Abbé Pierre : quelles sont les vraies raisons de la fin d'un mythe ?

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Xavier Azalbert, France-Soir
Publié le 23 septembre 2024 - 10:00
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Abbé Pierre
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GILLES LEIMDORFER / AFP
L'abbé Pierre, prêtre catholique français, pose au théâtre Eldorado, le 13 décembre 1988, alors qu'il présente sa deuxième pièce "Permis de Vivre".
GILLES LEIMDORFER / AFP

Suite aux nombreuses accusations de viols et d'agressions sexuelles faites publiquement, ces dernières semaines, contre le fondateur d'« Emmaüs », des écoles, des parcs, des rues et autres vont sans doute changer de nom.

En matière pénale, et tel serait le cas en l'espèce, la présomption d'innocence ne peut pas bénéficier à une personne décédée. Pourquoi ? Parce que pour pouvoir bénéficier de ce principe, il faut être visé par une procédure pénale. Or, en droit pénal français, une procédure pénale ne peut pas être diligentée contre une personne décédée. J'imagine que c'est parce qu'ils sont pleinement conscients de cette subtilité juridique que les médias ont unanimement déclaré feu-l'Abbé Pierre coupable d'absolument tous les crimes et délits dont il est accusé aujourd'hui.

Pour la plupart, les plaignants invoquent un préjudice très lourd, et hélas impossible à réparer autrement qu'en pécuniaire. En effet, malgré la présomption de culpabilité qui lui est appliquée, décédé qu'il est le 22 janvier 2007, il ne peut pas être condamné à faire de la prison, ni à des T.I.G. (travaux d'intérêt général). Et, il ne peut pas non plus se défendre de ces accusations proférées « à titre posthume. »

Toutefois, et nonobstant, donc, la mort du principal intéressé, la justice s'est saisie de l'affaire. Pourquoi ? Parce que, tant au sein des victimes que parmi les personnes qui y sont étrangères, nombreux sont ceux qui s'interrogent de savoir comment l'Abbé Pierre aurait pu agir de la sorte, à la fois impunément et aussi longtemps. Et ceci, paraît-il, avec en sus d'imposer aux hommes et femmes (autres que ses complices et ses coauteurs) qui avaient connaissance de ses agissements impardonnables, de garder le silence. Un silence « religieux », dirais-je, puisque, jusqu'à-ce jour, aucun d'eux ne l'a brisé.

En effet, à ce jour, ces accusations n'ont été confirmées par aucune des personnes, encore vivantes, qui étaient au plus proche du désormais ex-saint homme, au moment des faits qui lui sont imputés. Ni par une de ces personnes, avant qu'elle-même ne décédât. Et, outre que, s'ils sont avérés, ces faits lui auraient valu le déshonneur d'un procès, passer par la case prison et tout ce qui va avec, si à l'Abbé Pierre ne les a jamais avoués, serait-ce parce que, justement, ils sont inavouables ? J'entends par là par une personne portée par les médias, l'éducation nationale et le cinéma, tellement haut dans l'estime du peuple français, qu'il a été érigé au rang d'institution.

Puisqu'il s'agit quand même de crimes et de délits extrêmement graves.

Mais, sont-ce là les véritables raisons qui incitent les médias à procéder à ce lynchage en règles ? N'est-il pas possible que la raison principale de sa destitution soit autre, en réalité.

Violer le devoir numéro 1 de la Charte de Munich (« Respecter la vérité, quelles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité. »), bible du journaliste, étant le manquement le plus grave qu'il peut commettre, je dois prendre ici le risque de porter à votre connaissance les éléments d'information ci-dessous. Les vérifications effectuées me permettent d'affirmer, qu’ils tendent à ce que cela soit effectif. Je vous livre ces éléments d'information que m’a fait parvenir, un enquêteur chevronné dont l’identité est protégée par le secret des sources qui est également un devoir sacré du journaliste.

La démolition en cours du mythe de l'Abbé Pierre interroge probablement ceux qui, des décennies durant, l'ont « porté aux nues », le tenant pour un saint homme, paré de toutes les vertus évangéliques. Une sorte de Saint-Vincent de Paul du XXᵉ siècle. Alors pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles Henri Pierre Grouès, dit « l'Abbé Pierre », est aujourd'hui couvert d'opprobre, honni, lui dont l'establishment avait fait, et à plusieurs reprises, la personnalité préférée des Français, il convient de rappeler l'accident de parcours majeur de l'abbé, icône de la République : à l'hiver de sa vie, il avait osé défendre son vieil ami Roger Garaudy. Ancien membre du parti communiste, écrivain, philosophe de son état, il était la référence du négationnisme dans les années 90 et condamné pour cela. Il contestait en particulier l'importance de la Shoah (en nombre de morts).

