Au moment de la dislocation de l'URSS, l’indépendance de l’Ukraine était-elle juridiquement valide ?

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Catherine Roman*, pour France-Soir
Publié le 15 septembre 2023 - 13:00
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Photo d'Artem Kniaz sur unsplash
"Le processus de sortie de la République Socialiste Soviétique (RSS) d’Ukraine à l'époque est-il légitime ?"
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TRIBUNE/ANALYSE - Au regard du conflit en Ukraine, il est nécessaire de remonter aux origines des tensions pour mieux comprendre la situation actuelle. Outre les territoires rattachés à la Russie par Catherine II à la fin du XVIIIe siècle (Crimée, le littoral entre le Dniestr et le Boug) et la fondation de la ville d’Odessa par la tsarine, l’histoire du XXe siècle n’est pas sans lien avec des événements apparus dès 2014 et qui ont atteint leur paroxysme en 2022 avec l’opération spéciale russe.

Le 24 août, l’Ukraine fête l’anniversaire de son indépendance. Mais le processus de sortie de la République socialiste soviétique d’Ukraine du bloc de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques est-il légitime à l'époque, d'une part du point de vue de la législation de l'URSS elle-même, et d'autre part du droit international ?

En ce qui concerne la législation de l'URSS, un traité est à l'origine de la création de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Le 30 décembre 1922, trois républiques en sont signataires : la République socialiste fédérative soviétique (RSFS) de Russie, la RSS d’Ukraine et la RSS de Biélorussie.

À propos du droit international, l’Acte final d’Helsinki de 1975 sur la coopération et la sécurité en Europe contient des normes explicites sur l’inviolabilité des frontières existantes et l’intégralité territoriale des États en Europe. Malgré cela de nombreuses violations de cet acte ont été observées dont : 

  • La reconnaissance en 1991 de l’indépendance de la RSS d’Ukraine notamment par les pays européens et les États-Unis; 

  • La partition de l’ex-Yougoslavie après son bombardement en 1999 par l’OTAN (sans autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU). 

La Constitution de l’Union Soviétique telle qu’adoptée en 1977 

L’URSS a été régie successivement par trois constitutions : celles de 1924, 1936 et la dernière datant de 1977. La Constitution de l’URSS contenait le droit à la séparation d’une république soviétique de l’URSS en tenant compte de l’article 2 qui prévoyait une décision par référendum.

Le référendum devait avoir lieu au plus tôt dans les 6 mois après l’énoncé de la volonté de séparation par le Soviet suprême de la république concernée dans un document approprié. Pour la RSS d’Ukraine, ce document, appelé "Acte d’indépendance d’Etat" a été adopté le 24 août 1991 suite au "putsch d’août" de 1991 en URSS.

Après l’adoption de cet acte, la question de la séparation de la république de l’URSS devait être soumise à un référendum national comme le prévoyait la Constitution soviétique sous réserve du respect de deux conditions obligatoires : 

  • Le référendum devait avoir lieu au plus tôt dans les 6 mois après que la question de la séparation d’une république de l’URSS soit posée (c’est-à-dire au plus tôt le 24 février 1992 pour l’Ukraine)

  • La question qui faisait l’objet du référendum devait être formulée de la manière suivante : "pour ou contre la séparation de la république de l’URSS" 

Ces deux conditions ont été violées par les organisateurs du référendum en Ukraine : 

  • Le référendum s’est tenu le 1er décembre 1991, ce qui ne correspond pas au délai prévu;

  • La formulation de la question a été "sur la reconnaissance de l’Acte d’indépendance d’État". À ce titre, il faut rappeler le résultat du référendum du 17 mars 1991 où la majorité des habitants ukrainiens (70,2%) s’était prononcée en faveur du maintien dans l’URSS. 

Absence de base juridique

À ce titre, les résultats du référendum ukrainien de décembre 1991 n’ont pas de base juridique en raison de l’absence d’application des normes juridiques en vigueur à l’époque.

