Moins de vols et un couvre-feu à Roissy : le préfet du Val-d’Oise va-t-il "faire le job" ?

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Corine Moriou*, pour France-Soir
Publié le 14 juillet 2023 - 12:15
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Corine Moriou
Mobilisation d’une cinquantaine d’élus exigeant le plafonnement des vols et un couvre-feu de tous les aéroports franciliens, devant le Ministère de la Transition écologique, le 9 mai 2023
Corine Moriou

AÉRIEN/NUISANCES SONORES - L’État français a approuvé en catimini le Plan de Prévention du Bruit dans l’Environnement (PPBE) de Roissy et a déclenché la colère des élus et des associations de riverains. Il ne contient aucune mesure performante pour faire baisser la pollution sonore. Philippe Court, préfet du Val d’Oise, a été nommé pour étudier la possibilité de restrictions du nombre de vols à Roissy en 2025. Pourra-t-il faire entendre raison aux lobbies de l’aviation ? 

Tout ça pour ça. Le 9 mai dernier, une mobilisation d’envergure d’élus de la nation, de riverains d’aéroports, de Parisiens et de médecins a eu lieu devant le Ministère de la Transition écologique. Dans une lettre adressée au Ministre des transports, 300 élus franciliens, des associations de riverains ont demandé le plafonnement du nombre de vols des aéroports franciliens ainsi que l’instauration d’un couvre-feu pour la santé et le climat. Le soir même, des représentants ont été reçus par Clément Beaune qui s’est engagé à étudier rapidement le dossier, saluant un "dialogue serein et des échanges de qualité qui se poursuivront." Derrière cette jolie formule, le Ministre a hérité d’une promesse d’Élisabeth Borne alors Ministre des transports de 2017 à 2019. Il regrette que le successeur de celle-ci n’ait pris aucune décision. Cinq années perdues !  

Désormais, Christophe Béchu, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, est dans la boucle.

Une évidence : les évolutions du transport aérien ne peuvent être dissociées des impératifs écologiques. "L’aéroport de Roissy, premier hub d’Europe, pèse lourdement dans le bilan carbone de notre pays. Il représente près de 4 % de nos émissions de CO2 ! Et beaucoup plus si l’on intègre, comme nous devrions le faire, l’effet sur le climat des traînées de condensation et des oxydes d’azote émis en altitude", met en avant Françoise Brochot, Présidente d’Advocar, l’association de défense des nuisances aériennes de Paris-CDG et de Paris-Le Bourget.  

Colère des élus et des associations de riverains  

Un mois plus tard, c’est le coup de massue. L’État a approuvé en catimini, le 8 juin dernier, par arrêté inter-préfectoral, le Plan de Prévention du Bruit dans l’Environnement de Roissy (PPBE) pour la période 2022-2026. Pourtant, près de 1 500 avis défavorables avaient été recueillis lors de la phase de consultation publique qui s’était terminée au printemps 2022. "Cette décision incompréhensible, prise dans la plus grande confidentialité au moment où les plus grands constructeurs aériens annoncent au salon du Bourget le doublement des flottes d’avions à horizon 2040, démontre un mépris vis-à-vis des nombreux élus opposés à ce PPBE et constitue un recul pour la santé des franciliens comme pour la préservation de leur environnement…", souligne le communiqué de presse des élus et associations.  

Françoise Brochot s’indigne : "Le PPBE ne respecte pas les textes européens et le code de l’environnement. Il ouvre la porte à une forte augmentation des nuisances en mentionnant une croissance du trafic identique à celle du projet de Terminal 4 qui avait été abandonné." Rappelons que le projet faramineux de création d’un Terminal 4 devait absorber jusqu’à 40 millions de passagers supplémentaires par an à l’horizon 2037. C’est plus que l’aéroport d’Orly et ses 30 millions de passagers annuels. Aux 1 500 vols quotidiens de Roissy, on ajoutait 450 vols par jour.  

