Il y a 60 ans, de Gaulle en Vendée


En écrivant ces lignes, j'ai sous les yeux une page spéciale du journal Presse-Océan publiée le 9 novembre 1995, à l'occasion du 25ᵉ anniversaire de la mort du général de Gaulle. On y voit une photo du Général, debout dans une voiture découverte remontant la rue du maréchal Joffre à La Roche sur Yon.
Sous la photo, cette légende : "Les 19 et 20 mai 1965, le général de Gaulle ici à La Roche sur Yon effectue son 4ᵉ voyage en Vendée. Quelques jours auparavant, le démantèlement d'un réseau de l'O.A.S. avait fait avorter un attentat à la bombe projeté à Ste-Hermine devant le monument de Clemenceau".
30 ans après cette publication de Presse-Océan, et 60 ans après la dernière venue en Vendée du général de Gaulle, la photo comme le commentaire réveillent en moi des souvenirs particulièrement vivaces.
Étant donné les attentats déjà perpétrés à l'endroit du général de Gaulle et celui qui venait d'être déjoué à Sainte-Hermine, ma mère à qui je m'étais ouvert de mon idée d'"aller voir De Gaulle" m'en avait dissuadé, au motif également que des mouvements de foule étaient toujours possibles et incontrôlables.
En dépit de cette mise en garde, je suis allé "voir De Gaulle" et, ce 19 mai 1965 en fin d'après-midi, j'ai vu le Général dans le haut de la rue Joffre, très exactement à l'endroit où il est pris en photo. Je me suis rendu aussitôt, cent mètres plus loin, sur la place Napoléon (fondateur de la ville), où le premier président de la Ve République allait prononcer une allocution, suivie de la Marseillaise.
De Gaulle se rendit ensuite à pied à la Préfecture en traversant la foule, empruntant d'abord la rue Georges Clemenceau, puis la rue Jean Jaurès.
De mon côté, je me dirigeai vers la rue De Gaulle - précisément ! - pour retrouver le domicile familial, m'arrêtant au passage devant le car de Paris Inter (France Inter aujourd'hui), stationné devant l'église Saint Louis. Un certain Jean-Pierre Elkabbach "couvrait" le déplacement du chef de l'État en Vendée.
Le lendemain 20 mai, à la lecture - matinale - du journal Ouest-France, je découvris que le général de Gaulle avait passé la nuit à la Préfecture et qu'il devait quitter le chef-lieu dans la matinée pour se rendre à Fontenay le Comte.
Je pris aussitôt mon vélo pour me rendre à la Préfecture. Et, là, je vis le grand homme, dans tous les sens du terme, sortir de la Préfecture, vêtu d'un costume croisé gris foncé et portant de grosses lunettes.
À peine avait-il quitté le bâtiment que, dans la cour d'honneur de la Préfecture, il remisa ses lunettes dans la poche de son veston, traversa la rue et alla au-devant des personnes qui l'attendaient. J'ai pu lui serrer la main droite, puis la main gauche, surpris d'ailleurs par la finesse de ses mains. Le général de Gaulle disait simplement : "Merci, merci".
J'avais 16 ans. Je ne savais pas que, trois ans et demi plus tard, je deviendrais Délégué départemental pour la Vendée de l'Union des Jeunes pour le Progrès (U.J.P.), la formation des jeunes gaullistes.
À chaque fois que je passe devant cette Préfecture, je revois le général de Gaulle quitter les lieux. Cette image est gravée, à jamais, dans ma mémoire. C'était il y a 60 ans ! Mais, dans ma tête, c'est hier ! Inoubliables souvenirs pour qui est entré en gaullisme et a connu la chaleur humaine de ce compagnonnage !
Dans ses Mémoires d'espoir, le général de Gaulle écrira qu'il entendait, par ses déplacements en province, qu'"un lien vivant s'établisse" entre les Français et lui, de sorte que "dans chacune de ses contrées, notre pays se donne ainsi à lui-même la preuve spectaculaire de son unité retrouvée".
À mes yeux, ce qui distinguait le général de Gaulle des autres hommes qui paraissaient sur la scène publique, c'est qu'il ne parlait pas comme eux, qu'il ne flattait pas les intérêts particuliers, et que seul comptait pour lui "l'intérêt supérieur de la nation".
Quelques années plus tard, le 19 avril 1970, à quelques mètres de l'endroit même où j'ai serré la main du général de Gaulle, un individu armé d'une carabine 22 long rifle est venu, à la tombée de la nuit, délibérément abattre le policier en faction devant la Préfecture. Entré dans la France libre à l'âge de 17 ans, il n'avait que le tort d'être là au mauvais moment.
Dans les minutes qui ont suivi ce geste insensé, j'ai croisé l'auteur du coup de feu mortel quelques centaines de mètres plus loin, dans la rue des Halles. C'était un dimanche soir, à l'heure du film diffusé par la télévision (21 heures, 21 heures 30). La rue était déserte et, dans mon souvenir, déjà éclairée.
L'homme était plutôt bien habillé : pantalon gris, chemise blanche, blazer bleu marine. Je vis le canon d'une arme dépasser sous sa veste. Interloqué, je croisai son regard, puis me retournai vers lui à deux ou trois reprises. Il fit de même. En-dehors de ce geste, aucun signe de nervosité ne ressortait de sa personne. Je crus qu'il s'agissait d'un membre d'un club de tir qui rentrait chez lui.
Ramené par ma sœur et mon beau-frère en voiture à Nantes vers 23 heures 30, nous sommes surpris de voir des contrôles de gendarmerie, avec des herses sur la route, aux Sorinières, à l'entrée de l'agglomération nantaise. En ce temps-là, il n'y avait pas d'autoroute. Mais je n'établis pas de lien avec ma "rencontre" du soir au chef-lieu vendéen. Ce n'est que le lundi, dans la matinée, que j'appris par le fils du procureur de la République de La Roche sur Yon, étudiant en Droit comme moi-même, que j'avais vraisemblablement croisé le criminel.
Seul témoin oculaire aux dires des policiers, même si des gens avaient entendu des coups de feu, je donnai dans l'après-midi mon témoignage par téléphone aux policiers yonnais depuis un Commissariat de Nantes, et rentrai à la Roche sur Yon en train le mardi midi, afin d'y signer ma déposition. Face à la gare SNCF, un véhicule de police était stationné. Plutôt que d'aller au Commissariat, je m'y rendis et j'appris ainsi que le criminel s'était suicidé dans la chambre qu'il occupait sur un boulevard de ceinture de la ville. On me proposa de le reconnaître. Il avait changé de vêtements, et déjà la mort avait produit son effet sur son visage. Je ne l'ai point reconnu. Mais il avait laissé un papier, où il signait son geste.
En toute logique, il aurait dû supprimer le témoin gênant que j'étais.
Comme, au vu et au su de ma famille et de mes compagnons, je venais de terminer une action de militantisme, la distribution dans les boîtes à lettres, pour un quartier du centre- ville, d'un petit journal issu de la Résistance : "La Vendée Libre", publication hebdomadaire de l'UDR (formation gaulliste de l'époque) dans laquelle j'écrivais régulièrement, que n'aurait-on dit et écrit ?
Hasards d'une vie ! Mais engagement sans aucune commune mesure, et strictement incomparable aux risques pris notamment par mon père, engagé à 20 ans dans les Forces Françaises de l'Intérieur (F.F.I.), et cela dans un maquis particulièrement exposé. "Honneur et Patrie", deux mots qui ont aujourd'hui beaucoup perdu de leur superbe.
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