Christian Buchet, universitaire et historien : « La mer peut sauver l’humanité »
Membre de l’Académie de marine, Christian Buchet propose une autre compréhension de la mer afin de profiter de ses immenses ressources. « La mer peut sauver l’humanité», ose-t-il-affirmer. De quoi mettre du baume au cœur à tous les jeunes qui sont désespérés, désertent les études et la vie professionnelle.
L’homme est pour le moins bien amariné. Christian Buchet, universitaire spécialiste des interactions maritimes, géopolitiques, environnementales et sociétales, n’hésite pas à se jeter à l’eau, à contre-courant d’une vision apocalyptique du monde.
Le « bûcheur de la mer » a publié une vingtaine d’ouvrages, piloté le Grenelle de la mer, dirigé Océanides, une encyclopédie qui bouleverse les repères classiques de l’histoire de l’humanité.
Dans votre dernier livre « A tous les cancres incompris », vous racontez vos souvenirs allant de l’élève rêveur et insoumis au sexagénaire accompli et passionné par son métier. Quel a été le déclic qui vous a incité à écrire cet ouvrage atypique ?
J’ai réalisé que lorsque je suis né en 1957 il y avait 3 milliards et demi d’habitants alors que la planète compte aujourd’hui 8 milliards d’êtres humains. En l’espace de 67 ans, la population a plus que doublé ! La barre des 500 millions ne fut dépassée que vers 1650. Selon les prévisions, nous devrions être 10 milliards en 2050. Cela a été le déclic. Il m’a alors semblé intéressant de porter un regard d’historien sur l’époque que nous vivons pour montrer à mes enfants et petits-enfants et ceux qui veulent bien l’entendre que la vie est merveilleuse, pleine de couleurs, de rires et de promesses.
Que répondez-vous aux jeunes qui sont inquiets de l’explosion démographique couplée à ce que l’on appelle aujourd’hui le « dérèglement climatique » ?
Effectivement, il y a de plus en plus de jeunes qui sont impactés par la violence à leur porte, par les risques d’une guerre annoncée demain. Ils vivent une forme de désespérance, se réfugiant derrière les écrans et les jeux vidéo. Ils ne savent quel métier choisir, ne veulent pas avoir d’enfant. Influencés par les discours politiques et les media, ils sont persuadés que l’humanité va dans le mur, car la planète est surpeuplée.
Je ne suis pas d’accord, ces thèses sont erronées. Nombreuses sont les études qui montrent que nous avons la capacité de nourrir 12 milliards d’individus avec une agriculture traditionnelle. La quasi-totalité des solutions se trouve dans les ressources de la mer. Cela passe par la création d’une audacieuse et grande politique maritime.
Le « Ici et maintenant » que distille savamment l’Asie vers l’Occident est dangereux, car nos dirigeants politiques s’enferment dans le court-termisme pour répondre aux revendications immédiates. Seuls les Etats autoritaires ont aujourd’hui une stratégie de moyen terme. Trouver un équilibre entre court et moyen terme, tel est le défi pour nos démocraties.
La mer serait-elle l’avenir de la Terre?
La mer peut sauver l’humanité ! N’oublions pas qu’en 2050, selon les démographes, nous aurons deux milliards de terriens de plus. 80 % de la population mondiale sera concentrée sur le littoral.
Bien que la mer recouvre 72% de la surface du globe, elle demeure un espace naturel encore largement méconnu. Les fonds sous-marins regorgent de ressources naturelles énergétiques et alimentaires. Près de 80% de notre biodiversité est issue de la mer et l’on ne connaît pas plus de 3% de la microbiologie marine. C’est la Chine qui, aujourd’hui, dispose des 17 métaux rares indispensables aux technologies que nous utilisons. Mais la France est aussi bien dotée pour avoir, dans ses fonds marins de Polynésie, 18% des réserves mondiales estimées de ces « terres rares ».
Quelle est la place de la France sur la carte du Monde ?
