Christian Fouchet, le successeur adoubé par De Gaulle
HISTOIRE - Il y a cinquante ans, le 11 août 1974, Christian Fouchet quittait ce monde à Genève.
Je l'avais rencontré en février de la même année et, après une heure et vingt minutes d'entretien, l'ancien ministre m'avait donné sa confiance : "Tranchant, je vois que vous pensez comme moi. Eh bien ! Nous allons faire la route ensemble si vous le voulez bien. Vous allez être mon délégué pour Nantes et la Loire-Atlantique".
Dans la tribune : "Avec Christian Fouchet, pour l'Avenir du Peuple Français", publiée par France-Soir en août 2020, j'ai eu l'occasion de décrire le "bout de chemin" que j'ai effectué avec cet homme, présent à Londres le 17 juin 1940 et qui - à 28 ans - a été l'un des "huit premiers soldats français" à rejoindre le général de Gaulle dans la glorieuse épopée de la France Libre, dès le 19 juin. Refusant l'armistice, ils avaient pu monter à bord d'un avion de la Royal Air Force, décollant de Mérignac en direction de Londres. Pour le cinquantième anniversaire de sa disparition, je souhaite rendre au compagnon du général de Gaulle, "pendant trente années", cet hommage que j'ai eu grand plaisir à écrire, et qui est la marque de ma reconnaissance.
Quelques jours avant son décès, je suis à Paris pour motif professionnel. J'ai pris soin d'emmener dans mon bagage les deux livres des "Mémoires d'hier et de demain" de Christian Fouchet : "Au service du général de Gaulle", et "Les lauriers sont coupés". Logeant à quelques encablures de la rue Piccini (dans le haut de l'avenue Foch), où Christian Fouchet avait son bureau, je me proposais de lui demander de me dédicacer ses Mémoires. Nous sommes début août 1974, en une belle fin d'après-midi d'été. J'arrive à son bureau, et sa secrétaire, Madame Gouineau, me dit : "Le ministre est parti en vacances à Evian".
Il décède quelques jours plus tard et, de Genève, je reçois alors plusieurs lettres enflammées d'un collaborateur des Nations Unies, qui venait de rencontrer Christian Fouchet à plusieurs reprises. Ce correspondant, à la conviction gaulliste très affirmée, me disait que l'ancien ministre du Général comptait sur moi, et que je devais aller présenter ma candidature dans sa circonscription en Lorraine. Demeurant à Nantes, l'idée me sembla irréalisable. Les élus locaux et les militants ne m'attendaient évidemment pas.
Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Quelques semaines auparavant, j'avais publié en ma qualité de Délégué départemental du mouvement créé par Christian Fouchet, dans "Le Monde" du 13 juin 1974, un article intitulé : "A l'encontre des institutions". C'était une réponse à M. Giscard d'Estaing qui, sitôt élu président de la République, avait évoqué - dans un message au Parlement - "la nécessité d'une nouvelle invention de système politique", en somme une remise en cause de la Ve République, confirmant les craintes du général de Gaulle : "quelques révisions opérées par la voie parlementaire remettraient les partis sans secousse en complète possession de la République". M. Giscard d'Estaing déclarait : "Il ne faut pas que ces Congrès apparaissent comme quelque chose d'exceptionnel, mais comme une procédure très normale". On le vérifia par la suite, le recours au peuple par la voie du référendum n'était pas sa tasse de thé !
CHARLES DE GAULLE SE CONFIE A SON BEAU-FRERE
Mon premier mouvement était donc de solliciter de Christian Fouchet une dédicace. Mais j'entendais surtout l'interroger au sujet d'un renvoi au bas de la page 54 des "Lauriers sont coupés", délibérément effectué par l'auteur pour être mieux lu - il me l'avait confié - et consacré à cette confidence que lui avait faite le beau-frère de Charles de Gaulle : "Jacques Vendroux - explique Christian Fouchet - m'a confirmé ce que je savais déjà depuis longtemps, en m'incitant, par lettre du 27 mars 1969, à me situer : "...dans la perspective de ce "comportement" préparatoire à l'avenir auquel vous vous souvenez peut-être que j'avais fait allusion, une première fois il y a six ou sept ans, et une seconde fois après l'élection présidentielle de 1965, à propos de cette réflexion du Général vous situant comme l'un des hommes les plus qualifiés parmi les trois ou quatre susceptibles de lui succéder un jour".
