Chronique N°55 – « Le naufrage de la stratégie tester, tracer, alerter, isoler : des tests tout aussi dispendieux qu’inutiles »
Un peu après 13h, le 3 mars 2021, Frédéric Carbonne, présentait sur France Info, l’émission « Le choix de France Info » (Retrouver l’enregistrement : ici).
Frédéric Carbonne « Bonjour Boris Loumagne, on va essayer de voir si le pilier de la stratégie sanitaire française, en ce moment, on se demande si on va reconfiner ici ou là, le traçage des cas contacts mis en place par l’assurance maladie, est efficace. Parce que ce dispositif, son efficacité est remise en question. Alors, rappelez-nous d’abord ce que c’est ce, en mauvais français, contact-tracing ? »
Boris Loumagne « Oui, alors le contact-tracing ou en bon français, le traçage des cas, est effectué en grande partie par l’assurance maladie. Vous êtes testé positif, un agent de votre CPAM (caisse primaire d’assurance maladie), vous contacte par téléphone, petit interrogatoire sur les personnes que vous avez croisées récemment, puis l’assurance maladie prévient vos cas contacts. Le but est de casser les chaînes de contamination. Mais, pour cela il faut aller très vite. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui selon l’épidémiologiste Catherine Hill ».
Catherine Hill (Épidémiologiste à l’Institut Gustave Roussy, Villejuif) « On va beaucoup trop lentement. Le virus va vite. La plupart des gens sont contagieux 10 à 12 jours et sont symptomatiques autour du 5ème jour. On les teste en moyenne 2 jours après les symptômes. Et on leur donne encore les résultats un jour après. Donc, 5 jours pour les symptômes, 2 jours pour le test, 1 jour pour le rendu du test, ça fait huit jours qu’ils sont contagieux quand on leur dit qu’ils sont contagieux. C’est seulement à ce moment-là qu’on cherche leurs contacts. Donc, tout ça ne marche pas du tout ».
BL « Et en plus de ça, d’après Catherine Hill, on ne retrace que la partie émergée de l’iceberg, les personnes symptomatiques testées positivement. Or, on sait qu’il y a environ 50% d’asymptomatiques. Des malades qui seront peu ou pas contactés ».
Catherine Hill « Alors le bilan des opérations, c’est que les cas qu’on trouve, sont une toute petite fraction des cas. Le virus circule largement sans qu’on s’en aperçoive, d’une façon cachée. Donc, du coup, la recherche des contacts est un exercice passablement inutile ».
BL « Et d’après certaines études, le contact-tracing plus les tests permettent de trouver un cas de coronavirus sur trois ».
FC « Une efficacité qui peut donc être contester, mais pourquoi dans ces conditions continuer à utiliser ce dispositif ? »
BL « Alors, d’une part, parce que la seule alternative, ce sont les tests massifs. Tester toute une ville, toute une région, de façon régulière, ce qui permettrait de repérer aussi les asymptomatiques. Or, nous n’avons pas les moyens techniques ou financiers pour cela. Et puis, le contact-tracing, fonctionne bien pour les patients repérés par l’assurance maladie. 95% des patients testés positifs sont contactés par téléphone, 96% des cas contacts sont prévenus [1]. Ces résultats se sont même améliorés au fil des mois. Certaines chaînes de contamination sont donc brisées [2], même s’il reste encore quelques angles morts, comme le reconnait Stanislas Rebaudet, épidémiologiste à l’hôpital Européen de Marseille.
[1] Des scores d’efficacité dignes des meilleurs vaccins, beaucoup trop beau pour être vrai…
[2] Comment voulez-vous prétendre contrôler l’épidémie, si deux tiers des personnes contagieuses, voire 5/6 (83,3%), si l’on compte les 50% d’asymptomatiques, passent inaperçues. Ce n’est pas possible !
