Pénurie de médicaments : la méthode Coué du ministre de la Santé… en attendant les solutions européennes ?

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Chloé Lommisan, France-Soir
Publié le 21 février 2023 - 15:01
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Christophe ARCHAMBAULT / AFP
Les pénuries de médicaments, contrairement aux annonces rassurantes du ministre de la Santé, pourraient perdurer.
Christophe ARCHAMBAULT / AFP

SANTÉ - Invité sur Europe 1, le 3 février dernier, le ministre de la Santé a déclaré la pénurie d’Amoxicilline proche d’être résolue. L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament), dans une note d’information du 23 janvier, prévenait pourtant d’une situation perturbée jusqu’en mars. Sa directrice, Christelle Ratignier-Carbonneil, récemment auditionnée au Sénat, annonce des solutions à l’échelle de l’Union européenne “à partir de 2024 ou 2025”. 

Médecins généralistes, infectiologues, pneumologues, pédiatres, gériatres, ORL, pharmaciens… L’ensemble des professionnels de santé ont été mis au courant par une note de l’ANSM, diffusée le 23 janvier, d’une “persistance des tensions d’approvisionnement”, voire de “ruptures de stocks” en France d’Amoxicilline (seule ou en association à l’acide Clavulanique).  

Cette situation dégradée, qui concerne par ailleurs d’autres médicaments communément utilisés, comme le paracétamol (Doliprane), devrait “durer jusqu’en mars 2023”. 

Sortie de crise selon le ministre 

“Nous sortons de la crise” de la pénurie d’Amoxicilline, a estimé pourtant le ministre de la santé François Braun, lors d’un entretien sur Europe 1, le 3 février 2023, indiquant toutefois un délai de “deux semaines” afin de pallier à tous les manques.  

Quinze jours plus tard, ce sont les prévisions de l’ANSM qui se confirment. Sur le site de l’agence, une page, qui recense les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (ITM), affiche encore des dizaines de références en rupture de stock ou en tension d’approvisionnements. Parmi elles figurent toujours l’Amoxicilline et l’acide Clavulanique.  

Chargée de réguler la prescription des médicaments, la Haute Autorité de Santé (HAS) se doit d’anticiper les stocks de molécules afin de rédiger ses recommandations de santé publique. À l’instar de l’ANSM, la HAS ne s’en remet pas à la méthode Coué pratiquée par le ministre de la Santé. 

La crise continue selon la HAS et l’ANSM 

”Il ne s’agit pas d’un problème récent, mais d’un problème qui s’aggrave. Il est clair que les pénuries de médicaments que nous vivons sont de plus en plus récurrentes”, affirme sa présidente Dominique Le Guludec, auditionnée le 9 février par la Commission d’enquête sénatoriale à propos de la pénurie de médicaments et le positionnement de l’industrie pharmaceutique française. 

Pourtant, Français Braun semble se persuader qu’il s’agit d’une difficulté ponctuelle et de nature saisonnière, qui s’expliquerait par exemple en raison du déroulement simultané de plusieurs épidémies sévissant l’hiver. Dans sa proposition de “plan blanc”, le ministre préconise d’éviter les pénuries en “période hivernale”, en faisant des “des stocks préalables (…) lorsqu’on sait qu’on en a besoin”.  

Mais l’analyse de la HAS est bien confirmée lors d’une nouvelle session de la Commission d’enquête du Sénat, le mercredi 15 février, par la rapporteure Laurence Cohen (groupe communiste).  

Alors qu’elle questionne la directrice de l’ANSM, Christelle Ratignier-Carbonneil, la sénatrice rappelle que “la pénurie n’est pas un phénomène récent. Si l’on regarde en 2016, 600 signalements ont été faits. En 2019, il y en avait 1500. 2400 en 2021. Et aujourd’hui, plus de 3500. (Ceux-ci) ont été multipliés par cinq en un court moment. Cela n’est pas lié à la crise du Covid.”  

L’abandon des molécules "anciennes" 

L’élue du Val-de-Marne, vice-présidente de la commission des affaires sociales, remarque que les médicaments les plus concernés sont ”les anciens, moins onéreux et donc moins rentables pour les exploitants”. Mme Cohen émet l’hypothèse que ces derniers connaitraient davantage de difficultés d’approvisionnement que les médicaments “innovants” sous brevet et donc toujours rentables pour l’industrie pharmaceutique. 

La sénatrice s’étonne par ailleurs que cette industrie ne soit pas sanctionnée par les pénalités prévues par la loi, en cas de rupture par négligence de la production d’une molécule. “Je sais que vous pouvez infliger des pénalités financières, rappelle-t-elle à la directrice de l’ANSM, “mais il y en a extrêmement peu, avec une opacité sur (leurs) montants”. Pourtant, des sanctions dissuasives pourraient inciter les producteurs à veiller au maintien des approvisionnements. 

Mme Cohen accuse aussi la délocalisation des industries d’être responsable du caractère “structurel” des pénuries : “nous sommes nombreux à penser qu’il faudrait relocaliser un certain nombre d’industries pour avoir de la production en France. Mais on sait pertinemment que la plupart des usines se trouvent en Chine ou en Inde, pour des raisons de rentabilité financière, pour le coût de la main d'œuvre mais aussi pour des raisons environnementales”. 

“La maille européenne” 

Après voir répondu qu’un “grand nombre de pays de l’UE sont concernés par la pénurie de paracétamol et d’Amoxicilline”, Christelle Ratignier-Carbonneil, qui est aussi vice-présidente de l’EMA (l’Agence européenne du médicament) expose “la dimension européenne” des solutions : “Il y a des travaux en cours pour la révision de la législation pharmaceutique au niveau européen, avec une mise en projet vers 2024 ou 2025."  

Le premier projet qui “devrait être présenté fin mars (2023)”, s’inspirera de “l’encadrement législatif français” en matière de gestion des pénuries et d’obligations de déclaration. “L’ensemble de la réglementation sera reprise en base”, selon la directrice de l’ANSM. 

Sur le plan économique, grâce à “la maille européenne”, les “vieux” antibiotiques qui connaissent des arrêts de commercialisation “faute d’attractivité pour les industriels” pourraient bénéficier d’un marché de nouveau rentable de par sa taille.   

“La mondialisation n’est pas heureuse” 

Une démonstration qui ne rassure pas le sénateur Alain Houpert (groupe Les Républicains) : “Nous sommes en insécurité et vos propos m’inquiètent. Les solutions que vous donnez ne sont que des pansements (…). Dans le cadre du médicament, la mondialisation n’est pas heureuse. Et je suis un libéral”. Lui-aussi évoque la nécessité de relocaliser “d’urgence” les chaînes de production en France.  

En 2022, l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds) publie un rapport intitulé “Relocalisation de l’industrie pharmaceutique en Europe et dans les États membres.” Cet observatoire, qui “veille à la mise en place en France de la ‘Résolution sur la Transparence’ des marchés pharmaceutiques votée à l’Assemblée mondiale de la Santé en mai 2019”, doute de l’efficacité des relocalisations au sein de l’Union européenne.  

Ces dernières, au sein du système économique actuel, se produiraient “uniquement dans les conditions actuelles du marché, basées sur le principe de l’offre et de la demande” et seraient “vouées à l’échec”. Les pénuries risquent de durer bien au-delà de 2024 ou 2025. 

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