Avec le passage en force du PPBE, la colère des élus, des riverains des aéroports, et des Parisiens qui sont aussi désormais touchés, est montée d’un cran. Le PPBE ne prévoit aucune mesure concrète pour faire baisser le bruit. Bien au contraire. Il vise un trafic de 500 000 mouvements (année référence 2019) à 680 000 mouvements par an. Avec une augmentation de 35% du trafic, c’est comme si l’on juxtaposait un nouvel aéroport à Roissy. Une horreur !  

Jean-Pierre Blazy, Président de "Ville et Aéroport" et maire socialiste de Gonesse, a annoncé vouloir lancer un recours en annulation du PPBE devant le Conseil d’État accusant l’État français de ne pas appliquer les décisions du Conseil de l’Union européenne qui impose de fixer des limites de bruit pour les riverains exposés à des aéroports qui supportent plus de 500 000 vols par an. "C’est un vrai faux PPBE, car il ne comporte ni objectif de réduction du bruit aérien, ni aucune mesure efficace pouvant le faire baisser", s’insurge-t-il.  

Les Franciliens et les Parisiens sacrifiés sur l’autel de la croissance  

Le bruit n’est pas une simple gêne, mais un problème de santé publique majeur : il entraîne une cohorte de maladies : troubles du sommeil, troubles cognitifs, hypertension, maladies cardiovasculaires, dépressions, burn-out…  

bruit aérien nuisances
Bien plus qu'une gêne, le bruit aérien est une atteinte grave à la santé (DR).

Selon une étude de Bruitparif, l’observatoire du bruit en Île-de-France, près de 1,6 million de Franciliens - auxquels il faut ajouter les Parisiens depuis l’automne 2022 - sont exposés à des niveaux de bruit supérieurs aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour garder une bonne santé. Sous les couloirs de Roissy, les Franciliens perdraient jusqu’à trois années de vie "en bonne santé".  

Françoise Brochot fait remarquer : "Entre 2013 et 2019, la population exposée à un dépassement de la valeur-limite Lden 55 a augmenté de 23 % dans la journée et de 80% la nuit." Oui, vous avez bien lu : 80% ! Selon l’Advocnar, le couvre-feu à Roissy-CDG entre 22h et 6h est une mesure d’urgence à mettre en œuvre afin de préserver le sommeil des Franciliens. Même requête pour les Parisiens au nord de Paris.  "Les vitres de mon appartement vibrent au passage de certains avions. On les voit et l’on a l’impression qu’ils vont frôler le toit de l’immeuble", fait remarquer une résidente du 18e arrondissement.  

Autre mesure phare demandée : le plafonnement du trafic de Roissy à 440 000 vols au lieu de 500 000 mouvements annuels, comme prévu à Amsterdam-Schiphol en 2025. La France ne pourrait-elle pas adopter un modèle plus vertueux comme l’ont fait les Pays Bas ?

Au Paris Forum de l’Air qui s’est tenu le 16 juin dernier à la Maison de la Mutualité, les riverains rapportent qu’ils ont été choqués par les petites phrases lâchées par Christophe Béchu. Par exemple : "Que les associations ne nous empêchent pas de rêver et de voler ! Nous entrons dans la 4e révolution technologique de l’aviation. Nous allons décarboner…"  

Comment croire à ce conte de fées alors qu’Airbus et Boeing visent le doublement de leurs flottes d’avions et le doublement de passagers sur la planète d’ici 2040 ? Vous pouvez lire notre dernier article sur ce sujet. C’est sur le nombre de vols qu’il faut agir sans croire au miracle des avions silencieux bas-carbone… qui ne sont pas près d’atterrir sur le tarmac. Et Christophe Béchu de dire en aparté lors de ce Forum coorganisé par le groupe ADP: "Il y a un gros mot que je ne veux pas prononcer, c’est 'sobriété'". Un langage semble-t-il moins soft que celui du Président de la République.  

