Covid et mesures liberticides en France et en Italie  : de la disproportion d'une réponse sanitaire

Auteur(s)
Alessandro A. Negroni
Publié le 10 juin 2023 - 13:00
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Librairie au temps du covid
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Photo de Gabriella Clare Marino sur unsplash.com
En Italie, une librairie romaine au temps de la gestion sanitaire du Covid, Via del Governo Vecchio, le 28 juillet 2020.
Photo de Gabriella Clare Marino sur unsplash.com

TRIBUNE/ANALYSE - Le philosophe du droit Alessandro A. Negroni* nous propose un bilan de la gestion sanitaire du Covid et pense notamment le concept de disproportionnalité de la réponse des autorités politiques et administratives face au SARS-CoV 2. Une réponse dont les mesures ont mis à mal l'exercice de nos droits fondamentaux et réduit la liberté à un état de "non-valeur". Un schéma qui s'est produit en France comme en Italie alors que d'autres pays, comme la Suède, ont su davantage raison garder vis-à-vis de l'intensité des moyens employés, généralement de force. G. Gianni

Proportionnalité  

D’un point de vue éthique, politique et juridique, dans un État de droit libéral et démocratique, la proportionnalité est un principe qui doit toujours régir l’action des pouvoirs publics et, en particulier, les mesures adoptées par l’Etat qui limitent la liberté et les droits fondamentaux des citoyens. 

Une proportionnalité qui signifie aussi que, pour être acceptable dans un Etat de droit, une mesure qui réduit les libertés individuelles doit être une mesure "nécessaire" : nécessaire au sens d’indispensable pour protéger un intérêt public légitime précis et sans alternative moins restrictive de la liberté des citoyens. 

En d’autres termes, si, pour protéger un intérêt public précis, il n’est pas nécessaire de limiter les libertés individuelles des citoyens, l’État ne doit pas limiter lesdites libertés ; s’il faut limiter les libertés individuelles des citoyens, alors l’État doit, dans tous les cas, choisir une mesure garantissant le degré maximum de liberté possible aux citoyens.  

Et il ne pourrait pas en être autrement dans une perspective libérale, c’est-à-dire dans la perspective et dans le cadre d’une doctrine morale qui attribue un rôle central aux libertés et d’une doctrine politique corrélative qui affirme que la raison d’être et le rôle de l’Etat consistent à protéger et promouvoir les libertés individuelles.  

La proportionnalité doit être respectée avec d’autant plus de rigueur et d’absoluité que la compression des droits, due à une mesure particulière adoptée par l’État, est importante ; étant entendu que la compression des droits des citoyens rencontre la limite infranchissable représentée par le noyau essentiel des droits fondamentaux et par le respect de la personne humaine. 

La liberté comme non-valeur  

En France et en Italie, pendant la crise du Covid, la liberté est devenue une non-valeur et les mesures anti-Covid ont réalisé une suspension des droits fondamentaux à une échelle jamais vue en termes d’étendue et d’intensité. 

Un confinement généralisé dans leurs habitations a été imposé aux citoyens, leur interdisant ainsi toute possibilité de décider de leur existence ; interdire tout contact entre les personnes est devenu normal (en Italie on parlait de "distanciation sociale"), de nombreuses activités (culturelles, religieuses, etc..) ont été suspendues et on a considéré qu’il était bénin d’obliger les citoyens à se soumettre à des soins sanitaires (vaccins, tests diagnostiques, masques faciaux) avec ou sans leur consentement.  

En Italie on a pu isoler les personnes âgées de leurs familles, priver les mourants de l’intimité et du confort de leurs proches et ces derniers ont été empêchés de pratiquer les rites de séparation avec leurs morts ; à ce propos un philosophe italien s’est demandé :

"Comment avons-nous pu accepter, au nom d’un risque impossible à préciser, non seulement que les personnes que nous aimons et les êtres humains en général aient pu mourir seuls mais aussi - un fait sans précédent dans l’histoire, d’Antigone à nos jours - que leurs cadavres aient été incinérés sans funérailles ?" (G. Agamben, "Una domanda", dans www.quodlibet.it, 13 avril 2020)

Par ailleurs, en France comme en Italie, la fin du confinement généralisé sur l’ensemble du territoire national s’est malgré tout accompagnée de l’introduction (ou du maintien en vigueur) de mesures restrictives des libertés constitutionnellement garanties. Et la gestion politique et sanitaire du Covid avec l’obligation (directe ou indirecte) de se soumettre à la vaccination anti-Covid en est arrivée à l’invasion de la sphère corporelle des citoyens, une obligation imposée, par exemple, avec les normes du "super green pass"  en Italie et du "passe vaccinal" en France.  

