Quand le CNRS finance le rapport complotiste de Chavalarias : anti-science ou anti-débat ?

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Le Collectif Citoyen, France-Soir
Publié le 03 avril 2025 - 20:30
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Quand le CNRS finance le rapport complotiste de Chavalarias: anti-science ou anti-débat ?
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Publié en mars 2025 par David Chavalarias, directeur de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Île-de-France (ISC-PIF), un laboratoire affilié au CNRS, le rapport « L'anti-science version Trump arrive en France » prétend révéler une campagne anti-scientifique orchestrée par l’extrême droite française, inspirée des tactiques conservatrices américaines sous Donald Trump. Centré sur une supposée attaque contre le projet OpenPortability – une initiative visant à étudier la migration des utilisateurs de X vers des plateformes décentralisées comme Mastodon et BlueSky –, le document avance que des forces réactionnaires, en synergie avec des narratifs pro-Kremlin, menacent la recherche scientifique en France. Cependant, une analyse approfondie révèle des failles méthodologiques, des biais idéologiques marqués et une rhétorique alarmiste qui soulèvent des questions sur sa scientificité et sur l’utilisation des fonds publics du CNRS. Entre fonds publics, biais privés : la science est-elle détournée par l’ISC-PIF avec ce rapport qui crie au loup alors que Chavalarias joue la victime ? Cet article propose un résumé du rapport, une critique rigoureuse, et une réflexion sur ses implications politiques et institutionnelles.

Une fable anti-droite : le conte idéologique de Chavalarias

Le rapport se construit autour de cinq axes principaux. D’abord, Chavalarias décrit une stratégie conservatrice aux États-Unis qui viserait à neutraliser les centres de recherche sur la désinformation avant la campagne électorale de 2024, via le dénigrement, les médias ultraconservateurs et des « procédures bâillon ».

Ensuite, il soutient, sans autre preuve que ses déclarations, que l’extrême droite française, influencée par cette tactique et par le Kremlin, s’en prend au CNRS et à l’ISC-PIF, notamment via le projet OpenPortability, lancé en novembre 2024. Ce projet, qui recense les connexions des utilisateurs de X pour analyser leur migration vers d’autres plateformes, est présenté comme une réponse à la fermeture des interfaces de programmation (API) de X en 2023 ; une campagne virale baptisée "Hello Quitte X" a attiré 30 000 inscriptions, mais a aussi suscité des critiques notamment sur l’usage des fonds publics. Puis, il détaille le mode opératoire : une communauté numérique qualifiée de « confusionniste et anti-système », aux sympathies pro-Kremlin, relayée par le Rassemblement National et des structures financées par Pierre-Édouard Stérin via son projet Périclès, aurait répandu des fausses informations et des attaques personnelles contre Chavalarias. Enfin, il appelle à une mobilisation contre cette prétendue « anti-science », reliant ces événements à un climat idéologique propice à la désinformation, comme si sa position au CNRS lui permettait de décréter le vrai du faux, le bien du mal.

Pseudo-science à la rescousse : les ficelles bancales de l’ISC-PIF et les critères objectifs non remplis

Pour qu’un rapport passe le test d’un travail scientifique, il doit répondre à des critères objectifs : clarté des définitions, transparence méthodologique, falsifiabilité, une approche impartiale et la possibilité pour d’autres chercheurs de reproduire les résultats. Sur ces points, le texte de Chavalarias s’effondre.

Le terme « désinformation » est omniprésent, mais jamais défini. Est-ce une erreur factuelle vérifiable, une opinion divergente, ou une intention malveillante ? Sans cadre précis, l’auteur peut classer toute critique comme désinformation, sapant toute objectivité. Par exemple, sur l’origine de la covid-19, Chavalarias a initialement soutenu le narratif officiel d’une origine naturelle, rejetant les hypothèses de fuite de laboratoire comme conspirationnistes. Pourtant, le 2 avril 2025, l’Académie de médecine a reconnu une « grande probabilité » que le virus provienne d’un laboratoire, corroborant un rapport de 2024 de la Chambre des représentants au Sénat américain et une étude de Luc Montagnier et Jean-Claude Perez (30 juillet 2020). Cette volte-face met en lumière l’absence de rigueur dans sa définition initiale de la désinformation.