"Si les 'associations raisonnables qui acceptent le dialogue' ne sont pas entendues et respectées, on peut craindre que des activistes écologistes prendront le relais, parfois dans la violence", nous glisse à l’oreille un haut fonctionnaire assez inquiet depuis la dissolution des Soulèvements de la terre, le 21 juin dernier.

Le préfet du Val d’Oise va-t-il tenir compte des nuisances sonores au-dessus de Paris intramuros ? 

Le dossier est complexe. Le gouvernement avait désigné la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) pour mettre en œuvre les mesures de restrictions d’exploitation des aéroports. Le Conseil d’État a cassé cette décision considérant que cette administration ne pouvait être indépendante du secteur qu’elle administre. "Moins de mouvements aériens peut déboucher sur la reconversion d’une partie du personnel de la DGAC. La route et le ferroviaire, c’est moins 'sexy' que l’aérien !", fait remarquer un représentant d’association.  

philippe court
Philippe Court, préfet du Val d’Oise, en charge du dossier du plafonnement des vols et du couvre-feu à Roissy-CDG.

Parmi les autorités potentielles qui connaissent bien le sujet, on peut citer l’ACNUSA (l’autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires), l’ADEME (l’agence de la transition écologique). Ou pourquoi pas la Commission nationale du débat public ? Mais non, c’est le préfet du Val d’Oise qui a été désigné pour traiter des nuisances générées par les activités aéroportuaires. 

L’un des points forts de son parcours ? Il a été directeur du cabinet de la Ministre de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales. Les services de la DGAC, de l’ARS (Agence régionale de santé Ile-de-France) et Aéroport de Paris sont placés sous son "autorité compétente et indépendante". Et de qui dépend le préfet ? Auprès de qui prendra-t-il avis ? Qui cherchera à l’influencer ? Devinez…  

Le Val d’Oise, mais aussi la Seine-Saint-Denis, la Seine-et-Marne, les Yvelines, les Hauts-de-Seine sont impactés par les nuisances aériennes.

Mais le préfet du Val d’Oise va-t-il aussi tenir compte des nuisances sonores au-dessus de Paris intra-muros ? 

En tout cas, cela fait partie de ses attributions. Les Parisiens - qui n’ont jamais envisagé de vivre près d’un aéroport - sont les nouvelles victimes du bruit des avions depuis  notamment la mise en place de logiciels d’économie de kérozène par Air France et d’autres compagnies aériennes.  

Le vol des gros porteurs au-dessus de Paris à une altitude plus basse qu’en 2020/2021 (on les entend à 4.000 mètres) accroît également les nuisances sonores. On espère l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation avant les Jeux Olympiques 2024. Ne serait-ce pas aussi une mesure de sécurité ? Par ailleurs, l’utilisation nettement accrue du doublet sud de Roissy, depuis l’automne 2022, plutôt que du doublet nord amplifie le fléau pour les habitants de Paris.  

Au lieu d’éviter la "Ville lumière", les aéronefs qui décollent à l’Ouest pour aller très majoritairement à l’Est cassent les oreilles des Parisiens en faisant des boucles raccourcies au-dessus des arrondissements du nord (8,9,10,17,18,19,20e arrondissements), toutes les trois à cinq minutes. Le phénomène s’amplifie depuis le printemps 2023. Invivable !

Après Amsterdam-Schiphol, Paris-Charles-de-Gaulle réduirait son trafic. Un scénario probable ? 

Une lumière s’est allumée dans le ciel européen. L’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, l’un des plus gros hubs européens, a réussi à imposer un plafonnement de vols. Pourquoi n’y aurait-il pas le même scénario à Paris-CDG ? Pauvre Charles de Gaulle : son nom est associé à un aéroport qui rend bien des gens désespérés. Pouvait-il imaginer dans les années 70 les dégâts causés par "la mondialisation heureuse" ?  

Gilles Leblanc, Président de l’ACNUSA, déclarait au journal Le Monde le 18 mai dernier : "Les grands aéroports français ne peuvent être moins-disants sur le plan environnemental que les aéroports voisins." Voilà qui est dit par le gendarme des nuisances sonores aériennes.  