En Italie le super green pass ("certification verte renforcée") ne pouvait en fait être obtenu qu’en se soumettant au vaccin anti-Covid (ou bien en cas de guérison attestée par les autorités sanitaires à la suite de formalités bien précises) et il était obligatoire, par exemple, pour utiliser un quelconque type de transport public (train, avion, bateau, autobus, métro, etc..), les services de restauration à la fois en plein-air et à l’intérieur, les hôtels et (à partir de 50 ans) pour pouvoir travailler (remarquons qu’en Italie une obligation directe de vaccination anti-Covid a été imposée à différentes catégories professionnelles, comme le personnel de santé, les enseignants et les forces de l’ordre, un personnel qui, s’il n’était pas vacciné, était temporairement suspendu de ses fonctions et de sa rémunération).

Mais il ne faut pas non plus sous-évaluer le caractère potentiellement invasif du "green pass" de base italien ("certification verte Covid-19") car il imposait, par exemple pour travailler, une exposition fréquente (toutes les 48 heures) à des examens invasifs tels que le test moléculaire ou antigénique (le prélèvement salivaire n’était pas admis), ce qui obligeait entre autres les citoyens à de longues files d’attente à l’extérieur des pharmacies pour se soumettre au test. L’obligation du "green pass" et du "super green pass" concernait tous les citoyens à partir de 12 ans et par conséquent même les tranches les plus jeunes de la population (y compris des individus qui n’étaient encore que des enfants).  

Le Covid comme maladie 

Le Covid n’était généralement un réel danger que pour les personnes fragiles, en particulier à cause de leur grand âge et de la présence d’importantes pathologies antécédentes, les gouvernements français et italien en étaient conscients dès les phases initiales de la pandémie et c’était dans tous les cas un fait qui allait se révéler de plus en plus clair et évident en 2020. 

Il s’agissait d’une maladie avec un taux de survie supérieur à 99 % pour la tranche d’âge jusqu’à 69 ans et la quasi-totalité des positifs au virus l’affrontait sans symptômes (les dénommés "asymptomatiques") ou avec des symptômes assimilables à ceux d’une grippe saisonnière plus ou moins grave.  

L’infection fatality rate (ifr) est la proportion de morts dans une population infectée qui nous permet de comprendre la dangerosité du Covid : dès le mois d’octobre 2020 une vaste étude, faisant autorité, de John Ioannidis (Infection fatality rate of COVID-19 inferred from seroprevalence data, dans Bulletin of the World Health Organization, publiée le 14 octobre 2020) indiquait une valeur de l’ifr du Covid faible pour la population des moins de 70 ans (c’est-à-dire une dangerosité modeste du Covid) et qui tendait vers zéro pour la population plus jeune jusqu’à 29 ans (soit une dangerosité pratiquement nulle du Covid).

Parmi les premiers à avoir revu à la baisse la dangerosité du Covid, déjà dans une publication de mars 2020, nous tenons à citer Didier Raoult, l’un des infectiologues et microbiologistes les plus influents au monde, spécialisé en épidémiologie (je pense à son Épidémies : vrais dangers et fausses alertes publié en 2020 par Michel Lafon).  

Il est aussi intéressant de remarquer que, lorsqu’on tentait de savoir qui étaient les "patients Covid" hospitalisés on découvrait que majoritairement les patients étiquetés comme "Covid" se trouvaient en fait à l’hôpital pour des raisons totalement différentes du Covid (et par conséquent les patients officiellement morts du Covid ne mourraient souvent pas du Covid mais à cause d’autres pathologies). Ainsi, par exemple, même Le Monde titrait le 19 janvier 2022 "Covid-19 : 26 % des nouvelles hospitalisations ont une autre cause que le virus" en précisant aussi dans le sous-titre : "Durant la deuxième semaine de janvier, près de la moitié des 20-29 ans admis à l’hôpital en étant porteurs du virus l’ont été pour un autre motif médical que le Covid-19. Ce biais de calcul tend à s’amplifier". Ce n’est pas un hasard si auparavant Bertram Häussler, directeur de l’institut de recherche sanitaire Iges de Berlin, dans une interview publiée le 31 août 2021 sur le journal allemand Die Welt, pouvait affirmer que, probablement, le Covid n’était pas la seule cause de la mort dans 80 % des décès officiellement attribués au Covid.  