De plus, la méthode utilisée pour repérer 367 comptes accusés d’attaques repose sur une collecte manuelle aux critères flous, comme les « contenus haineux originaux », et les pourcentages avancés, tels que 62,5 % de comptes issus d’une communauté confusionniste, ne s’appuient sur aucune explication claire, rendant les conclusions invérifiables. Les liens avec le Kremlin ou Trump se fondent sur des coïncidences, comme des partages de messages, sans preuves concrètes comme des financements, ce qui empêche toute validation ou réfutation.

Le ton partisan, avec des mots comme « réactionnaire » ou « confusionniste », et l’obsession pour l’extrême droite, ignorant d’autres sources possibles de désinformation, trahissent un manque d’impartialité. Enfin, sans accès aux interfaces de programmation de X ni aux bases de données brutes, qui comptent 711 millions de messages, personne ne peut reproduire cette analyse, un défaut rédhibitoire pour une étude sérieuse.

Sur ces critères, le rapport échoue à se hisser au rang d’un travail académique rigoureux. Ce rapport tient plus du discours militant qu’à une recherche impartiale.

Le miroir brisé : Chavalarias, maître de la désinformation qu’il dénonce

Le texte accuse l’extrême droite de propager des fausses informations pour museler le débat, mais il pourrait bien être l’arme qu’il prétend combattre : un outil de propagande idéologique. En présentant ses détracteurs comme des ennemis de la science ou des relais du Kremlin, Chavalarias évite d’aborder de front les questions légitimes sur OpenPortability, comme la pertinence de collecter des données ou son intérêt pour le public. Cette attitude défensive, renforcée par des formules choc comme « mise à sac de la recherche », cherche à discréditer toute opposition sans la discuter. Paradoxalement, en rejetant ces critiques comme irrecevables, le rapport bride le débat qu’il dit vouloir protéger, reproduisant ainsi les mécanismes qu’il tente de dénoncer.

Instrumentalisation de la science : un enjeu perçu par le public

La méfiance envers l’instrumentalisation de la science par des institutions publiques est croissante. Un sondage de France-Soir/BonSens.org publié le 2 avril 2025 révèle que 61 % des Français pensent que « la science est trop instrumentalisée par les politiques et les médias » et 84 % pensent que « les médias amplifient les peurs des Français » contribuant ainsi à ne plus reconnaitre ce qui est vrai de ce qui est faux (79 %).
Sondage

Ces perceptions reflètent un malaise que le rapport de Chavalarias risque d’amplifier en s’alignant sur une vision partisane.

Mission trahie : Chavalarias utilise-t-il le CNRS comme un pion politique ?

Le CNRS, créé en 1939, a pour mission fondamentale de « faire progresser la connaissance » à travers une recherche fondamentale et appliquée, indépendante des pressions politiques ou idéologiques. Son objectif primaire est de produire des savoirs universels, vérifiables et utiles à la société, pas de s’engager dans des luttes idéologiques ou de promouvoir des outils au service de plateformes privées. Le projet OpenPortability, en facilitant la migration de X vers Mastodon ou BlueSky, et le rapport qui le défend s’éloignent de cette mission. Ils semblent davantage servir une cause – l’opposition à X et à des figures comme Trump – qu’une avancée scientifique désintéressée. Cette dérive risque de transformer le CNRS en un acteur partisan, au détriment de sa vocation originelle.

Argent public, agenda privé : le Parlement doit stopper le gâchis

Le financement du rapport et du projet OpenPortability par le CNRS pose des questions éthiques et politiques. Si les hypothèses de Chavalarias relèvent plus de l’idéologie que des faits – comme une influence du Kremlin sans preuves tangibles –, des voix au Parlement devraient s’élever. 

Au Sénat, la Commission des finances devrait s’attacher à scruter l’usage des fonds publics pour des recherches marquées par une telle partialité, tandis que la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication pourrait vérifier si le CNRS respecte encore sa mission scientifique. À l’Assemblée nationale, la Commission des finances devrait s’interroger sur la pertinence d’OpenPortability, et la Commission des affaires culturelles et de l’éducation évaluer son impact sur le débat public.