À l'époque, ce dernier était pris dans la tourmente judiciaire et médiatique pour avoir écrit un livre, sulfureux, prêt à enflammer les esprits et mettre le feu aux poudres : « Les mythes fondateurs de la politique israélienne. » À côté, la grenade dégoupillée lancée par Emmanuel Macron en juin ressemble à un pétard mouillé.

Comme si le titre en lui-même ne suffisait pas déjà à ce qu'il reçût la foudre, Roger Garaudy dénonçait expressément, dans ce livre, ce qu'il appelait « le lobby sioniste international » (sic).

Oui. En défendant Roger Garaudy, l'Abbé Pierre a commis ce que ceux qui lui en veulent à mort aujourd'hui encore pour cela, considèrent comme un crime de lèse-majesté. Sommé de s'excuser, l'Abbé Pierre a d'abord refusé de se soumettre. Mais malgré un entêtement proverbial pour lequel, en l'occurrence, on ne peut que le féliciter (2), l'Abbé Pierre avait fini par présenter des excuses. Toutefois, cette prosternation n'a pas empêché, qu'ensuite, et jusqu'à sa mort, il connût les affres de la disgrâce médiatique.

Pardi !

Mais pour faire acte de rétaliation au degré éminemment haut, qu'ils estiment nécessaires à ce que l'auteur de ce crime de lèse-majesté l'ait suffisamment expié, « les zélotes » (1) du système, disait-il (comprenez « ceux qui contrôlent la pensée républicaine »), ont dû attendre patiemment le moment opportun pour écorner à jamais l'image encore immaculée du « saint homme » : sa mort.

Et, ce sont les turpitudes sexuelles d'Henri Pierre Grouès, alias « l'Abbé Pierre », qui leur ont permis de faire en quelque sorte coup double, à savoir en salissant l'église à travers l'une de ses figures françaises les plus emblématiques. Tandis que sont jetés en pâture, les très nombreux écarts du prêtre attestant de sa mâle perversité, certains autres aspects de la vie d'Henri Pierre Grouès, restent, eux, en revanche soigneusement occultés.

Qui, en septembre 2024, a encore connaissance de ses agissements, lors de la période d'épuration qui a suivi la prétendue libération de notre pays par les alliés ? Henri Pierre Grouès n'avait-il pas été qualifié de « Torquemada de la Résistance », pour avoir sévi impitoyablement dans ces tribunaux d'exception, qui « s’occupaient » à tour de bras du cas des Français du camp vaincu ?

Qui peut comprendre comment, censé être un homme d'Église, et devenu député de Meurthe-et-Moselle, il aurait pu être à ce point dénué de tout esprit miséricordieux. En 1946, il a rejeté avec virulence « l'amendement Houcke », cette loi de pardon étendant l'amnistie aux mineurs engagés dans la Collaboration ? 

Et, de nos jours, qui sait quelles furent les véritables motivations du « fait d'armes » de celui qui, entre temps, était devenu « l'Abbé Pierre » : son fameux « Appel du 1er février 1954 » sur les ondes de Radio Luxembourg, la seule chaîne de radio privée de l'époque ? Une série de drames l’ayant conduit à faire cet appel.

Sous couvert de charité chrétienne, Henri Pierre Grouès aurait-il pu servir de « commercial » au puissant lobby du bâtiment. « Provocateur à bâtir » tel qu’il est décrit sur son site sans que l’on sache qui lui a donné ce conseil « Si vous voulez peser sur le logement, il faut créer votre Société Hlm. » La SA hlm sera créée dès janvier 1954. Tout cela dans une quête avide de terrains, pour que les Français déracinés, arrachés à la terre sacrée lors du grand exode rural, fussent logés dans ces immeubles hideux et construits à la hâte. Ces gigantesques cages à lapins, qui accueilleront ensuite des myriades de travailleurs immigrés, dans des conditions de promiscuité et sanitaires fort contestables. Beaucoup de ces immeubles subsistent encore aujourd’hui, même si des opérations de démolition ont laissé place à de nouvelles constructions (sociales).