Nous avons contacté Gilles Leblanc pour qu’il nous apporte des éléments de compréhension à l’ensemble du dossier complexe de Roissy. Pas simple à résumer pour nos lecteurs ! "Le PPBE 2022-2026 a été adopté pour éviter à notre pays d’être menacé de sanctions par la Commission européenne pour les retards accumulés. Retarder l’adoption du PPBE aurait, en outre, retardé l’étude d’impact de nouvelles mesures de restrictions d’exploitation de l’aéroport de Roissy. Les PPBE successifs n’ont en effet pas permis de régler le problème du bruit. Il appartient au préfet du Val d’Oise d’en prendre acte et de concerter toutes les parties prenantes sur les mesures susceptibles de permettre d’atteindre les objectifs de réduction du bruit", explique-t-il.  

S’ensuit un calendrier serré avec l’espoir de limiter le nombre de vols à Roissy à 440.000 mouvements par an et un couvre-feu… fin 2025. Pas question de demander à la DGAC un cahier des charges. Les mesures envisageables sont à l’étude auprès du préfet du Val d’Oise et seront soumises à une étude d’impact confiée à un cabinet dit compétent et indépendant.  

"Cette étude doit être équilibrée, c’est-à-dire qu’elle doit expliciter et valoriser les impacts positifs et les impacts négatifs des mesures envisageables. Il s’agit d’éclairer loyalement le débat public, et plus encore, les Ministres décisionnaires", souligne Gilles Leblanc. Lourde responsabilité pour le cabinet conseil dont on espère que l’étude ne sera pas tronquée.  

Après une deuxième concertation, les projets d’arrêtés interministériels seront soumis aux consultations obligatoires de manière à être signés, publiés et notifiés à la Commission européenne. Et oui, la sacro-sainte Commission européenne veille à ce que la procédure soit parfaitement respectée.  

Les compagnies aériennes disposeront d’un délai de prévenance de plus de six mois pour s’adapter. L’exécutif français tire la leçon du fâcheux épisode hollandais : une dizaine de compagnies, dont KLM, Delta Airlines, EasyJet, ont saisi la justice en mars 2023 considérant que le gouvernement néerlandais avait enfreint les règles de l’Union européenne. Celles-ci ont obtenu gain de cause et ont retardé les restrictions de vols. La mise en œuvre de nouvelles mesures en France serait prévue pour l’été 2025 - c’est peu probable pour les observateurs de ce dossier - mais gageons que ces mesures entreront en vigueur fin 2025. Dommage ! Six mois d’été perdus avec un pic de vols touristiques, ce n’est pas bon pour la santé des riverains de Roissy.  

"La discussion est bien sûr ouverte, en amont, avec Air France et FedEx , les deux plus gros opérateurs sur Roissy qui représentent plus de 60% du trafic, et les autres grandes compagnies aériennes. Les enjeux de modération du trafic sont importants. Les compagnies n’ont pas de raison de ne pas s’exprimer en regard de l’évolution des performances environnementales de leurs flottes. Elles sont capables d’anticiper. Elles n’ont pas à attendre et à se crisper en voyant certains de leurs vols supprimés. Les compagnies basées à Paris-Charles-de-Gaulle seront attentives au respect des règles de la concurrence", prévient Gilles Leblanc qui entame la 6e et dernière année de son mandat à l’ACNUSA.  

La santé des riverains en jeu d’un côté, le business plan des compagnies aériennes de l’autre. C’est David contre Goliath… Allez un petit effort. Il faut croire à un scénario identique à celui d’Amsterdam-Schiphol - sans les phases de cafouillage ! - pour 2025.

D’ici là, les taxis volants testés au moment des JO 2024, auront bien cassé les oreilles des habitants du Grand Paris.

*Corine Moriou est journaliste indépendante, Grand Reporter

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