Un audit indépendant s’impose pour trancher : le CNRS finance-t-il une science neutre ou un projet personnel ?

Fact-checking en faillite : Chavalarias et ses alliés discrédités

Chavalarias maintient des liens étroits avec des groupes autoproclamés « de vérificateurs des faits », comme Conspiracy Watch, dirigé par Rudy Reichstadt, qui se posent en défenseurs d’une vérité officielle, en quelque sorte les gardiens d’un narratif patenté. Ces structures, souvent soutenues par des fonds publics ou des fondations liées à des intérêts étatiques, ont vu leur crédibilité s’effondrer auprès de nombreux citoyens. 

Par exemple, Conspiracy Watch a longtemps traité de « complotistes » ceux qui évoquaient une origine artificielle du Covid-19, soutenant la thèse zoonotique jusqu’à ce que les indices d’une fuite de laboratoire s’accumulent. Chavalarias a suivi cette ligne dans ses travaux passés, rejetant les thèses alternatives comme infondées. Cette convergence avec des fact-checkers idéologisés, désormais discrédités par des revirements comme celui de l’Académie de médecine, fragilise sa posture de chercheur impartial.

Le vrai complotiste : Chavalarias, architecte de sa propre cabale ?

Le qualificatif « complotiste » sied davantage à Chavalarias qu’à ceux qu’il accuse. En tissant une histoire où l’extrême droite, le Kremlin et les trumpistes s’unissent contre la science sans apporter de preuves solides, il bâtit une théorie du complot fondée sur des rapprochements douteux et une victimisation outrancière. Là où les « complotistes » qu’il critique s’appuient parfois sur des faits déformés, mais concrets, Chavalarias avance une hypothèse impossible à prouver, soutenue par une rhétorique émotionnelle plutôt que par des données rigoureuses.

Le boomerang de l’ISC-PIF : un rapport qui expose les dérives de la recherche

Une menace pour la science ou un miroir tendu ?Le rapport met en garde contre une « anti-science » venue d’ailleurs, mais ses défauts laissent penser qu’il nuit lui-même à la science en mélangeant recherche et militantisme. Il ne tient pas face à un examen rigoureux et semble conçu pour protéger l’ISC-PIF de ses critiques plutôt que pour éclairer une réalité complexe. 

L’usage des fonds publics pour un tel travail, qui préfère les présupposés idéologiques aux faits, appelle un débat parlementaire urgent. Si le CNRS ne recentre pas ses priorités sur une science transparente et impartiale, il risque de prêter le flanc aux critiques qu’il cherche à conjurer. 

Paradoxalement, l’importance d’un tel document réside dans la démonstration qu’il fournit involontairement : il y a un réel problème dans la recherche et l’usage des fonds publics, où des travaux biaisés peuvent être financés sous couvert de science. 

C’est le seul point positif de ce rapport, qui agit comme un signal d’alarme sur les dérives possibles de l’institution.

En conclusion, ce document n’est pas seulement un échec scientifique ; il est un symptôme d’une dérive où la recherche publique devient un outil de propagande, étouffant le débat qu’elle prétend protéger. Les parlementaires ont un rôle à jouer pour garantir que les fonds publics servent la vérité, pas une vision partisane.

Pendant ce temps, la nomination du docteur Jay Bhattacharya à la tête des Instituts Nationaux de la Santé (NIH) aux États-Unis, confirmée par le Sénat le 25 mars 2025, souffle un vent d’espoir pour redonner ses lettres de noblesse à la science. Connu pour son opposition aux mesures autoritaires pendant la crise du Covid-19 et sa défense d’une protection ciblée des plus vulnérables, Bhattacharya incarne une volonté de dénoncer les pratiques idéologisées et instrumentalisées de la science à des fins personnelles ou politiques. Sa prise de fonction le 1er avril 2025 promet de ramener la rigueur et la liberté d’expression au cœur de la recherche, offrant un contraste saisissant avec les dérives illustrées par le rapport de Chavalarias.

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