Retour sur les bombardements atomiques au Japon (1/4) : Nagasaki

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Jean Neige, France-Soir
Publié le 13 avril 2023 - 15:00
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Scène de destruction à Nagasaki
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Jean Neige
Scène de destruction à Nagasaki.
Jean Neige

TRIBUNE/OPINION - Première partie, Nagasaki 1/2 - Selon de nombreux observateurs, avec l'intervention russe en Ukraine, et le statut de quasi-cobelligérance de l'OTAN contre la Russie, nous serions encore plus proches d'un conflit nucléaire que nous n'en avions été avec la crise des missiles de Cuba en 1962. Pour l’ancien président russe et actquel vice-président du Conseil de Sécurité de la Russie, Dmitri Medvedev, le monde est « en équilibre au bord de la Troisième guerre mondiale et de la catastrophe nucléaire ».

Alors que certaines voix de déraison se sont élevées, notamment aux États-Unis, pour mettre en avant l'idée qu'une guerre nucléaire serait gagnable, il apparaissait opportun de revenir sur les lieux des premiers bombardements nucléaires de l'histoire effectués contre des populations, à Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. 

Le premier Japonais que j’avais rencontré dans ma vie, il y a une vingtaine d’années déjà, était fonctionnaire international dans les Balkans, comme moi. Il était très en colère contre le président Truman qui avait décidé de ces bombardements atomiques. Il l’accusait d’être un criminel de guerre, un de ceux qui avaient échappé au jugement de l’histoire parce qu'il était dans le camp des vainqueurs.

L’argument selon lequel ces bombardements auraient été indispensables pour mettre fin à la guerre sauf à envahir le Japon - ce qui aurait pu prendre deux ans et coûter des centaines de milliers de morts supplémentaires - n’était pas valable pour mon interlocuteur. C’est pourtant la thèse très généralement acceptée en Occident.

M'étant rendu au Japon j'ai choisi pour des raisons pratiques de commencer par la ville la plus excentrée, la plus difficilement accessible, Nagasaki. Ainsi, je n'ai pas respecté l'ordre chronologique des attaques. Parce que ce voyage n'est pas seulement un cheminement sur les traces de l'histoire, mais est aussi un parcours émotionnel qui ne laisse pas indemne, il m'a finalement semblé plus opportun de narrer ce témoignage dans la chronologie avec laquelle je l'ai vécu. La visite d'Hiroshima fera l'objet d'un article séparé.

Nagasaki, la ville

Nagasaki, comme quasiment toutes les villes du Japon, offre au premier regard l'aspect d'un enchevêtrement d'immeubles hétéroclites, plus ou moins modernes. Mais on n'y trouve pas de hautes tours comme dans tant d'autres grandes villes. De par son relatif isolement, aux confins sud-ouest de l'archipel, Nagasaki semble avoir échappé aux plus récentes vagues de construction modernes. Il faut dire que le Shinkazen, le TGV japonais, n'est seulement arrivé jusqu'à la ville qu'en novembre 2022. Pour accéder à ce dernier tronçon, il faut prendre un train plus lent, le Kyushu Limited Express à partir de Nagata, ville autrement appelée Fukuoka.

Une fois à Nagasaki, on découvre que le système local de transports urbains repose sur quelques lignes de tramway dont la plupart des wagons semblent hors d’âge. Cela donne un charme un peu vieillot à la ville, toutes proportions gardées, dans ce Japon autrement tellement moderne.

Tramway de Nagasaki

Il faut aussi préciser que Nagasaki a d'autres attraits touristiques que celui d'être une ville martyre de la bombe atomique. Elle fut d'abord pendant des siècles la seule ville ouverte aux Européens, d'abord Portugais puis Néerlandais. Ces derniers étaient parqués sur une petite île dans le port, Dejida, reliée à la terre par un pont.

Depuis les travaux de remblais du port, l'île fait maintenant partie intégrante de la ville. Les bâtiments, y compris une église, ont été préservés. Ce sont les seuls bâtiments anciens de la ville. À l'origine, la bombe devait être larguée plus près du port, ce qui aurait fait probablement plus de victimes. Mais le ciel étant nuageux, l'avion américain qui a largué la bombe « Fat man » a jeté son horrible fardeau au nord de la ville, loin du port. Cela a sauvé la partie sud de Nagasaki et le petit hameau hollandais de la destruction.