Stanislas Rebaudet « Disons que c’est toute la limite de l’accompagnement téléphonique. On est à distance. Alors, d’abord, on n’arrive pas tout le temps à joindre les personnes au téléphone. On sait qu’on a un certain nombre de famille qui ne répondent pas au téléphone ou alors qui ont des lignes téléphoniques qui ne fonctionnent plus, notamment les familles les plus précaires fonctionnent beaucoup, beaucoup, avec des forfaits éphémères, avec des cartes prépayées. Et puis après, il y a les problèmes de langue. Puis, il y a les problèmes de compréhension globale des messages qui sont diffusés. Donc, là on touche clairement aux limites de ce qui peut être fait par téléphone. Et, c’est pour ces cas-là, qu’il y a évidemment une plus-value à un accompagnement qui soit physique, qui soit beaucoup plus personnalisé ».
BL « Et voilà pourquoi Stanislas Rebaudet et le Pr Piarroux, ont développé les dispositifs COVISAN à Paris, CORHESAN à Marseille, des professionnels de santé qui font en quelque sorte le service après-vente de l’assurance maladie. Visites à domicile, propositions de relogement, livraisons de courses pour les personnes isolées. Tout cela fonctionne depuis plusieurs mois à Marseille et à Paris, et c’est en train d’être élargi au reste de la France [3].
[3] Mais cela n’empêche pas malheureusement que 2 contagieux sur trois à 5 sur 6, resteront inconnus. Tout cela est vain !
Frédéric Carbonne « Et il faut ajouter, Boris, que ce dispositif de traçage de contacts, il est également au centre de critiques au sein même de l’assurance maladie ».
BL « Oui, certains syndicats grincent des dents. En fait, les plateformes contact-tracing, ont été mises en place presque du jour au lendemain. L’année dernière, huit mille agents ont quitté leurs services d’origines sans être remplacés, pour rejoindre ces brigades de traçage et une partie du travail hors-covid n’a pas pu être fait, selon Sylvane Thiebaut de la CGT Assurance maladie ».
Sylviane Thiebaut « On a quand même déshabillé des services pour faire cette activité. Ça a été surtout des salariés qui travaillaient dans des services de précarité. Par exemple, ceux qui gèrent l’absence de perte de droit pour les assurés précaires. Il y a eu des assurés sociaux si vous voulez qui par exemple ont pas eu de paiement d’indemnités journalières parce qu’il y avait trop de retard pour pouvoir assumer la charge de travail ».
BL « Et la situation était difficilement tenable pour l’assurance maladie qui dû embaucher pour ces brigades Covid 5.800 contrats à durée déterminée (CDD). Mais, il y a encore 3.000 agents en CDI qui n’ont toujours pas retrouvé leurs services d’origine ».
Frédéric Carbonne « Le traçage de contacts ça marche vraiment ou pas. « Le Choix de France Info », Boris Loumagne, à retrouver sur www.france.info.fr ».
En exclusivité pour France Soir, j’ai terminé de construire la base de données des tests d’analyses de laboratoires en important sous Microsoft® Access (logiciel de base de données relationnelle), toutes les tables que j’avais mises de côté depuis l’an 2000 et les plus récentes actuellement téléchargeables sur le site ameli.fr (Biol’AM : ici) . Je suis aujourd’hui en mesure d’analyser avec vous l’évolution sur 21 années (depuis l’an 2000 à l’année 2020 incluse), des tests réalisés pour les virus respiratoires responsables des principales infections respiratoires aiguës, dont la covid-19 bien sûr, mais pas que….
Remarque importante : « Ces données correspondent aux actes de biologie réalisés en ambulatoire (LAM : Laboratoires d’analyses médicales de ville) ou lors d’une hospitalisation dans un établissement de santé privé à but lucratif (cliniques privées). Le champ de ces données ne couvre pas les actes réalisés dans les établissements publics de santé ou dans les établissements de santé privés d'intérêt collectif que ce soit en hospitalisation ou en consultations externes »
En fait, avant l’année 2020 et l’arrivée du SARS-COV-2, les virus respiratoires étaient si peu testés, que dans le premier graphique ci-dessous, avec une échelle des ordonnées fixée automatiquement à 30.000.000 tests par an, seuls les tests portant sur les coronavirus (et nous verrons qu’il s’agit exclusivement du RT-PCR sars-cov-2, à lui seul plus de 26 millions de tests réalisés en 2020), apparaissent, occultant totalement les autres virus respiratoires : virus de la grippe, adénovirus, rhinovirus, autres coronavirus, virus respiratoire syncytial (responsable des bronchiolites chez les nourrissons), virus parainfluenzae.
