"Don’t look up" : un film satirique sans l’ombre ricanante et jubilatoire de la satire
CRITIQUE — Don't look up d'Adam McKay est un film catastrophe satirique. Adam McKay est le réalisateur d’Anchorman (1 et 2), de Talladega Nights et de The Big Short (Le casse du siècle, 2015) sur la crise des subprimes de 2008, puis Vice (2018), portrait de Dick Cheney, le vice-président de Georges Bush.
L'antithèse de la série Black Mirror
L’intrigue de Don’t look up (« ne regardez pas en haut ») est simple. Deux scientifiques, Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) et Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) découvrent une comète de dix kilomètres de diamètre se dirigeant vers la Terre. L’impact, prévu dans six mois et 14 jours, anéantirait l’espèce humaine. La NASA confirme leurs calculs. Les deux scientifiques, accompagnés du directeur du centre de Défense planétaire de la NASA, Dr Teddy Oglethorpe (Rob Morgan), décident d'alerter l’humanité et se heurtent aux pouvoirs politiques et médiatiques : la Maison-Blanche, dirigée par la présidente Janie Orlean (Merryl Streep), une espèce de Trump féminisé, et son fils, Jason, directeur de cabinet (Johan Hill), les journalistes Brie Evantee (Cate Blanchett) et Jack Bremmer (Tyler Perry), co-présentateurs du premier "talk-show" du pays, The Daily Rip, les deux principaux influenceurs/pop star (Ariana Grande et Kid Cudi) et le prestigieux New York Herald.
Cette production Netflix est l'antithèse de la série Black Mirror en prenant l’option satirique. La satire est un récit qui s'attaque à quelque chose en s'en moquant. Elle emploie divers procédés, dont celui d'exagérer une situation réelle au point qu'elle en devienne ridicule ou grotesque. Sauf qu'ici, il n'y a pas de situation réelle ou crédible sur laquelle le spectateur pourrait s’appuyer. Au fond, le plus intéressant du film est extra-cinématographique, c’est-à-dire comment parvient-il à éliminer ou à ne pas traiter les éléments satiriques qu’il propose en apparence pourtant aux spectateurs comme divertissement alléchant. Autrement dit, une satire exsangue de ses fondements.
« Tout est surfait et appuyé »
Le potentiel d'un tel film est ruiné par sa mise en scène « déglinguée », faite de plans rapides, à la sauvette comme pris sur le vif (caméra à l'épaule avec montage serré), sans subtilité et clinquante, une construction prévisible et sans tension avec des personnages caricaturaux et manichéens. Tout est surfait et appuyé.
Si le film aborde une menace naturelle, voire la crise climatique, on n’a pas manqué d’établir le parallèle aisé avec le microscopique Coronavirus, inversement proportionnel à la taille d'une comète. Le renversement est patent. Si les élites de la fiction nient grossièrement l’arrivée d’une telle collision, argument peu crédible vu son ampleur ; les États réels et les médias grand public approuvent et jouent d’une propagande massive envers une pandémie qui serait à l’égal d’un film catastrophe. Quel est alors le propos du film ? Les élites dirigeantes seraient-elles aveuglées et ne verraient pas le réel ? Mais lequel ? Car le film ne montre jamais les soubassements d’un tel déni.
Si l'accusation des élites dirigeantes, des médias et du pouvoir économique est attendue, elle est surtout loin d’être subtile. Il fallait faire l’inverse, en quelque sorte, pour lui donner un vrai contenu subversif, rendre les personnages crédibles et réalistes, et montrer leur côté irrationnel et bouffon (même en forçant le trait) afin de créer un décalage dans les situations et leurs prises de position. Là, elle est tellement outrée et déconnectée que l’on ne peut pas la prendre ni au « sérieux » ni même d’une façon risible ou comique.