Église de Dejida

Un autre attrait de la ville est son panorama nocturne, quand on se place sur les hauteurs. La vision ainsi offerte serait une des trois plus belles visions nocturnes de ville au Japon, voire du monde, avec Monaco et Shangaï, d'après le Night View Summit de 2012. La ville s'étend en effet dans une vallée entourée de multiples collines et se terminant sur une rade assez étroite. Le site est spectaculaire, notamment vu du mont Inasayama situé à 333 mètres au-dessus du niveau de la mer (la photo ci-dessous ne représente que la zone portuaire, soit un tiers de la ville). Cela vaut la peine d'y aller à deux reprises, une fois en journée, une autre fois en soirée, tant la vue sera tout aussi spectaculaire, mais très différente. “C'est beau une ville, la nuit”, avait écrit Richard Bohringer. Cela s'applique si bien à Nagasaki, ville qui a pu littéralement renaître de ses cendres. En journée, on voit la mer dans trois directions différentes, ce qui nous rappelle que Nagasaki se situe sur une presqu'île, elle-même située sur une île.

Vues du port de Nagasaki

Nagasaki est aussi la ville par laquelle la chrétienté a infiltré le Japon, malgré les tentatives des autorités de limiter son expansion. On trouve ainsi de nombreuses églises dans la ville, et même une cathédrale, qui était proche de l'épicentre de l'explosion et qui fut presque entièrement dévastée. Un de ses vestiges a été récupéré et est exposé juste à côté du monument situé au niveau de l'épicentre de l'explosion. Il est assez ironique de constater que les États-Unis, pays dont tant d'habitants sont des fidèles dévoués du christianisme, ont décidé de détruire la ville la plus chrétienne du Japon, une ville qui comptait aussi environ 200 prisonniers de guerre britanniques, hollandais et australiens dont le sort après la bombe a quelque peu échappé aux historiens. 

Un autre site valorisé dans la ville est celui du supplice de 26 chrétiens crucifiés par les autorités japonaises du XVIème siècle, des martyrs qui ont été officiellement canonisés des siècles plus tard. Un large monument, comme une fresque sculptée, rend hommage à ces premiers chrétiens, devant un musée lui-même accolé à une église moderne aux formes étranges. Même si c'est en moins grand nombre qu'ailleurs, des lycéens visitent le site en permanence. 

Monument en mémoire des martyrs chrétiens

Au cours de déambulations dans la ville au hasard des rues, il n'est pas rare de voir des panneaux commémoratifs des conséquences de la bombe en août 1945, comme la destruction d'un temple, lieu où les rescapés venaient se réfugier malgré tout, ou la commémoration de telles ou telles victimes, comme ces deux fillettes d'une dizaine d'années qu'un peintre a immortalisées sur leur bûcher crématoire. On y reviendra.

Le parc de la Paix

Quand on débarque du tramway près des sites commémoratifs des ravages de la bombe atomique, on a le choix entre aller directement au musée ou explorer le parc de la Paix et le site de l'épicentre situé juste à côté. J'ai choisi de commencer par les parcs.

Pour accéder au parc de la Paix, on passe d'abord par un escalator des plus modernes, à plusieurs niveaux.  Sur le plan, j'avais pu voir que l'on arrivait ensuite sur “la fontaine de la Paix”. Je m'étais alors demandé pourquoi donner un tel nom à une simple fontaine. Cela me paraissait un peu artificiel au premier abord, comme s'il fallait mettre le mot "Paix" partout. Et puis, sur place, j'ai découvert l'explication, inscrite sur un panneau. L'idée de mettre une fontaine en ce lieu commémoratif et de la nommer ainsi n'avait rien d'un hasard.

La fontaine fut installée en mémoire des survivants, qui exposés à des températures insupportables, et à un incendie gigantesque ayant ravagé ce qui restait de la ville, crevaient littéralement de soif et recherchaient en vain de l'eau partout. Cela fut pour moi, d'entrée, une bouffée d'émotion qui me serra la gorge. J'eus presque honte d'avoir eu des pensées un tant soit peu désobligeantes juste avant d'arriver sur le site.

