Covid-19 : la médecine biaisée par les statistiques
EDITO : Le débat opposant les pro-hydroxychloroquine et ceux qui sont contre ne doit pas se transformer en querelle de clochers. Les réseaux sociaux regorgent de messages à caractère inapproprié, voire haineux ou même diffamatoire entre les deux « clans ». Les résultats des études sont auscultés de façon opposée par chacun des deux groupes. Le débat, hautement politisé sur les plateaux télévisés, qui laisse trop souvent la place à des médecins n’ayant pas eu à soigner des patients ou ayant des liens d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques, donne une piètre vision de la médecine et de la science.
L’observation et l’empirisme, base fondamentale de la science, sont supplantés par la croyance que les études contrôlées, randomisées en double aveugle, apporteraient le plus haut niveau de preuve et représentent la démarche scientifique ultime. Une « méthode vertueuse » normative exempte de tout défaut s’opposant à « l’empirisme pragmatique ».
Les commanditaires des études cliniques contrôlées voudraient en faire en quelque sorte des « sondages hyper sophistiqués » où l’on évaluerait in fine au travers d’une métrique prédéfinie s’il existe un effet positif à un traitement. Qui plus est, on ferait appel à un traitement mathématique pour mesurer l’efficacité statistique de la métrique. Alors ce n’est pas l’efficacité du traitement que l’on mesure, mais « l’efficacité » statistique de la mesure ! Et c’est peut-être là que l’écart de perception réside.
D’un côté, les « empiristes », « praticiens » de la médecine observationnelle (médecine basée sur les faits) évaluent l’efficacité d’un traitement sur chaque patient et, à la suite d'observations successives, essaient d’en tirer un protocole tout en gardant à l'esprit que chaque patient est unique. Avec l'avènement des essais contrôlés, les patients sont uniformément réduits à une collection de 2 douzaines de caractéristiques clinico-pathologiques et ne se distinguent les uns des autres que par leur numéro d'inclusion. Comme pour compenser cette déshumanisation, rappelons que la recherche médicale affirme qu'elle s’oriente maintenant vers des traitements individualisés (cf. recherche sur les cellules souches) alors que, de tout temps, les médecins ont pratiqué une adaptation individualisée des traitements aux patients. De l’autre côté, les partisans de l’essai clinique (avec toutes ses sophistications : randomisé, double aveugle, contrôlé…) testent un ou des traitements et déterminent s’il y a une différence significative entre eux en effectuant des tests statistiques.
Cependant, les outils statistiques sont trop souvent mal utilisés. Dans la plupart des essais, on tente de mesurer la puissance « p » d’un résultat au travers d’un test statistique. Mais ce fameux "p" est avant tout fonction des hypothèses de départ.
Pour expliquer cela, prenons un exemple simple : dans votre voiture, pour compenser la perte de vitesse causée par la pente dans une montée, vous appuyez sur l’accélérateur. Vous tenez donc compte d’éléments externes tels que la pente et les frottements. L’hypothèse communément acceptée est qu’il faut accélérer en montée pour garder sa vitesse constante. Cela ne viendrait à l’idée de personne de lever le pied de l’accélérateur pour garder la même vitesse en montée. Nous voulons dire par là que l'évidence s'impose sur l'action à mener sur la pédale d'accélérateur pour corriger la perte de vitesse.
En principe, un essai clinique est mis en place suite à plusieurs observations empiriques qu’un traitement présente un effet sur une pathologie. La question est de savoir si ce traitement est plus efficace que les médicaments déjà communément employés. De son côté, le médecin prescrit un médicament car il estime, selon les connaissances du moment de la médecine, que ce traitement va soigner. L’hypothèse retenue par le médecin est que le traitement a un effet supérieur à l’absence de traitement (effet placebo) et non l'inverse.