Je pensais bien sûr à ses anciens Premiers ministres, dans l'ordre chronologique : Michel Debré, Georges Pompidou, Maurice Couve de Murville, ou à l'inamovible président de l'Assemblée nationale des débuts de la Vème République : Jacques Chaban-Delmas. Mais j'aurais aimé recueillir l'opinion de Christian Fouchet.
Le destin en a décidé autrement, et je suis très longtemps resté sur ma faim. J'en avais même fait mon deuil, quand récemment j'ai ressorti de ma bibliothèque le n° 45 de la revue de l'Institut Charles de Gaulle, "Espoir", paru en décembre 1983. Consacré à "Christian Fouchet 1911 - 1974", cet opuscule comporte une centaine de pages, dont j'ai dû prendre connaissance assez rapidement lors de sa parution, cumulant activité professionnelle dans le secteur privé et direction du Cabinet du maire de Nantes, le sénateur Michel Chauty, ancien résistant lui aussi.
Disposant désormais du temps requis, j'ai pu le lire intégralement, et mon attention a été appelée par un article d'Alain Bozel, intitulé : "Dernière lettre". Celle-ci débute par "Mon Cher Christian", et elle est écrite "comme toujours en pleine franchise, comme je l'ai fait si souvent". Dans ses Mémoires, Christian Fouchet consacre un chapitre à "La grande aventure du Rassemblement du Peuple Français", créé par De Gaulle en 1947 dans l'espoir de mettre un terme aux errements de la IVe République et du régime des partis. Il parle d'Alain Bozel qui "supporte sans faiblesse pendant quatre ans la charge effroyable de trésorier du RPF", et livre cette information majeure : "c'est Alain Bozel qui, le 8 août 1946, à Colombey, avait suggéré au Général l'idée de prendre la tête d'un mouvement politique le mettant au-dessus des partis".
"LE PLUS DIGNE DE LUI SUCCEDER"
Dans sa "Dernière lettre", Alain Bozel retrace la carrière de Christian Fouchet, souligne son "sens aigu de l'honneur, du devoir naturellement, de la grandeur aussi, comme le Général". Il évoque son "caractère altier" qui "a plu au Général", qui avait pour Christian Fouchet "la tendresse spéciale qu'il réservait au fond de lui à ceux de Londres".
"Mais il y a davantage, relate Alain Bozel. Il y a ceci qui fut longtemps notre secret. J'ai eu à une époque - comme beaucoup le savent - accès à l'intimité du Général". Et, d'un coup, l'auteur fait cette révélation : "J'ai donc appris - pendant une période où il était dans l'incertitude sur son désir de renouvellement de son mandat, et où il réfléchissait sur celui qu'il considérait le plus digne de lui succéder - que, des trois candidats entre lesquels il hésitait, il avait fixé son choix sur vous". Alain Bozel poursuit : "Malgré la confidence, en raison de l'importance de ce choix pour vous et pour tout votre comportement, j'avais décidé de vous avertir. Peut-être aussi, me disais-je, le Général, sans le dire, désirait cette indiscrétion".
L'auteur de cette lettre posthume décrit alors la métamorphose de son ami : "Vous en avez évidemment ressenti une joie et une fierté profondes. Celles-ci ne vous ont jamais quitté. Ce choix du Général, qui vous estimait donc alors assez pour penser que c'était à vous qu'il fallait éventuellement confier la France, a depuis marqué toute votre vie. Vous n'étiez plus comme les autres".