En zoomant un peu, nous pouvons entrevoir les virus de la grippe, très peu testés entre 2000 (3.644 tests) et 2012 (7.975 tests réalisés), à l’exception du pic à plus de 50.000 tests en 2009 (grippe A H1N1, initialement appelée grippe porcine). A partir de 2012, le nombre de tests augmente progressivement, puis plus rapidement, pour dépasser les 100.000 tests en 2019 et 2020.
En zoomant encore plus, seul le virus respiratoire syncytial a fini par dépasser en 2020 la barre des 10.000 tests réalisés. Les adénovirus qui avaient franchi les 8.000 tests en 2019 retombent sous les 6.000 en 2020. Les rhinovirus responsables du rhume banal ne sont pas testés (entre 0 et 11 tests selon les années, 0 en 2020 !), tout comme les coronavirus communs (172 tests pour toute l’année 2019 !). Le virus parainfluenza ne suscite pas beaucoup plus d’intérêt, en baisse dans les années 2010 par rapport aux années 2000, et à peine plus de 1.000 tests pratiqués en 2020.
Encore que les débuts en ville du « testing » sur le nouveau coronavirus ont été quelque peu poussifs si l’on en croit la courbe suivante qui retrace les nombres de tests pratiqués chaque mois en 2020. Il aura fallu attendre le mois de septembre pour que la fusée décolle. Nous avons approché en novembre 2020 les 7 millions de tests réalisés en ville. Les données des premiers mois de 2021 ne sont pas encore en ligne.
Alors, tout ceci a un coût exorbitant. Près d’un milliard quatre cents millions d’euros dépensés rien qu’en ville (base de remboursement). Les données relatives aux tests effectués dans les hôpitaux publics, rappelons-le ici, ne sont pas incluses dans la base de données Biol’AM. On imagine cependant que les hôpitaux publics ont davantage testé que la ville.
Nous parlons en milliard d’euros pour les tests portant sur le sars-cov-2, quand pour la grippe nous sommes au million. Un montant de dépenses près de 1.000 fois inférieur.
En ce qui concerne les autres virus, l’assurance maladie a dépensé en 2020 un peu plus de 200.000 euros pour le virus respiratoire syncytial, de 80.000 pour les adénovirus, moins de 13.000 euros pour le virus parainfluenza, et seulement 2.061 euros pour le coronavirus en 2019… C’est dire qu’il n’intéressait personne.
Les coûts mensuels supportés par l’assurance maladie en 2020 ont également été progressifs. Ils ont culminé en novembre à près de 375 millions d’euros…
Ce dimanche 21 mars 2021, la base de données « Système d’information de dépistage » (SI-DEP) de Santé Publique France, était placée dans un coma dépassé. Elle nécessitait d’urgence une prise en charge par un réanimateur expérimenté pour l’intuber et la mettre sous ventilation assistée. Il était déjà trop tard pour l’oxygénothérapie à haut débit, car les derniers fichiers téléchargeables étaient ceux du 18 mars. Quid des fichiers des 19 et 20 mars (Les fichiers sont normalement mis en ligne tous les jours vers 17h20). Le rerereconfinement leur a été fatal !