La fontaine de la Paix, où coule en permanence cet élément si vital qu'est l'eau, est donc là pour rappeler au visiteur ce calvaire méconnu des survivants, cette soif à la fois terrible et matériellement insatiable, qui fut une des dernières souffrances de milliers d'anonymes. La plaque commémorative précise aussi que la fontaine est  « une offrande d'eau pour les victimes » et « une prière pour le repos de leurs âmes ». Du reste, selon les enseignements du shintoïsme, la spiritualité la plus répandue au Japon, les esprits des personnes mortes brutalement peuvent hanter les lieux de leur décès. Si ces âmes traumatisées étaient encore sur place, elles pouvaient trouver là symboliquement, peut-être, un semblant de réconfort. 

Un peu plus loin, on peut lire que pour boire et calmer leurs brûlures, de nombreux rescapés se précipitèrent dans la petite rivière Shimonokawa qui traverse la ville à cet endroit et qui fait à peine 5 mètres de large. Mais beaucoup succombèrent sur place, et leurs cadavres charriés par l’eau finirent par créer comme un barrage sur la rivière, un bouchon de corps. Un survivant a décrit cela comme « une vision de l’Apocalypse, un enfer vivant sur Terre ».  

On retrouvera cet élément de la soif à Hiroshima, sauf que là-bas, il y eut des conséquences un peu différentes.

La fontaine de la Paix

Aux alentours de la fontaine, on découvre une série de statues offertes par différents pays ou villes, censées commémorer l'amitié entre les peuples et le souhait que jamais plus une bombe atomique ne s'abatte sur des êtres humains. Étonnamment, on constate que la plupart des pays ayant fait un don à la ville de Nagasaki étaient des pays de l'ancien Pacte de Varsovie, avec des statues offertes dans les années 80.

On semblait ainsi, dans les ex-pays communistes, mettre l’accent sur le fait que le seul pays qui a utilisé cette arme terrifiante sur des populations était leur ennemi idéologique américain. La plupart des statues représentent la figure d'une femme et d'un enfant, comme pour souligner que 70% des victimes de Nagasaki étaient des femmes, des enfants et des vieillards. L'une des plaques commémoratives près d'une des statues le dit explicitement.

Aujourd'hui, certains esprits occidentaux pourraient trouver ces représentations insupportablement traditionnelles. Une statue offerte venant de l'Occident moderne et progressiste représenterait peut-être un homme enceint et une femme à barbe ? Je n'ai pu empêcher mon esprit d'être pollué par cette réflexion décalée sur ce qu'est devenu à mon sens l'Occident aujourd'hui.

Après, on découvre une vaste esplanade, au bout de laquelle une statue de 10 mètres de haut représente un homme assis, avec un bras levé vers le ciel pour pointer la menace, et un bras à plat sur le côté censé symboliser la paix. On note alors, si on ne s'en était pas déjà aperçu auparavant, que le site est parsemé de groupes d'écoliers et de lycéens en uniforme. Il y avait au minimum 6 à 7 classes sur le site au moment de ma visite, première prise de conscience de l'importance de la transmission de cette mémoire pour les Japonais. On trouve aussi sur place quelques rares petits groupes de retraités. Jeunes et vieux sont ainsi réunis par la conscience de l'histoire.

La statue de la Paix dans le parc de la Paix

Je me suis rendu ensuite dans le petit parc un peu plus près du musée, où une sorte de monolithe noir entouré au sol de cercles concentriques représente l'hypocentre de l'explosion qui dévasta la ville, à 11h02, le 9 août 1945. Le visiteur qui, comme moi, ne le savait pas découvrira que l'explosion n'a pas laissé de cratère, pour la simple raison que la bombe a explosé à 500 mètres d'altitude. Une autre statue de la mère et l'enfant et un vestige de la cathédrale locale détruite ornent le site.

Monument marquant l'hypocentre de l'explosion

Le bilan officiel, lu sur un panneau, fait état de près de 74 000 morts, et d'autant de blessés. 

Mais la partie la plus émouvante de la visite restait à découvrir. 

À suivre...

 

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