La plupart des gens l’ignorent : La France est le deuxième plus grand domaine maritime du monde doté de plus de 11 millions de km2, tout juste derrière les Etats-Unis et loin devant l’Australie. Cela grâce à nos territoires d’Outre-mer. Nos entreprises disposent d’opportunités étonnantes et nombreuses grâce au positionnement économique et géostratégique de notre pays. Nous ne mesurons pas le potentiel extraordinaire des découvertes susceptibles de transformer en profondeur notre civilisation. Bien entendu, il ne s’agit pas de se servir dans la mer comme dans une grande surface. Nous n’aurons pas d’océan de rechange. Les experts du Grenelle de la mer dont je coordonnais les travaux ont démontré que l’on pouvait parfaitement concilier le développement économique et la préservation de l’océan. Il n’y a pas d’opposition entre le développement économique et le développement durable, ce que je préfère appeler le « développement désirable ».
Vous dîtes être un pessimiste de tempérament, mais un optimiste par le raisonnement. Avons-nous justement les bonnes méthodes de raisonnement pour appréhender les changements du monde ?
Les étudiants sont formatés par un système éducatif dépassé qui les conduit à servir une société dont les fondements ne sont pas remis en question.
Les mathématiques basées sur les équations s’inscrivent dans l’attente d’un résultat -le même pour tous- préétabli par les termes posés. Bonjour le conformisme ! Il serait temps, un siècle après les travaux fulgurants d’Albert Einstein, d’intégrer la physique et les mathématiques quantiques dans les formations afin d’être plus à même de gérer le complexe.
De même la société gagnerait, ô combien, à revaloriser les filières littéraires, de sciences humaines et sociales, particulièrement aptes à entrecroiser des horizons divers. Les grandes écoles sont moins recherchées, car de nombreux étudiants ne veulent pas d’une carrière toute tracée dans une grande entreprise. Un bon job ne suffit plus. Ils souhaitent donner du sens à ce qu’ils font.
Vous enseignez l’histoire à des étudiants qui sont attirés par les sciences humaines, les métiers dans l’humanitaire, le journalisme, la géopolitique. Quel est votre principal message ?
Il faut sortir du carcan du plan thèse-antithèse-synthèse. Ne nous méprenons pas : si la thèse se développe comme noire, l’antithèse comme blanche, la synthèse ne saurait être un gris plus ou moins profond, un gris étriqué. Ce gris est ni plus ni moins « le politiquement correct » que nous dénonçons tous et dans lequel nous pataugeons désespérément. Il se traduit par le « en même temps » qui ne séduit plus personne.
Les prophètes de l’apocalypse veulent régler les défis d’aujourd’hui avec les outils d’hier. La véritable synthèse se trouve dans la gamme des couleurs et dans leurs combinaisons infinies. Ce que nous appelons thèse et antithèse en Occident n’est rien moins que le Ying et le Yang chinois, deux forces opposées mais complémentaires qui se poursuivent dans un cercle, qui est mouvement et dépassement. On est bien loin de l’opposition archaïque frontale dans laquelle nos formations continuent de s’enfermer.
Certains de vos étudiants sont-ils des cancres ou ont-ils tout simplement la mauvaise méthode de travail ?
En première année, 15 à 20% d’entre eux ne se présentent pas aux examens. Ils ont abandonné dès le premier semestre… Ils ne savent pas prendre des notes et se retrouvent avec un cours qui ressemble à un gruyère. Ils tombent dans le trou et n’en sortent plus !
Lorsqu’ils sont sur leurs écrans, ils sont tentés de réserver des places de cinéma, de répondre à des mails, bref de faire tout autre chose que de suivre le cours. Ils ont un véritable problème de concentration qui n'existait pas autrefois grâce à la mémoire auditive qui se traduisait de manière visuelle sur le papier. Peut-être faudra-t-il en arriver à supprimer la prise de notes par ordinateur pour les cours magistraux ?
Je suis stupéfait de voir des jeunes qui sont débordés, qui courent après le temps. S’ils ont un moment disponible, ils se connectent à leur portable, à des jeux vidéo. L’imagination, le rêve, la créativité ont de moins en moins de place. Il faut parfois s’ennuyer à dessein pour laisser les envies apparaître. « Donnez-moi l’envie d’avoir envie », chantait notre Johny national.
Pour que vive la vie, il faut conserver son cœur d’enfant, tout empreint d’émerveillement, d’envies, de sourires et de rires partagés. Il ne s’agit pas de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Il faut sortir du verre. Vive la vie, encore, toujours et plus encore, vive l’aventure !
Pour en savoir plus, rendez-vous que le site de Christian Buchet
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