Serait-il envisageable que le proclamé « défenseur des pauvres », servit en réalité les intérêts des riches en instrumentalisant la charité chrétienne ? Ceux-là mêmes qui ont enfermé par millions, dans ces HLM ultra-bas de gamme, les travailleurs sur le dos desquels ils se sont goinfrés à milliards. Comme l’analyse Marie-Jo Thiel, professeur émérite d’éthique philosophique et de théologique, « son statut d’icône l’a protégé et renforcé son emprise » (tribune publiée dans La Croix).

Martin Hirsch (3), ancien président de la communauté d’Emmaüs en 1995, œuvra alors à la prise de distance d’Emmaüs vis-à-vis des comportements de son fondateur.  Pourquoi a-t-il attendu juillet 2024 pour révéler, dans une tribune pour La Croix, que certains membres de la communauté lui auraient fait part d’un secret sur l’Abbé Pierre ? « En 1957, peu après l’appel de 1954 qui fit de lui une légende vivante, ses proches l’avaient envoyé dans une clinique en Suisse, à l’isolement, parce que son comportement avec les femmes posait problème. <….> Et d’ores et déjà, on considérait que l’une des missions d’Emmaüs était de se protéger et de protéger son fondateur contre lui-même et contre sa maladie. »  En 2015, Fakir écrivait bien dans un article « Martin Hirsch la charité à visage ENA » en décrivant « le triomphe du social business » (4). Serait-il envisageable que d’autres secrets aient pu être confiés à ce proche du pouvoir, ainsi qu’à d’autres, impliqués dans bien des décisions du « social business », dont il s’abstient de faire part dans sa tribune pour La Croix ?

Mais, bien sûr, de tels faits, aussi ignominieux et scandaleux soient-ils, ne pouvaient pas intéresser les faiseurs d'opinion du système. Ils sont soucieux seulement de châtier un de leurs serviteurs pour son dérapage, et afin de continuer à détourner l'attention, et ainsi embobiner le peuple. Le « social business » serait donc bien protégé. (4)

Voilà. Quelle que soit sa raison principale, ce déchaînement médiatique est là. Terrible.

Après l'hallali, la curée.

Le 6 septembre 2024, la Fondation « Abbé Pierre » a annoncé qu'elle a décidé de changer de nom, et qu'elle allait procéder à la fermeture définitive du lieu de mémoire dédié à l'Abbé Pierre à Esteville (Seine-Maritime), village où il est enterré.

 

1) Les Zélotes sont les membres d'un mouvement politico-religieux juif du Ier siècle. Les Zélotes incitent le peuple de la province de Judée à se rebeller contre l'Empire romain et l'expulser par la force des armes. Ils ont joué un rôle de tout premier plan pendant la Grande révolte juive (66-73) qui a abouti à la destruction du Temple de Jérusalem.

2) Car cet entêtement proverbial était attaché là, à une fidélité en amitié qui était chère à son cœur, plus encore que les enfants quasiment éponymes (à un « h » près : de « chœur »), qui l'accusent céans d'avoir prouvé que, les concernant, les voies du Seigneur ne sont pas si « impénétrables » qu'on le dit, à savoir lorsque de zélés serviteurs à lui, confondent « office » et « aux fesses. »

3) Martin Hirsch est d’origine juive, mais ses parents l’ont fait baptiser protestant ("Je me suis totalement reconnu dans Le Juif imaginaire, d’Alain Finkielkraut"). Connu pour ses déplacements en hélicoptère et ne refusant aucune dépense chez Emmaüs, il entra par la suite en politique en devenant un des « Kouchner boys » (au secrétariat d’État à la santé et l’action sociale, et à l’Afssa qui deviendra l’ANSM), puis prendra la direction de l’AP-HP (hôpitaux de Paris).

4) Comme par exemple des détournements de fonds à ce point courant, qu'en interne, on n'hésitait pas à qualifier cette pratique de « système institutionnalisé. »  Pour certains, cette pratique demeure avec des modes opératoires différents : par exemple, les conditions d’attribution de certains marchés ou de logements sociaux.  Un observateur spécialiste des logements sociaux questionne aussi « le cout de construction de ces logements qui encore aujourd’hui lui parait excessif, mal encadré et propice à d’éventuelles malversations. »

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