Les prisons du futur : un mauvais souvenir ?
Et si, au lieu d’enfermer les criminels, nous implantions dans leur cerveau de faux souvenirs créés par intelligence artificielle pour changer leur personnalité avant de les renvoyer au sein de la société ? C’est le projet dément d’Hashem Al-Ghaili, le biologiste moléculaire yéménite qui a conceptualisé Cognify, les prisons du futur.
Il n’est pas rare que la science-fiction inspire les idées d’aujourd’hui en matière de défense et sécurité. En l’occurrence, le projet Cognify n’a pas à rougir devant les plus étranges épisodes de Black Mirror, ni même devant Minority Report ou encore Total Recall.
Réhabilitation, sans passer par la case prison
Surpopulation carcérale, taux de récidive, manque à gagner pour la société… Les prisons d’aujourd’hui ne semblent pas aptes à juguler la criminalité, encore moins à réhabiliter celles et ceux qui y passent. La question se pose : comment faire autrement ?
C’est ici qu’intervient Cognify. Présenté en long, en large et en travers dans une vidéo YouTube publiée sur la chaîne d’Hashem Al-Ghaili, il s’agirait d’un projet de « réhabilitation plutôt que de punition ». Résumons.
En théorie, l’idée est simple : ôter l’envie de (re)faire le mal à n’importe quel individu en lui injectant des souvenirs réalistes, générés artificiellement et capables de déclencher le regret, l’empathie, voire la douleur. Mettons qu’une personne X ait assassiné Y. Après que justice l’a rendue coupable, X pourrait choisir sa peine : passer le reste de sa vie en prison (simplifions), ou accepter le sort de la machine. Admettons qu’elle choisisse la seconde option. Elle passe alors « un scanner cérébral à haute résolution afin de créer une carte détaillée de ses voies neuronales ». Ladite carte permettra d’intervenir spécifiquement dans les régions concernées, telles que l’hippocampe, qui joue un rôle central dans la mémoire et la navigation spatiale. Puis, c’est le moment fatidique :
« Le Cognify est ensuite placé autour de la tête du prisonnier. L'intensité et le type de souvenirs artificiels sont ajustés en fonction du crime. Dans l'esprit du criminel, le temps s'écoulerait différemment, de façon plus lente que dans la vie réelle, de façon à ce qu’ils ressentent l’expérience comme ayant duré des années. », apprend-on dans la vidéo.
Son espèce de casque, il l’imagine suffisamment compact pour pouvoir être utilisé n’importe où dans le monde, dans presque n’importe quelle situation. D’autant que l’engin se ferait fort d’une batterie à toute épreuve.
Après ça, parce que ces souvenirs sont censés s’intégrer définitivement au système neuronal du cerveau de la personne, X doit ressortir complètement façonnée, réhabilitée pour la société, et vidée de toutes ses données personnelles utiles à la science.
Entre science et fiction
Comme le rapporte ActuaLitté, « Al-Ghaili souligne que la science nécessaire à cette technologie existe déjà. » Difficile d’en être certain, même si les recherches liées aux souvenirs continuent d’ouvrir de nouvelles voies vers l’innovation.
Le 27 mars 2024, une étude publiée dans la revue Nature montre que la création d’un souvenir a lieu dans la douleur, en quelque sorte. Comme on peut le lire dans un article de Sciences et Avenir, « l’activité neuronale lors de la formation d’un souvenir serait tellement forte qu’elle causerait des cassures de l’ADN dans tous les neurones impliqués, déclenchant une réponse inflammatoire ». Après coup, les régions ainsi blessées laisseraient l’ADN momentanément plus accessible, le temps que la réparation naturelle se fasse. Cette dernière laisserait une sorte de trace appelée « engramme », qui lierait les neurones entre eux, de sorte qu’ils puissent réagir ensemble à la prochaine occurrence.
En clair, nous pourrions donc imaginer qu’en provoquant des souvenirs ultra-réalistes dans le cerveau d’un individu, nous aurions effectivement la possibilité de changer radicalement son comportement, voire son identité. Il va sans dire que la simple évocation du projet a déclenché une levée de boucliers, notamment pour les questions éthiques qu’il pose.
Un modèle de société
Dans la vidéo de présentation, Hashem Al-Ghaili n’est pas peu fier de présenter Cognify comme étant révolutionnaire. En réduisant à presque rien les besoins d’incarcération, le concept permettrait de sauvegarder une quantité non négligeable de fonds, utilisés notamment pour la construction des prisons, le personnel ou encore le soin des prisonniers.
« Les fonds économisés grâce à la réduction des taux d'incarcération et de récidive pourraient être réaffectés à d'autres domaines essentiels. Il peut s'agir de l'éducation, de la santé, du développement des infrastructures, des programmes de protection sociale, ou encore des initiatives de recherche et de développement qui profitent à la société dans son ensemble. », se félicite le biologiste, assurant même pouvoir ainsi soigner le trouble de stress post-traumatique (PTSD).
Que demande le peuple ? Disons-le, il y a une question préalable à tout ceci, pourtant totalement occultée dans la présentation : la justice. Si ce n’est pas la peine capitale d’antan, s’en remettre au traitement Cognify pourrait s’avérer tout aussi définitif pour soi, et troublant pour la société. Après tout, c’est une autre façon de marcher droit. Et, cependant qu’Al-Ghaili promet de soigner toute sorte de pulsions, il serait bon de savoir qui fixera les règles le jour où ce genre d’outil sera en service.
À aucun moment, nous parlons de garde-fous, pas plus que de raison. A priori, celles et ceux qui voudraient bien s’en remettre à Cognify pour être changés de l’intérieur devront donc accepter de pouvoir être modelés à souhait pour le bien de la société.
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