Compenser nos lacunes en hypersonique


Il est aujourd’hui devenu essentiel de dresser le constat de la situation quant à l’hypersonique et d’imaginer comment les États-Unis vont compenser leurs lacunes.
Autant que nous le sachions, toutes les tentatives militaires de l’Ouest pour faire de l’hypersonique ont échoué. Pour la France, nous en avons une idée lorsque le président français promet des missiles hypersoniques nucléaires pour 2035. Toutefois, toute la subtilité réside dans les détails. Le seuil de l’hypersonique est Mach 5, c’est-à-dire cinq fois la vitesse du son, lequel va à 340 m/s dans les conditions standard. C’est pour cette raison que, quand il y a un orage, nous comptons le temps entre la lumière – qui voyage à 300 000 km/s et que l’on voit donc instantanément – et le grondement du tonnerre. En divisant ce temps en secondes par 3, on obtient la distance en kilomètres du centre de la tourmente.
La France vise, pour 2035, des missiles qui voleraient à Mach 7. Cela sera probablement à haute altitude puisqu’ils seront lancés d’un Rafale.
En ce moment, au niveau de la mer, les Russes possèdent le Zircon, qui se déplace à Mach 9, et l’Avangard, qui plane en stratosphérique à Mach 27 ; et pas en 2035, mais en 2025 ! Où en seront-ils dans dix ans ? Nous ne le savons pas, mais une chose est sûre, ils n’iront pas à reculons.
Manifestement les autres puissances occidentales ne sont pas plus avancées que la France et nous voyons bien que tout cela n’est que velléité. Il manque ici cet éclair de génie qui nous fait défaut, ou plutôt, ceux qui auraient pu l’avoir ont été soigneusement écartés dans une organisation dont la vocation première n’est pas de défendre quoi que ce soit, mais faire des profits. Pensez donc ! Développer un système sophistiqué sans être sûr d’y arriver, puisque personne ne l’a encore fait, aucun industriel ne veut prendre un tel risque !
Il convient de critiquer l’Europe et la France en particulier, qui ont été le berceau de la science, mais qui se sont contentées, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale au moins, de ne copier que ce qui avait déjà été fait ailleurs, aux États-Unis la plupart du temps. Ainsi en va-t-il de notre secteur spatial, de notre domaine nucléaire, de nos avions de combat, etc. Alors que nous avions entamé le XXe siècle avec de l’avance et en leaders, nous l’avons fini en retard et en suiveurs.
Cela ne résout pas pour autant la question côté américain. Vis-à-vis de la Russie, les États-Unis dans une position d’infériorité indéniable et, comme leurs équipes ont l’air de caler sur le sujet, il leur faut trouver une compensation pour rééquilibrer l’échiquier.
Passons très rapidement par un peu de technique. L’Occident dispose d’une certaine compétence en matière d’hypersonique. Mais cela est très insuffisant au regard de l’avance acquise par la Russie. Cela concerne la rentrée atmosphérique des engins spatiaux. Là, pour des raisons que nous ne détaillerons pas, le Mach, dès l’entrée dans une atmosphère un peu continue, est presque infini et au fur et à mesure que le vaisseau ralentit et que la densité augmente, il décroît. Et tout un chacun sait très bien que nous sommes capables de faire cela depuis des décennies. Dès lors, pour faire peser une menace sur un ennemi potentiel possédant l’hypersonique, dans une stratégie d’équilibre, il reste à militariser l’espace, car une bombe ou un missile prépositionné arriveront au sol en mode hypersonique dans un temps très court. Ce sera un ersatz de missile hypersonique, mais cela suffira.
Ne nous y trompons pas d’ailleurs, puisque les États-Unis, qui n’ont pas à craindre grand-chose d’une bombe nucléaire iranienne, demeurent hystériques sur le programme de lanceurs de ce pays, car ce pourrait être une méthode alternative pour menacer Washington de manière asymétrique. Le nucléaire joue là le rôle de leurre politique à la perfection.
Compte tenu des déclarations de Vladimir Poutine, nous pouvons penser que la Russie possède un antidote contre les missiles hypersoniques, mais peut-être pas ceux qui viendraient de l’espace. C’est à confirmer. Nous ne pouvons guère le savoir, car, comme la Russie n’a pas d’adversaires à sa taille, si elle a de telles armes, elle n’a pas eu à les utiliser.
Là encore, pour assurer une forme de parité, dans la précipitation, les États-Unis doivent compenser. Comment ? C’est toujours un jeu d’enfant, mais cela va coûter une fortune ! Mettons le Zircon hors compétition, puisque encore une fois, il vole à Mach 9 au niveau du sol. Mais pour les autres – que d’aucuns qualifieront de stratégiques –, ils vont passer peu ou prou par la stratosphère. Il va donc falloir organiser une défense dans cette gamme d’altitudes, soit, à nos latitudes, entre 20 et 50 km. La raison en est simple et technologique. En de tels endroits, l’atmosphère est suffisamment ténue pour que les lasers de puissance et les canons électromagnétiques soient tout à fait efficaces contre des cibles qui, si elles sont manœuvrantes, ont quand même des constantes de temps assez élevées potentiellement et à condition qu’elles soient planantes. Nous allons donc assister, dans les mois et années qui viennent, à un déploiement colossal américain à la fois dans l’espace et la stratosphère.
Pendant ce temps-là, les idiots du village planétaire – les Européens, Français en tête bien entendu – vont dépenser 800 milliards d’euros dans la production massive d’armements déjà obsolètes, pensant, comme Giovanni Drogo, dans le célèbre roman de Dino Buzzati, Le Désert des Tartares, que l’ennemi va déferler sur ses frontières, négligeant les évidences produites par le conflit ukrainien.
Enfin, posons-nous une question essentielle : si l’Occident, quel que soit le pays, avait trouvé le « truc » pour avoir des armes hypersoniques, les aurait-il livrées à l’Ukraine sur le champ de bataille ? Nous laisserons le lecteur à sa réflexion…
Tribune publiée par le Centre Français de Recherche sur le Renseignement, et reprise par France-Soir avec l'aimable autorisation de l'auteur.
Jean-François Geneste a près de 40 ans d’expérience dans les domaines aéronautique, espace et défense. Il a été directeur scientifique du groupe EADS, devenu Airbus Group, pendant 10 ans. Il a été professeur au Skolkovo Institute of Science and Technology à Moscou. Il est actuellement le PDG de la startup WARPA qui vient de se voir attribuer un brevet pour son moteur de propulsion spatiale à impulsion spécifique infinie.
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