Autorisation d’utiliser le glyphosate pendant 10 ans : Des ONG saisissent la justice européenne pour annuler la décision de la Commission
Des organisations non gouvernementales (ONG) françaises et européennes ont annoncé vendredi dernier avoir saisi la justice européenne contre la décision de la Commission de renouveler, en novembre 2023 et pour une durée de 10 ans, l’autorisation d’utiliser du glyphosate. La saisine a été déposée le 1er août dernier pour faire annuler cette décision, qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre et sur laquelle les États membres de l’UE n’étaient pas tombés d’accord.
Le glyphosate, un herbicide controversé et commercialisé par la société américaine Monsanto, a divisé la communauté européenne durant l’été 2023. Les États membres n’étaient pas parvenus à un accord en octobre, avec le “non” de l’Autriche et du Luxembourg ainsi que l’abstention de la France. Lors d’un second vote qui s’est tenu un mois plus tard, la Commission européenne a tranché en dépit du désaccord des 27. "La CE, en collaboration avec les États membres de l'UE, va maintenant procéder au renouvellement de l'approbation du glyphosate pour une période de dix ans, sous réserve de certaines nouvelles conditions et restrictions", avait-on indiqué dans un communiqué.
Commercialisé sous la marque Roundup, le glyphosate est utilisé pour éliminer les mauvaises herbes dans les cultures agricoles et les espaces publics. Le produit est depuis de nombreuses années au cœur de procès, de controverses et de débats en raison de ses impacts sur la santé humaine. Aux États-Unis, la Cour suprême a débouté Monsanto, filiale du groupe allemand Bayer, condamnée à verser 25 millions de dollars à un retraité atteint d’un cancer du sang après avoir utilisé le fameux désherbant.
Pour les ONG, la CE ignore les risques cancérigènes du glyphosate
Pourtant, le Roundup est toujours autorisé en Europe et risque de le rester pour une durée de 10 ans. La controverse sur les conséquences de son usage provient surtout des résultats mitigés des différentes études menées jusque-là. A titre d’exemple, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé en 2015 le glyphosate comme un "cancérogène probable" pour les humains, sur la base “des études cas-témoins d'exposition professionnelle conduites en Suède, aux États-Unis et au Canada qui ont montré des risques accrus de lymphome non hodgkinien". L’agence onusienne considérait ces preuves comme “limitées”, à l’opposé des experts qui les considèrent suffisantes pour alerter sur un effet cancérogène chez l'humain.
Les conclusions de l’OMS ont été corroborées en 2021 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui évoque “l’existence d’un risque accru de lymphomes non hodgkiniens”. Mais la décision de Bruxelles de prolonger l’autorisation du glyphosate se base surtout sur les conclusions du rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), publié en juillet 2023. Le glyphosate ne présenterait pas de "domaine critique de préoccupation", estime-t-on. L'autorisation en cours du glyphosate, initialement d'une durée de cinq ans, a été prolongée en 2017, puis encore d'un an en décembre 2022.
Une décision qui ne passe pas, aux yeux de plusieurs ONG françaises et européennes. C’est l’avocate et ex-ministre, Corinne Lepage, qui a annoncé que les associations Agir pour l’Environnement, Criigen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique) et le collectif des maires anti-pesticides ont officiellement exigé l’annulation du renouvellement pour dix ans de l’autorisation du glyphosate.
De leur avis, cette décision est dangereuse pour la santé des citoyens des États membres. Ces trois ONG ont été rejointes par le collectif Pesticide Action Network (PAN) Europe, dont fait partie Générations futures, et qui ont déposé, dans la foulée de la décision européenne, des demandes de réexamen auprès de la Commission. Une étape obligatoire avant de pouvoir saisir la justice.
Une audience espérée en 2025
PAN Europe dénonçait, début 2024, le “processus d’approbation” qui a “ignoré des études montrant un risque élevé de cancer, un taux de mortalité alarmant parmi les insectes, et des impacts majeurs sur le cerveau résultant de l’utilisation du glyphosate”. Mais les deux premières demandes de réexamen ont vite été rejetées cet été, poursuit l’ancienne ministre.
“Il y a une non-application du principe de précaution”, a-t-elle déploré, rappelant que la France avait déjà retiré le Roundup Pro 360 du marché en 2019. “Si c’est interdit dans un pays européen, comment voulez-vous monter un dossier scientifique en disant qu’il n’y a pas de problème ?”, s’est-elle indignée. La saisine, espère encore Corinne Lepage, devrait aboutir à une réponse de la Commission vers la mi-octobre avant une audience que les ONG espèrent pour 2025.
Peu après le renouvellement de son autorisation en Europe, le groupe Monsanto a été condamné aux États-Unis. Un tribunal de Philadelphie a ordonné à la filiale du géant pharmaceutique et biotechnologique Bayer de verser 2,25 milliards de dollars de dommages et intérêts à un homme qui accusait le désherbant Roundup d’être à l’origine de son cancer.
Cette condamnation n’était ni la première ni la dernière pour Bayer, qui enchaîne toujours les procès. Le groupe allemand, qui a racheté Monsanto en 2018, dénombre environ 165 000 affaires rien que pour son produit Roundup. Près des deux tiers de ces dossiers, soit 113 000, ont été résolus ou déclarés irrecevables et 75 % des 125 000 actions contre la société ont été conclues à l’amiable pour un montant de 10 à 11 milliards de dollars, selon des chiffres datant de juin 2020.
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