Une attaque terroriste contre Charlie Hebdo se préparait au Pakistan depuis des années

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Kunwar Khuldune Shahid pour FranceSoir
Publié le 02 octobre 2020 - 15:59
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La Une du numéro dit "de Survivants" de "Charlie Hebdo, sortie le 14 janvier 2015.
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©Joël Saget/AFP
©Joël Saget/AFP

L’attaquant qui a pris pour cible les anciens bureaux de Charlie Hebdo vendredi a été identifié comme un Pakistanais de 25 ans, Zaheer Hassan Mehmood, également connu sous le nom d’Ali Hassan, du village de Kothli Qazi, dans la province du Pendjab. Il a émigré à Paris, à la recherche d'un travail, il y a deux ans.

Dans une vidéo qu’il avait partagée sur les réseaux sociaux avant l’attaque, l’auteur a exposé son plan visant à cibler le magazine satirique pour sa publication des caricatures du prophète Mahomet. Dans la vidéo, il a également récité un naat (poésie ou chanson à la louange du prophète Mahomet) et l'a dédié à un prédicateur islamique, Ilyas Qadri, auquel il prête allégeance.

Qadri est le fondateur de l'organisation Dawat-e-Islami, qui représente la secte Barelvi. L'école de pensée Barelvi, appartenant à la jurisprudence sunnite Hannafi, a historiquement chevauché le soufisme et a été perçue comme une marque plus tolérante et pluraliste de l'islam. Cependant, ces dernières années, la secte Barelvi a adopté une posture plus agressive centrée sur le blasphème contre l’islam et plus précisément sur la sauvegarde de l’honneur du prophète Mahomet.

En 2011, un policier Mumtaz Qadri a abattu le gouverneur du Pendjab, l'accusant de «blasphème contre le prophète Mahomet» pour avoir critiqué la loi sur le blasphème. Mumtaz Qadri a également été inspiré par les sermons d'Ilyas Qadri. Bien que Mumtaz Qadri ait été condamné par la justice et exécuté en tant que terroriste en 2016, il a maintenant un sanctuaire à Islamabad, tandis que des dizaines de milliers de personnes ont assisté à ses funérailles. Mumtaz Qadri a également inspiré la création d’un groupe islamiste Tehrik-e-Labbaik Pakistan (TLP), qui a militarisé «l’amour pour le prophète Muhammad».

Le TLP a remporté 2,2 millions des votes aux élections générales de 2018, devenant ainsi le troisième parti le plus populaire du Pendjab. Au cours des trois dernières années, le TLP a appelé à la mort d'Asia Bibi après que la Cour suprême l'a déclarée innocente, toute la secte Ahmaddiya déclarée constitutionnellement hérétique au Pakistan, le législateur néerlandais Geert Wilders pour avoir organisé un concours pour dessiner les caricatures du prophète Mahomet, et des journalistes affiliés à Charlie Hebdo.

Après qu'Emmanuel Macron ait refusé de condamner les caricatures du Prophète Muhammad par Charlie Hebdo, le chef du TLP Khadim Rizvi, utilisant le mot péjoratif «choora» couramment utilisé pour les chrétiens au Pakistan pour condamner le président Emmanuel Macron, a émis des menaces de mort dans son sermon.

« Qu'a dit le prophète d’Allah à propos de quiconque parle contre lui? Il a dit que vous devriez les massacrer! » Dit Rizvi. « O homme dégoûtant… même les nourrissons au Pakistan exigent le massacre des blasphémateurs. Qui est ce président français choora pour dire «Je ne condamnerai pas»—si tu ne le faites pas, laisse-nous t'apprendre», a-t-il ajouté s’adressant à Emmanuel Macron.

L’attaquant parisien a commencé sa vidéo en levant les mains avec le slogan «labbaik, labbaik, labbaik, ya Rasool Allah» (nous nous tenons, nous nous tenons, nous nous tenons avec toi, ô prophète d’Allah), qui est un chant entendu dans tous les rassemblements du TLP.

Au Pakistan, la vénération des assassins extrajudiciaires des «blasphémateurs» est antérieure à la création du pays. Ilam Din, qui a tué un éditeur hindou pour un livre critiquant le prophète Mahomet en 1929, a été défendu par les pères fondateurs du Pakistan et est toujours célébré aujourd'hui dans les écoles. L'attaquant parisien est également salué comme un héros par son père et tout son village pour avoir ciblé Charlie Hebdo.

Des manifestations violentes et des menaces de mort se sont ensuivies contre Charlie Hebdo - et Jyllands-Posten - au Pakistan lorsqu'ils ont publié les caricatures du prophète Mahomet en 2007, 2011 et 2012. Des menaces similaires ont été lancées même après l'attaque terroriste de 2015 contre Charlie Hebdo, dans laquelle 12 personnes ont été tués. Même les politiciens qui appartiennent à des partis laïques autoproclamés, et ont même perdu des membres de leur propre famille à cause du terrorisme djihadiste, ont annoncé des récompenses pour le meurtre des journalistes de Charlie Hebdo et des auteurs de l'attaque de 2015.

Vendredi, quelques heures après l’attentat de Paris, le Premier ministre pakistanais Imran Khan s’est adressé à l’Assemblée générale des Nations Unies, via une vidéo préenregistrée, et a condamné Charlie Hebdo, « islamophobe », pour avoir publié des caricatures du prophète Mahomet. Khan, ou tout autre représentant pakistanais, n’a pas encore condamné l’attaque de vendredi. Et il est peu probable que cela change puisque même après l’attaque de 2015, les dirigeants pakistanais, comme la plupart des représentants des musulmans du monde entier, ont condamné le «blasphème contre l’islam» et non l’attaque terroriste au nom de l’islam. Avant de devenir Premier ministre, Imran Khan a avoué qu'il était fatal de remettre en question la loi sur le blasphème au Pakistan.

L'attentat de Paris rappelle la menace de la loi sur le blasphème au Pakistan, l'un des 12 États musulmans sanctionnant la mort pour sacrilège contre l'islam, qui menace désormais des vies à l'extérieur du pays. L'attaque contre Charlie Hebdo - pour s'être démarqué en refusant de traiter l'islam différemment des autres religions - se préparait au Pakistan depuis des années.

Charlie Hebdo, qui fait écho aux voix libérales musulmanes, bénéficie du soutien de nombreux dissidents dans le monde musulman malgré la prévalence des lois sur le blasphème mortel dans ces pays. Ce dernier acte de violence doit être considéré par la communauté mondiale comme une opportunité de lutter contre l'intimidation meurtrière des lois islamistes dans le monde musulman. Cependant, les décisions des tribunaux européens et le refus des médias occidentaux d’exprimer une solidarité inconditionnelle avec Charlie Hebdo - et les voix musulmanes dissidentes - ne semblent qu’aggraver l’inertie islamiste.

 

Kunwar Khuldune Shahid est journaliste pakistanais et correspondant au Diplomat qui contribue à diverses publications pakistanaises et internationales. Il écrit sur la sécurité, la politique, la religion, la sécurité, les droits de l'homme et la diplomatie en français ( Le Monde, Courrier International) et en anglais (Guardian, Independent, Spectator, Foreign Policy, BBC, Huffington Post, Haaretz, Arab News, Daily Beast, Vox, Telegraph, Economic Times, MIT Review)

                                                                                                               

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