Renaud van Ruymbeke, l’égalité devant la loi
Un des juges les plus connus de France, Renaud van Ruymbeke, est décédé vendredi 10 mai 2024 à l’âge de 71 ans, a annoncé le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. Une des figures de la lutte contre la corruption, ce juge d’instruction est notamment réputé pour avoir conduit plusieurs enquêtes politico-financières, dont les affaires Urba, Elf, Clearstream, Kerviel ou encore Cahuzac et Balkany. Tenace et combatif, inflexible mais discret, Renaud van Ruymbeke ne se pliait pas aux conventions et encore moins aux intérêts politiques, quitte à se faire des ennemis.
“Hommes politiques ou pas”
“RVB” entame sa carrière de magistrat en février 1975, après avoir obtenu sa maîtrise en droit et être sorti de l'École nationale de la magistrature en 1977. Cet ancien footballeur amateur débute en tant que juge d'instruction à Caen et le voici déjà amené à enquêter sur des affaires complexes, aussi bien techniquement que politiquement. À 27 ans déjà, il doit faire face à une affaire politique, et pas des moindres, celle de Robert Boulin, ministre du Travail de Valéry Giscard d’Estaing dont la mort en 1979 est qualifiée de suicide, version toujours contestée. Dans une lettre d’adieu, Robert Boulin qualifie Renaud Van Ruymbeke de “jeune juge à la malveillance évidente”, qui fait du “vedettariat” et qui souhaite “faire un carton sur le ministre”.
La presse avait révélé auparavant l'implication présumée de Robert Boulin dans une sombre affaire immobilière à Ramatuelle, dans le Var, concernant des soupçons de trafic d’influence et de favoritisme dans l’attribution de terrains. La reprise, à partir des années 1990, de l’affaire par RVB lui vaudra de nombreuses critiques de la part des proches de l’ancien ministre. Pour RVB, il était surtout question de “l’égalité de tous les citoyens devant la loi, qu’ils soient politiques ou pas”. A la fin, son instruction sur le volet financier est validée et un homme d’affaires en lien avec Robert Boulin sera condamné à 15 ans de prison, à Coutances (Manche).
Il occupe le poste de substitut du procureur de la République à la section financière de la même ville de Caen de 1983 à 1985 mais quitte vite le parquet pour devenir indépendant. Entre décembre 1985 et décembre 1988, il enseigne en tant que maître de conférences à l'École nationale de la magistrature. Sa carrière prend un tournant en décembre 1988 lorsqu'il est nommé conseiller à la cour d'appel de Rennes, avant d'être détaché à la chambre de l'instruction de cette cour fin 1991.
Une lutte acharnée contre la fraude fiscale
En 1992, il mène une perquisition au siège du Parti socialiste, alors majoritaire au Parlement, dans le cadre de l’affaire Urba. Le PS de François Mitterrand est soupçonné de financement frauduleux à travers l'attribution de marchés publics par des collectivités territoriales à des entreprises, conditionné par le versement de sommes servant à financer illégalement le parti de gauche. Il s’attire déjà les foudres du président, qui dénonce des “procédures assez bizarres” tandis que son ancien Premier ministre, Laurent Fabius, estime que si RVB “continuait à être plus anti-socialiste qu’anticorruption, il pourrait y avoir une affaire Van Ruymbeke”.
“À l’époque d’Urba, sous deux gardes des Sceaux de gauche, j’ai été pris à partie. Mon nom a été hué au congrès du PS. Mais mon instruction a été validée. Et Henri Emmanuelli, trésorier du PS, a été condamné”, se rappelle-t-il.
En 1996, il est le signataire avec six autres magistrats de différents pays de l'appel de Genève contre la corruption. La même année, une jeune Anglaise est tuée à Pleine-Fougères. Il s’agit de l’affaire Caroline Dickinson, qu’il réussit à résoudre en obtenant les tests ADN de toute la population masculine de la commune d’environ 2 000 habitants. Ses efforts, joints à une mobilisation humaine considérable, aboutiront à l’arrestation du meurtrier, un Espagnol, Francisco Arce Montes, arrêté en 2001 à Miami, aux États-Unis.
A partir de 2004, il est chargé de l’affaire Clearstream 2, également appelée affaire EADS-Clearstream ou affaire du corbeau des frégates de Taïwan. Il s’agit d’une tentative de manipulation de la justice par un petit groupe de politiciens et d'industriels, visant à discréditer des concurrents en les impliquant à tort dans le scandale des frégates de Taïwan. Renaud Van Ruymbeke se retrouve alors “victime d’un règlement de comptes politique” entre de Villepin et Sarkozy alors qu’il avait démontré qu’une partie des listings de Clearstream (listes de comptes bancaires de la banque Clearstream, sur lesquels figurent les noms de personnalités politiques comme Nicolas Sarkozy, NDLR), était fausse.
A partir de 2008, il est chargé de l’instruction dans l’affaire Jérôme Kerviel, salarié de la Société générale jusqu’à cette année-là, à qui on reproche les pertes de la banque, qui résultent de la liquidation de ses prises de positions sur des contrats à terme sur indices d'actions s'élevant à cette époque à environ 50 milliards d'euros. L’accusé sera condamné à 3 ans de prison ferme et 2 avec sursis avant une remise en liberté sous bracelet électronique, pour abus de confiance, faux et usage de faux et introduction de données frauduleuses dans un système informatique.
42 ans d’engagements pour le service public
Deux ans plus tard, une autre affaire éclate, celle des frégates d’Arabie saoudite et des sous-marins du Pakistan, dite Karachi, qui concerne plusieurs contrats d’armement signés en 1994. Ces contrats ont impliqué le versement de commissions exorbitantes à des intermédiaires, dont une partie aurait servi à financer illégalement la campagne présidentielle d'Édouard Balladur en 1995. Renaud van Ruymbeke est chargé du volet financier. En 2020, 6 proches de Balladur ont été condamnés à de la prison ferme. En 2021, Balladur a été relaxé mais son ministre de la Défense de l’époque, François Léotard (décédé en avril 2023, NDLR), est condamné à 2 ans de prison avec sursis pour complicité d’abus de biens sociaux.
Connu pour n’avoir que rarement envoyé des mis en cause en détention provisoire, il est nommé en 2013 premier vice-président chargé de l’instruction du tribunal de grande instance de Paris. La même année, celui qui ne cessera de dénoncer les paradis fiscaux prend en main l’affaire Cahuzac, liée à des comptes offshore non déclarés de l’ancien ministre délégué chargé du Budget, ainsi que le pôle financier de l’affaire Balkany, impliquant Isabelle et Patrick Balkany, respectivement première adjointe au maire et député-maire Les Républicains de Levallois-Perret, accusés de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, condamnés à plusieurs années de prison puis remis en liberté.
La longue carrière de Renaud Van Ruymbeke prend fin en 2019 après 42 ans de service, durant lesquels il s’était chargé de bien d’autres scandales, à l‘image de la fameuse fraude à la TVA sur les quotas de carbone. RVB regagnera enfin la Bretagne pour s’adonner à ses autres passions, la permaculture et le piano.
Une figure de la loyauté envers tous les Français s’éclipse, sans trop faire de bruit... d’autres doivent souffler.
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