L’affaire McKinsey est-elle un scandale d’État ?

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FranceSoir
Publié le 30 mars 2022 - 22:20
Mis à jour le 31 mars 2022 - 19:31
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Emmanuel Macron s'exprime lors d'un forum sur la croissance économique organisé par l'Institut Montaigne et le McKinsey Global Institute à Paris, le 23 juin 2016.
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Depuis plusieurs semaines, le McKinsey Gate infuse comme un long poison dans la campagne présidentielle absente d'Emmanuel Macron, mais les grandes chaines de télévision ont enfin décidé d'interroger le président sur le sujet.

Le recours aux cabinets de conseil, une pratique qui n’est pas nouvelle

Cela fait plus de 20 ans que les consultants de cabinets privés, majoritairement anglo-saxons, orientent la politique des États et pas seulement de la France. Dans un livre sorti le 17 février 2022 et intitulé "Les infiltrés", Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre relatent cette mainmise de ces cabinets, installés au cœur des États qui prennent en charge plusieurs dossiers comme la gestion de l’épidémie, la politique vaccinale ou encore la stratégie militaire.

Conseiller les plus hautes autorités de l’État sur les possibles évolutions des politiques publiques, en décliner les orientations stratégiques et piloter l’ensemble des administrations et des services publics dans leur mise en œuvre, tel est le rôle des cabinets comme McKinsey.

Dès mars 2021, France 2 est revenu sur l’affaire McKinsey et sa proximité avec le pouvoir lors d’un numéro de l’émission  "Complément d’enquête" dans lequel Jacques Attali avait accepté de témoigner pour raconter la rencontre d’Emmanuel Macron avec les consultants de McKinsey.

L’épisode se situe en 2007, lorsque Nicolas Sarkozy fait appel à Jacques Attali pour constituer une commission dont l’objectif est de lui proposer des réformes économiques. Pour ce faire, ce dernier s’entoure de consultants de cabinets majoritairement anglo-saxons. Le patron de McKinsey France, Éric Labaye, fait partie de cette commission. Avec lui, plusieurs Young global leader dont Karim Tadjeddine, qui a passé quatre ans au ministère de l’Économie avant de rejoindre le cabinet. Emmanuel Macron, 30 ans, est également présent, comme rapporteur général. L’occasion pour lui de rencontrer ceux qui huit ans plus tard vont assurer la conduite de sa campagne présidentielle.

La campagne présidentielle de 2016-2017

En 2016, Emmanuel Macron, ancien ministre de l’Économie, crée "En Marche" et entraîne quelques milliers de militants censés élaborer un programme dans une ambiance de start-up nation.

"Faire de la politique aujourd’hui, ce n’est pas aller dans une salle voter une motion déjà décidée. C’est faire sur le terrain" déclare-t-il le 5 novembre 2016.

Pourtant, parallèlement à cette horizontalité, à cette démocratie interne affichée, c’est une toute autre stratégie qui se met en place dans l’ombre. Soutenu par une certaine France technocratique, une dizaine de consultants de McKinsey rédigent bénévolement en quelques semaines le programme du parti qui prendra les lettres du nom de l'actuel locataire de l'Élysée.

L’affaire est révélée deux jours avant le second tour de la campagne présidentielle de 2017 suite au piratage de l’équipe de campagne du candidat. Appelée les Macron Leaks, piratés par des hackers inconnus, c’est plus de 20 000 mails qui sont rendus publics notamment les échanges d’emails entre Karim Tadjeddine envoyés depuis sa boîte mail professionnelle. 

Une campagne empêchée par les révélations de la commission d'enquête sénatoriale

En décembre 2021, le Sénat ouvre une commission d’enquête intitulée 'Influence des cabinets privés sur les politiques publiques". S’ensuit une investigation très minutieuse dont l’objectif est "d’en finir avec l’opacité". Pour ce faire, la chambre haute organise pas moins de 40 auditions dont 22 sous serment et recueille 7000 documents confidentiels.

En déplacement à Dijon sur les terres de François Rebsamen, ancien socialiste passé à En Marche, le président peine à masquer sa gêne suite à la polémique qui enfle un peu plus chaque jour autour de l’argent versé à McKinsey.

"Ce n’est pas moi qui signe les contrats. Je vous invite à regarder le code des marchés publics. Le président de la République n’autorise aucune dépense", lance t-il nerveux.

Hélas, les conclusions de la commission sénatoriale sont là pour rappeler que les dépenses de l’État dépassent le milliard d’euros et que "des pans entiers des politiques publiques déléguées à des consultants, n’ont aucune légitimité démocratique".

Devant la presse, le président, tenant à apporter quelques explications pour justifier ces dépenses, déclare : "Les trois quarts, même plus, ce sont des recours à des prestataires informatiques et à des entreprises pour financer le cyber et l’évolution aux nouveaux risques. L’État a parfois besoin d’avoir des compétences extérieures".

Un argument immédiatement réfuté par Arnaud Bazin, le président LR de la commission d’enquête de la Haute Assemblée, qui rappelle que le milliard d’euros est une estimation minimale, puisque la commission n'aurait "évalué que les dépenses des ministères et celles de 44 agences de l’État (Pôle emploi, Caisse des dépôts et consignations, etc.), soit seulement 10 % des opérateurs".
Contestant également les propos d’Emmanuel Macron sur la cybersécurité, il précise que "sur 893 millions de dépenses en conseil effectuées par les ministères en 2021, 445 millions sont des conseils en stratégie et en organisation. 448 millions sont des conseils en informatique, soit la moitié (et non les trois quarts)."

Lire aussi: McKinsey au Sénat : "les conseillers peinent à répondre aux questions de la Commission" 

L'enquête de la commission sénatoriale a par ailleurs révélé que McKinsey n'aurait pas payé d'impôt sur les sociétés depuis plus de 10 ans, suspectant un des dirigeants de faux témoignage. Les sénateurs soupçonnent les filiales françaises de McKinsey d'avoir transféré chaque année d'importantes sommes d'argent à la maison mère, dont le siège se situe dans l'État du Delaware, véritable paradis fiscal aux États-Unis. 

Répondant à la polémique et aux affirmations de la commission de la chambre haute, le cabinet a déclaré que "toutes les entités de McKinsey en France sont assujetties à l'impôt sur les sociétés". Sans donner tous les détails, il déclare avoir payé "422 millions d'euros d'impôts et de charges sociales, soit près de 20% de son chiffre d'affaires cumulé", et assure avoir payé l'impôt "les années où le cabinet a réalisé des bénéfices en France". 

Tandis que le scandale se précise un peu plus chaque jour, le président a lancé : "s'il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal".

Visiblement agacé par les questions du journaliste, c'est un président fébrile qui peine à justifier les dépenses de l'État dans les cabinets de conseils pour concevoir sa politique. De plus en plus de Français se posent des questions sur le doublon de l'administration publique par ces cabinets dont l'apport stratégique, longtemps mis en avant par le chef de l'État et certains de ses ministres, n'est pas toujours facile à saisir.

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