"La société hystérisée" de Jonathan Curiel
Jonathan Curiel, directeur général adjoint des programmes des chaînes M6, W9 et 6ter a publié en octobre 2021, La société hystérisée, un essai sur l’hystérisation du débat public. Il se base sur une étude conduite dans douze pays riches, depuis les années 1970, qui prouve que nos sociétés sont devenues de plus en plus intolérantes. Les personnes qui ne partagent pas nos idées ne sont plus considérées comme des adversaires dignes, mais de vils ennemis.
Une difficulté croissante à se parler, à se tolérer
Selon Jonathan Curiel, ce qui devrait nous inquiéter n'est pas l’hystérie, qui a toujours existé, mais le fait qu'elle n’est plus une exception. Cela pourrait s’attribuer en partie à la généralisation de la participation sur les réseaux sociaux, mais d'autres phénomènes entrent en jeu. Le spécialiste des médias l'a expliqué dans une interview pour France Culture ; la fragmentation de la société, la hausse des inégalités, le repli sur soi, la défiance historique que les élites et la politique suscitent, la fin des grands récits mobilisateurs, renforcent aussi ce phénomène. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, on est plus enclins à échanger “pour agir et affirmer” que pour transmettre de l'information, ce qui mène nécessairement à un rapport plus tendu et conflictuel dans les échanges. À cela s’ajoute le fait qu’on utilise ces canaux pour revendiquer son identité, ses convictions et valeurs, plutôt que pour trouver des informations. Dans ce contexte, tout point de vue contraire peut être perçu comme une forme d'invasion, provoquant des réactions hostiles, explique aussi l’auteur de l’essai.
Politiciens, intellectuels et journalistes, quel rôle dans l'hystérie collective ?
Pour Jonathan Curiel, le conflit est nécessaire. L’enjeu n’est donc pas de condamner le conflit en soi, car il “porte en lui des germes féconds”. Il serait même bénéfique lorsqu’il est fondé sur la raison, la reconnaissance première et l’écoute réciproque. Cependant, les responsables politiques et les journalistes ne contribuent pas à la modération des débats. Au contraire, ils se limitent à qualifier de “wokistes” et de “complotistes” les postures d'opposition, ce qui entraînerait l'hystérisation de la société. Les intellectuels préfèrent aujourd’hui des positions tranchées plus que des idées. L’hystérisation et le conflit deviennent une plaie, voire un péril quand ils provoquent la brutalisation de l'échange et l'impossibilité de discussion.
Le débat pourra-t-il vaincre l'hystérie collective ?
Selon Jonathan Curie, la clé du retour au débat réside dans la qualité de la délibération publique. Selon l’expérience « America in one room » menée à Stanford en 2019, avec plus de 500 personnes aux points de vue très divergents, les positions pouvaient évoluer après un échange approfondi entre les participants. Au bout de quatre jours passés ensemble, il y avait convergence sur 22 des 26 propositions relatives aux grandes thématiques de société. Ainsi, la modération passerait par l'échange entre les différents partis, afin qu'ils se comprennent, même si des désaccords existent. Enfin, il faut être conscient des biais cognitifs qui poussent à suivre l'hystérie collective. Favoriser l'échange, apprendre à adopter un certain goût de la nuance et de la modération, sans la confondre avec de la tiédeur, précise l'auteur de l’essai, permettrait de remédier à la situation dans laquelle nous sommes bloqués aujourd'hui.
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