Une réponse disproportionnée au Covid 

Du point de vue éthique, politique et juridique un état de droit libéral et démocratique ne pouvait pas répondre au Covid avec les mesures liberticides qui ont été adoptées en France et en Italie.  

Les mesures anti-Covid adoptées par le gouvernement français et par le gouvernement italien, en particulier les mesures imposant une obligation directe et indirecte de vaccination anti-Covid, n’étaient pas proportionnées au danger qu’une maladie comme le Covid représentait pour la santé publique. Il s’agit de mesures qui n’ont pas intéressé uniquement les premiers jours et les premières semaines qui ont suivi le début de la crise du Covid : les mesures liberticides ont été introduites et sont restées en vigueur même lorsque la réelle entité du danger, représenté par le Covid, était claire et incontestable. 

La Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine de la Suisse avait déjà observé qu’une obligation de vaccin anti-Covid risquait d’empiéter de façon disproportionnée sur les libertés et les droits fondamentaux, dans le document La vaccination contre le Covid-19. Considérations éthiques sur des questions fondamentales et des domaines spécifiques d’application (11 février 2021) ; et les mesures qui ont imposé le vaccin anti-Covid étaient non seulement disproportionnées mais aussi injustifiées et déraisonnables, si nous considérons qu’on avait rendu obligatoire un vaccin qui n’empêchait pas la circulation du virus, mais qui, dans les meilleurs des cas, ne protégeait que l’individu vacciné et non pas la collectivité (un vaccin en outre non dénué d’effets adverses importants et ayant, à long terme, des effets inconnus sur la santé).  

Absence de proportionnalité des mesures anti-Covid adoptées en France et en Italie et en particulier absence d’une réelle nécessité (au sens indiqué au début de l’article) de ces mesures ; une proportionnalité et une nécessité qui auraient dû, au contraire, être respectées avec le maximum de rigueur en raison de la gravité de la compression des droits fondamentaux que ces mesures anti-Covid comportaient. 

Des mesures, comme celles adoptées par le gouvernement italien, visant à empêcher les citoyens non vaccinés d’utiliser les transports publics et de travailler, n’étaient en aucune façon des mesures nécessaires pour gérer la crise du Covid et le fait, que des mesures similaires n’aient pas été adoptées dans des pays tels que la Suède ou la Suisse voisine, prouvait qu’elles n’étaient pas nécessaires (je laisse de côté le fait, loin d’être secondaire, que ces mesures représentaient une grave violation des droits fondamentaux des citoyens italiens qui ne désiraient pas se vacciner, si bien que même Amnesty International s’était sentie obligée d’inviter le gouvernement italien, dans un communiqué du 14 janvier 2022, à permettre à tous les citoyens sans discrimination de travailler et d’utiliser les transports publics).  

Une réponse proportionnée à la pandémie de Covid et respectueuse des libertés et des droits des citoyens aurait pu et dû s’inspirer à des modèles de réponse à la crise du Covid qui, comme celui appliqué en Suède, n’ont prévu ni mesures particulièrement restrictives ni obligation vaccinale anti-Covid ; un modèle suédois qui, dès 2020, se présentait comme un modèle durable de gestion de la pandémie, durable non seulement d’un point de vue éthique, politique et juridique, mais aussi d’un point de vue sanitaire (d’ailleurs, alors que j’écris, les dernières statistiques révèlent que pendant la crise du Covid la Suède a eu l’un des excès de mortalité les plus bas d’Europe).

Quoi qu’il en soit, indépendamment du modèle suédois, une réponse proportionnée au Covid aurait dû prévoir essentiellement des mesures ne visant pas indistinctement la population en général mais des mesures visant certaines catégories limitées de la population vulnérable au Covid, sans comprimer les libertés constitutionnelles du reste de la population (de façon cohérente par ailleurs avec les indications de la "Great Barrington Declaration" du 4 octobre 2020 promue et signée par des scientifiques faisant autorité). 

*Alessandro A. Negroni, philosophe du droit, auteur notamment de La libertà di (non) vaccinarsi (éditions Vicolo Del Pavone, 144 pages, 2021) 

Alessandro Negroni

 

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