Pour autant, Christian Fouchet n'a jamais été en mesure de recevoir l'onction du suffrage universel. Un mois, jour pour jour, après la lettre de Jacques Vendroux, le général de Gaulle était défait lors du référendum du 27 avril 1969. Même si le peuple français lui avait donné une majorité plus que confortable aux élections législatives des 23 et 30 juin 1968, consécutives à la dissolution de l'Assemblée nationale, De Gaulle avait estimé qu'après les évènements de mai 1968, il s'agissait des "élections de la trouille", et il avait voulu s'assurer de la confiance du peuple, vérifier la légitimité de son pouvoir, tout en engageant le pays dans la voie de la participation. Le "oui" au référendum ne recueillant que 47,6 % des suffrages exprimés, il quitte immédiatement l'Elysée, montrant définitivement qu'il avait "choisi la démocratie et la République" et laissant le plus beau des exemples.
Georges Pompidou avait déjà fait acte de candidature à sa succession, dans une déclaration publique à Rome, le 17 janvier 1969, qui avait amené De Gaulle à réagir par un communiqué donné à la presse à l'issue du Conseil des ministres du 22 janvier 1969 : "Dans l'accomplissement de la tâche nationale qui m'incombe, j'ai été, le 19 décembre 1965, réélu président de la République pour sept ans par le peuple français. J'ai le devoir et l'intention de remplir ce mandat jusqu'à son terme". Avec le soutien de l'UDR, le parti gaulliste de l'époque, et de son groupe parlementaire, Georges Pompidou succède à Charles de Gaulle le 15 juin 1969.
DANS L'IMPOSSIBILITE DE DEFENDRE SA CONCEPTION DE L'INTERET NATIONAL
En 1971, Christian Fouchet quitte l'UDR pour des raisons de moralité politique. Les premiers scandales éclatent et jettent l'opprobre sur la vie publique de notre pays. Christian Fouchet raconte : après un article paru dans "L'Est Républicain", "toutes les radios, les chaînes de télévision, les journaux se sont précipités" dans sa circonscription de Meurthe et Moselle ; "Pensez donc, je disais une chose extraordinaire : il faut être honnête !". Il devient député non-inscrit. Ayant créé le "Mouvement pour l'Avenir du Peuple Français", Christian Fouchet se porte candidat à l'élection présidentielle organisée après le décès de Georges Pompidou le 2 avril 1974. Constatant qu'"un homme entièrement libre de toute attache, partisane et financière, mais en conséquence sans appareil et sans moyens, ne peut pas défendre dans des conditions suffisantes sa conception de l'intérêt national et de la vérité nationale", il est contraint de se désister "avec résolution et non sans émotion" en faveur de Jacques Chaban-Delmas, qui ne put empêcher l'élection de Valéry Giscard d'Estaing. Incontestablement, une page se tournait.
S'adressant à son ami, Alain Bozel lui écrit encore : "Vous êtes sûrement heureux Christian, que ce soit moi - qui vous avais informé - qui fasse cette dernière révélation, que fort peu ont connue". Pour cette raison, et quatre décennies plus tard, le plus bel hommage qui puisse être rendu à Christian Fouchet, c'est de faire connaître la destinée éminente à laquelle le vouait celui qui disait : " Fouchet n'est pas un compagnon, c'est un ami".
Alain Bozel termine sa missive en évoquant - déjà ! - "la lente déformation et l'utilisation équivoque de la pensée du Général" qui "causeraient aujourd'hui un cruel chagrin" à son "Cher Christian".
Nous étions en décembre 1983.
Que n'écrirait-il, en cet été 2024, où la République n'a plus de Ve que le numéro. Les Françaises et les Français ont sous les yeux l'apparence de la Ve République et la réalité de la IVe. Si "le retour à la pratique des assassinats du sérail et des marchandages du Temple", j'emprunte ces mots à Christian Fouchet, fait le miel des commentateurs - qui ne sont certes pas à la recherche de grain à moudre, tant la matière est abondante ! - il suscite en revanche l'indignation du peuple, qui se demande avec inquiétude où va la France.
Alain Tranchant,
Ancien Délégué pour la Loire-Atlantique du Mouvement pour l'Avenir du Peuple Français
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