Il est également à noter que, d’après l’article 14 de la Constitution de l’URSS, si une république de l’Union faisant sécession de l’URSS remplissait les conditions de la procédure établie par la loi, elle devait quitter l’Union soviétique exactement dans ses frontières initiales. Or, avant de rejoindre l’URSS, la République Socialiste Soviétique d’Ukraine ne comprenait pas : 

  • La péninsule de Crimée; 

  • De nombreuses terres situées sur la rive droite du Dniepr; 

  • Le Donbass.

L’Ukraine a donc quitté l’Union Soviétique en violant la procédure établie par la législation et en annexant illégalement des terres qu’elles ne pouvaient pas revendiquer. 

L’Accord de Belovej de 1991 

L’Ukraine avec 15 nouveaux États a été créée dans sa forme actuelle le 8 décembre 1991 en prolongement de la chute de l’URSS suite à l’accord signé à Belovejskaïa Pouchtcha (Biélorussie). Cet accord a déclaré la création de la Communauté des États Indépendants (CEI) et a admis les frontières entre les républiques soviétiques comme des frontières d’État.

Or, la question de la légitimité de la reconnaissance des anciennes républiques soviétiques en tant qu’États indépendants en terme de droit international reste toujours ouverte en raison de la violation des lois de l’URSS en vigueur au moment de la signature de l’accord de Belovej.

De nombreux juristes affirment encore aujourd’hui que l’approbation du document de Belovej par le Soviet Suprême est illégitime car elle contrevient à plus de trente articles de la Constitution de l’Union Soviétique en vigueur à l’époque (celle de 1977).

De même, le traité sur la formation de l’URSS, signé le 30 décembre 1922, qui a été dénoncé par les signataires de l’accord de Belovej n’avait pas de valeur juridique directe. En effet, la Constitution de l’URSS adoptée en 1977 ne contenait pas de référence à ce document (de même que les deux autres constitutions précédentes de 1924 et 1936). 

Le mémorandum de Budapest de 1994 

À travers le mémorandum de Budapest, l’Ukraine a transféré les armes nucléaires héritées de l’URSS et basées sur son territoire à la Russie en échange de garanties de sécurité, y compris le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale par les pays nucléaires.

Or, ce mémorandum n’a été ratifié par aucun pays signataire et donc n’a aucune valeur juridique. De plus, la question du respect de la souveraineté actuelle de l’Ukraine se pose au regard : 

  • Du coup d’État de 2014 qui a renversé le président démocratiquement élu, Viktor Ianoukovitch, coup d’État soutenu entre autres par la CIA, le département d’État US (Victoria Nuland) et l’ambassadeur américain en Ukraine (Jeffrey Pyatt);

  • De l’ingérence étrangère actuelle en Ukraine et de la soumission du régime de Kiev au diktat otanien (notamment après les visites à Kiev de Boris Johnson courant 2022 afin de faire échouer les tentatives de paix avec la Russie).

Autres éléments économiques et géopolitiques

Il est également à rappeler que : 

  • La Russie a assumé les dettes de l’URSS effondrée et a ainsi permis à l’Ukraine de ne pas rembourser ses dettes issues de sa période soviétique et antérieure; 

  • L’OTAN s’était engagé oralement ce qui a été retranscrit à ne pas s’étendre aux pays de l’Est après la réunification de l’Allemagne en octobre 1990 comme le confirme Der Spiegel; 

  • L’Ukraine avait assuré la Russie de sa neutralité lors de son indépendance.

En conclusion, la précipitation et le sentiment de "vainqueur" de l’Occident affichés à la chute de l’URSS  ont été un des principaux germes du conflit actuel en Ukraine. La référence au doit international revendiqué notamment par l’Occident en référence à la situation présente est faite en toute hypocrisie et en application de la maxime tristement célèbre de "deux poids, deux mesures". 

À ce titre, le réalisme parmi la communauté internationale devrait prévaloir et la position de la Fédération de Russie au lieu d’être rejetée principalement par les Occidentaux devrait être analysée aux vues des éléments précédemment cités.

*Catherine Roman est Française et a vécu quelques années en Russie. Elle travaille dans le secteur des chiffres et se passionne pour la géopolitique et l'intelligence économique.

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