Au total, beaucoup d’argent du contribuable assuré social est jetée par les fenêtres. En effet, les modalités de réalisation des tests en France depuis le début de la pandémie, excluent les asymptomatiques, de sorte que seule une personne contagieuse sur six est identifiée. Impossible dans ces conditions de prétendre contrôler quoi que ce soit…
Annexe – Liste des 46 actes de biologie médicale réalisés entre 2000 et 2020 par les laboratoires d’analyses médicales de ville et les cliniques privées à but lucratif, testant pour les principaux virus respiratoires Code de l'acte Libellé de l'acte 4702 INFECTION A VRS : SD DE DEPISTAGE DES ANTIGENES 4701 PARAINFLUENZA (PARAMYXOVIRUS) : SD DE DEPISTAGE DES ANTIGENES 4208 ADENOVIRUS : CULTURES ORIENTEES ET IDENTIFICATION 4209 ADENOVIRUS : MISE EN EVIDENCE SUR SELLES PAR ME 4207 ADENOVIRUS : RECHERCHE DIRECTE SUR LIQUIDES AUTRES QUE SELLES PAR IF 4205 ADENOVIRUS : RECHERCHE DIRECTE SUR SELLES PAR AGG 4206 ADENOVIRUS : RECHERCHE DIRECTE SUR SELLES PAR EIA 4222 CORONAVIRUS : RECHERCHE DIRECTE PAR IF 4223 CORONAVIRUS : RECHERCHE DIRECTE PAR ME 4274 DETECTION DE L'ANTIGENE DU VIRUS SARS-COV-2 1730 GRIPPE A : SD PAR EIA 3730 GRIPPE A : SD PAR EIA + ITERATIF 1731 GRIPPE A : SD PAR IHA 3731 GRIPPE A : SD PAR IHA + ITERATIF 1729 GRIPPE A : SD PAR RFC 3729 GRIPPE A : SD PAR RFC + ITERATIF 1733 GRIPPE B : SD PAR EIA 3733 GRIPPE B : SD PAR EIA + ITERATIF 1734 GRIPPE B : SD PAR IHA 3734 GRIPPE B : SD PAR IHA + ITERATIF 1732 GRIPPE B : SD PAR RFC 3732 GRIPPE B : SD PAR RFC + ITERATIF 3780 GRIPPES A ET B : SD CONTROLE D'IMMUNITE PAR IHA 1735 GRIPPES A ET B : SD CONTROLE D'IMMUNITE PAR SERONEUTRALISATION 1704 INFECTION A ADENOVIRUS : SD PAR EIA 1702 INFECTION A ADENOVIRUS : SD PAR IFI 1703 INFECTION A ADENOVIRUS : SD PAR IHA 1701 INFECTION A ADENOVIRUS : SD PAR RFC 1705 INFECTION A ADENOVIRUS : SD PAR SERONEUTRALISATION 3787 INFECTION A VRS : SD : DEPISTAGE AC PAR EIA 3781 INFECTION A VRS : SD : DEPISTAGE AC PAR RFC (CHEZ ADULTE) 1760 PARAINFLUENZA (PARAMYXOVIRUS) : SD PAR IHA 3760 PARAINFLUENZA (PARAMYXOVIRUS) : SD PAR IHA + ITERATIF 1761 PARAINFLUENZA (PARAMYXOVIRUS) : SD PAR RFC 3761 PARAINFLUENZA (PARAMYXOVIRUS) : SD PAR RFC + ITERATIF 4272 RHINOVIRUS : CULTURES ORIENTEES ET IDENTIFICATION 5271 SARS-COV-2 : DETECTION GENOME PAR LES TECHNIQUES D'AMPLIFICATION GENIQUE 4242 VIRUS GRIPPAUX (A ET B) : CULTURES ORIENTEES ET IDENTIFICATION 4241 VIRUS GRIPPAUX (A ET B) : RECHERCHE DIRECTE PAR EIA 4240 VIRUS GRIPPAUX (A ET B) : RECHERCHE DIRECTE PAR IF 4245 VIRUS PARAINFLUENZAE (I, II, III, IV) : CULTURES ORIENTEES ET IDENTIFICATION 4244 VIRUS PARAINFLUENZAE (I, II, III, IV) : RECHERCHE DIRECTE PAR EIA 4243 VIRUS PARAINFLUENZAE (I, II, III, IV) : RECHERCHE DIRECTE PAR IF 4248 VIRUS RESPIRATOIRE SYNCYTIAL (VRS) : CULTURES ORIENTEES ET IDENTIFICATION 4247 VIRUS RESPIRATOIRE SYNCYTIAL (VRS) : RECHERCHE DIRECTE PAR EIA 4246 VIRUS RESPIRATOIRE SYNCYTIAL (VRS) : RECHERCHE DIRECTE PAR IF
Cette chronique a été rédigée le 22 mars.
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