Un "talk-show" à défilement continu
On a l’impression qu’à la Maison blanche, tous les dirigeants sont dans un "talk-show" à défilement continu (à l’égal du film dans sa forme) sans se préoccuper le moins du monde des affaires du pays. Toutes les relations de pouvoir politique et économique sont passées à la trappe et la subversion satirique est du même coup inexistante. La critique des réseaux sociaux est superficielle. Seule surnage la figure du milliardaire de la Silicon Valley, Peter Isherwell (Mark Rylance), le créateur de l'entreprise technologique Bash Cellular (hybride entre Steve Jobs, Bill Gates et Mark Zuckerberg). Les doutes que Randall Mindy expriment à l'égard de sa technologie sont ridiculisés par les algorithmes surpuissants de Peter Isherwell, qui peuvent prédire la mort des individus et en ce qui concerne Mindy, par un « Ce sera seul, complètement seul ».
À cela, le film ne joue d’aucune dialectique réelle afin de créer une tension chez le spectateur dans les éléments présentés. C’est le défaut majeur de cette production qui agite de grosses ficelles scénaristiques sans jamais approfondir son propos. On est loin dans un autre genre de la force dramatique de Network (1976) de Sidney Lumet ou même de Quiz Show (1994) de Robert Redford. La plupart des personnages sont tracés à gros traits, monolithiques comme pour dire au spectateur : « Tout cela n’est pas très sérieux ». Le seul retournement de situation est celui de Mindy, notamment sa liaison avec la vedette de télévision, Brie Evantee : il est un temps coopté par le système, renie ses collègues, se scinde de sa famille et accepte de faire la propagande du gouvernement avant de retourner sa veste une seconde fois avec une facilité déconcertante où à l’antenne, il hurle à côté des deux présentateurs (dont sa maîtresse) en décrivant la comète en train de fondre sur la Terre. Le film n’explicite jamais de tels revirements qui s’opèrent en un clin d’œil. Il eut été au contraire intéressant que l’un d’entre eux bascule réellement.
Un orchestre vermoulu de bons sentiments : un "happy ending" inversé
Don’t look up n’évite pas non plus la bluette entre Kate, devenue caissière dans une supérette, avec Yule (Timothée Chalamet), jeune à la mode, venu avec ses camarades. Plus tard, dans une voiture, Yule déclare son amour publiquement à Kate et lui propose de se fiancer, ce qu'elle accepte bien évidemment en souriant. Tout cela est éculé.
Comme dans tout bon film hollywoodien passablement guimauve, Randall revient chez lui et demande pardon à son épouse qui accepte avec une largesse de cœur aussi vaste qu’une piscine de sirop grenadine. Tout le petit groupe finit autour de la table de la maison des Mindy. Étant donné que la comète arrive et se fracasse sur la Terre (la mission Bash a échoué), les convives acceptent de mourir impassibles en dégustant une tarte aux pommes et en parlant de la qualité du café qu'ils boivent sans tenir compte du désastre. Situation improbable. Randall prononce une dernière phrase : « Quand on y réfléchit, on avait vraiment tout, n'est-ce pas ? » Mindy avait préféré rester avec ses amis en refusant auparavant de se joindre à l’appel de la présidente pour s’enfuir avec elle et quelques milliardaires dans un vaisseau spatial équipé de capsules cryogéniques affrété clandestinement. Tout cela sent l’orchestre vermoulu des bons sentiments et l’on ne fait pas plus un bon film qu’un bon roman avec eux. Le "happy end" est juste inversé.
La fin « dystopique » laisse les « méchants » presque sains et saufs lors d’une séquence pendant le générique, où la présidente des États-Unis, sortant du vaisseau spatial sur une planète des milliers d’années plus tard, sera « croquée » par un brontéroc, seule prédiction juste (et irréaliste) de Peter Isherwell.
Finalement, Don’t look up est un film satirique sans l’ombre ricanante et jubilatoire de la satire.
Yannick Rolandeau est cinéaste et écrivain, auteur de trois essais sur le cinéma : Le cinéma de Woody Allen, Nouvelle vague, essai critique d'un mythe cinématographique, et Quentin Tarantino ou le crépuscule de l'image (l'Harmattan). Il a monté et anime une chaîne YouTube d'analyses et critiques de grands films.
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