L'apparition permanente comme mode de gouvernance
TRIBUNE/ANALYSE - En politique, le prononcé fait foi : il acte et officialise. Effectuée depuis l'Élysée ou un plateau de journal télévisé, l'apparition politique, classique de la communication de masse, solennise le propos de celui qui s'adresse à une heure de grande écoute aux "concitoyens" ou aux "compatriotes", à "la Nation" ou à "la République".
L'apparition d'un Président ou d'un Premier ministre, d'un préfet de Police, d'un porte-Parole ou d'un directeur général de la Santé est orchestrée pour l'effet de com' qu'elle produit dans l'opinion, aussi pour la séquence médiatique qu'elle construit autour du personnage mis en scène dans un decorum compatible avec l'écran du spectacle (plateau, pupitre, drapeau, surimp, slogan et hashtag du jour).
Substitut à l'action politique, la parole officielle que l'on met en scène par son effet d'annonce et le désir qu'elle crée de facto, agit sur l'opinion tel un placebo. À tel point qu'avoir "des paroles fortes" et "des mots forts", "des messages forts" et "des promesses fortes" suffisent aux professionnels de la politique pour maintenant persuader, rassurer et convaincre : autrement dit, pour gagner l'approbation et la confiance des foules.
Dans la civilisation du verbiage, les paroles politiques sont logiquement perçues comme des actes. Émise depuis la tribune médiatico-politique, l'affirmation devient action. À l'écran, dire est devenu synonyme d'agir. À l'heure de l'ultracom', la parole prédatrice qui règne en maître a même remplacé la prise de décision, la volonté de faire et d'entreprendre. Désormais, pour gouverner, il suffit de parler. Et pour bien gouverner, de bien parler. Si possible, beaucoup !
À l'heure de l'hypercommunication et de l'ultrapersonnalisation du pouvoir, l'apparition du politique qui cannibalise l'événement, n'a plus rien d'exceptionnel, et ce malgré les efforts répétés par les conseillers en communication à nous la présenter comme telle. Le temps de la rareté de la parole chère à Jacques Pilhan, théoricien du silence, est révolu. L'heure est maintenant à l'apparition permanente comme mode de gouvernance*.
Au centre de toutes les attentions désormais, l'homme politique, premier sur l'événement, a pris la place de premier commentateur de l'actualité. Coresponsable du bruit permanent, celui-ci est, au fond, comme le consultant, l'animateur ou "l'expert" : à l'écran, il apparaît et parle. Il aspire à ne jamais disparaître.
Dans l'ère du spectacle, la politique n'est plus qu'apparition, mise en scène et bruit en continu. Cette activité débordante, par l'image et les mots, donne aux "concitoyens" ou aux "compatriotes", l'illusion de l'action. À "la Nation" ou à "la République", cette masse de paroles tend à donner, en définitive, l'illusion de la décision.
* "24 allocutions télévisées pour un total de 6 heures, 8 minutes et 47 secondes, sans contradicteur" (Libération, 19 Avril 2023)
- François Belley, spécialiste en communication, est auteur de l'essai "Le Nouveau Spectacle politique" (éditions Nicaise, 2022).
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