Dans les essais cliniques, les tests statistiques utilisés sont souvent des tests bilatéraux car les effets anticipés des nouveaux traitements sont souvent marginaux. Quand un médicament marche de façon spectaculaire, il n'est nul besoin d'essai. Comme le dit le Pr. Raoult, l'essai le plus significatif est celui ou un seul patient est guéri de façon certaine d'une maladie tout aussi certaine. C'est ce qui s'est passé quand Pasteur a sauvé le petit Joseph Meister de la rage. N=1 et la démonstration était faite tant la certitude de la mort du garçon était une évidence. Si le petit Meister était mort, alors il aurait fallu envisager de tester sur d'autres patients, avec moins de certitudes quant au résultat bénéfique du vaccin. Sans mentionner cet exemple, le Pr. Raoult a affirmé, avec une ironie à peine dissimulée, cette vérité lors de son audition parlementaire, suscitant de vives critiques de la part de ceux qui avaient perdu de vue cette réalité.
Pour tester un effet défini a priori comme étant supérieur (ou inférieur le cas échéant), un test statistique unilatéral suffit.
Cela ne viendrait pas à l’idée à un médecin de tester un médicament ayant un effet négatif connu. Eh bien trop souvent dans les essais cliniques, comme celui sur l'hydroxychloroquine, molécule antivirale avérée, les médecins oublient l’hypothèse de départ et utilisent un test bilatéral. Ils font l’erreur d’utiliser des tests qui sont en quelque sorte « trop puissants » avec le défaut associé d'être trop stricts dans la décision.
Ce qui ouvre la porte, dans le cas d'essais mal maîtrisés au niveau des biais potentiels, à l’erreur de conclure qu’un médicament n’est pas efficace alors qu’il l’est en réalité.
Depuis longtemps, le débat entre macro-économistes et micro-économistes existe. Les temps récents donnent le sentiment que le débat se situe entre partisans d’une médecine individuelle et de la médecine du plus grand nombre, où l'intérêt du patient à titre individuel disparaît au profit de statistiques auxquelles il est facile de faire dire tout et son contraire. Le mythe du traitement unique tel qu’un vaccin n'a jamais été aussi prégnant alors que la recherche médicale affirme officiellement s’orienter vers des traitements personnalisés. Depuis longtemps, les médecins prescrivent au travers d’une « ordonnance » après un diagnostic individualisé.
Combien de fois a-t-on vu des observations déduites de tests de laboratoire non vérifiées sur l'homme dans des situations réelles ? Combien de théories économiques observées sur des échantillons de population n’ont pas trouvé leur place à grande échelle ? Le Graal de la médecine serait peut-être de trouver la molécule unique pour chaque maladie. Mais nous vivons dans un monde de plus en plus individualisé. Que ce soit chez Nike ou Peugeot, on peut customiser sa chaussure ou son véhicule, générant ainsi de multiples combinaisons satisfaisantes. Est-il donc raisonnable de vouloir éliminer toutes les options thérapeutiques viables (comme l'hydroxychloroquine) pour n'en garder qu'une qui serait le remdésivir en attendant un vaccin pour une maladie qui n’est pas totalement comprise ? Ce serait comme demander à Nike de faire une chaussure sur mesure unique pour tout le monde.
Dans une pandémie, ces pseudo-querelles de scientifiques, teintées de conflits d'intérêts patents, n’ont pas de place sur les plateaux télévisés, et on pourrait donner raison aux deux camps, mais sur des horizons de temps différents. Avec l'échec des grands essais contrôlés (Recovery et Discovery), les événements viennent de montrer que ces études ne peuvent pas se mettre en place et produire des résultats fiables en cours d'épidémie, donnant raison à l'approche médicale pragmatique. Ma grand-mère me disait souvent : « Quand tu seras grand, tu changeras d’avis ». En quelque sorte, pour elle, je n’avais probablement pas assez d’expérience ou de recul pour m’apercevoir de mes erreurs.
En période de crise, à partir de son expertise, le médecin observe, apprend et ajuste sa réponse de soin aux patients au fur et à mesure. C'est le temps d’une vie que d'avoir suffisamment accumulé d’observations afin de pouvoir en tirer une leçon.
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