, les traits communs aux totalitarismes du siècle dernier. La loi a bien été pervertie au nom de la science lors de la séquence Covid-19, des individus récalcitrants ont bien été bannis, et la morale aura bien été dictée par le recours au discours d’une supposée science dont il était impossible de remettre en cause publiquement les résultats sans devenir de facto homo sacer 

La grande force du livre de Vincent Pavan, que l’on partage ou non toutes ses thèses, est de nous rendre dès à présent, par la mise à notre disposition de moyens rationnels extrêmement fins, des plus attentifs quant à l’avenir. Il faudra sans cesse redoubler de vigilance à chaque fois que des politiques tenteront de faire de la morale à partir de supposés résultats indiscutables de la science. 

 

1 Pavan Vincent, Tout foutre en l'air : Sade, la sexualité, le transhumanisme et l'international élitaire, Exuvie, 2023.  

 

A propos de l'auteur : Nicolas Floury est psychologue clinicien, il vit dans le Pas-de-Calais. Il est l’auteur de Le réel insensé (2010) et de De l’usage addictif : une ontologie du sujet toxicomane (2016). Il a dirigé le dernier numéro de la revue Contrelittérature, "Délire et théorie", qui vient tout juste de paraître. Il vient de terminer un essai sur le lien

entre délire, vérité et jouissance, Délire et vérité, à paraître courant 2025. Vous pouvez retrouver l'ensemble de ses travaux sur son site : : https://www.nicolasfloury.fr/"

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