Jean Rottner  : démission "surprise" d’un élu... pressé de rejoindre un cabinet de conseil privé

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FranceSoir
Publié le 02 janvier 2023 - 12:44
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Jean Rottner (LR)
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Photo RL /Cedric JACQUOT
Jean Rottner, président de la région Grand Est, a annoncé quitter la vie politique le 20 décembre 2022
Photo RL /Cedric JACQUOT

Jean Rottner, président Les Républicains (LR) de la région Grand-Est, quitte la vie politique. Dans un communiqué publié le 20 décembre 2022, il évoquait “des impératifs familiaux” pour justifier la fin de tous ses mandats. Très actif lors la crise sanitaire, favorable aux confinements, autoritaire sur le  port de masque et la vaccination, Rottner renonce à une présidence Grand-Estoise embourbée dans le projet d’autonomie de la région Alsace et marquée par des liens industriels controversés avec la Chine. Sa nomination à la direction du cabinet de conseil en immobilier “Réalités” a été annoncée le vendredi 30 décembre.

Dans un tweet inattendu publié sur son compte le mardi 20 décembre, Jean Rottner a annoncé démissionner de tous ses mandats politiques : “Cette décision mûrement réfléchie n’a pas été facile à prendre. Elle surprendra. Certainement. Elle sera commentée. Assurément”, expliquait-il, en évoquant “des impératifs familiaux”.   

Un élu aux mandats multiples, connu pour ses prises de position lors de la crise sanitaire    

Elu maire de Mulhouse en 2010, redevenu premier adjoint une fois élu président de la région Grand-Est en 2017, Jean Rottner assumait également depuis janvier 2021 la présidence de la “Grande Région” (l’instance de coopération transfrontalière qui regroupe la Sarre et la Rhénanie-Palatinat allemandes, la Wallonie belge, le Luxembourg et la région Grand-Est française). Médecin urgentiste de carrière, il s’est fait surtout connaître sur la scène politique nationale lors de la crise sanitaire de la Covid-19.  

Avec sa double casquette d’élu et de médecin, Rottner est intervenu de nombreuses fois dans les médias au sujet de la gestion de l’épidémie. En février 2020, la région Grand-Est avait été l'une des premières à être concernée par le virus avec un “cluster” de cas positifs à la suite d'un rassemblement de l’Eglise protestante évangéliste.   

Dans un article du journal Le Figaro paru le 15 mars 2020, la veille de la décision présidentielle du confinement généralisé en France, il a été le premier homme politique à alerter publiquement l’opinion publique à propos de la gravité du SARS-CoV 2 :  

En dehors de l'Alsace, je crois que les Français ne mesurent pas encore ce que cette crise sanitaire veut dire. C'est terrible. Des jeunes qu'il faut intuber de toute urgence, des personnes âgées balayées en quelques heures, des équipes médicales qui arrivent à saturation complète après 15 jours de mobilisation, des gens en pleurs, des plans nationaux, la peur pour soi et pour ses proches... Quand on est dedans, les choses sont extrêmement compliquées”, racontait-il.   

Un fervent soutien de la politique sanitaire du gouvernement  

Cette présentation anxiogène avait déjà été décrite par Rottner à Emmanuel Macron via un SMS envoyé début mars 2020 dans lequel il indiquait au président "qu'il y avait une distorsion entre ce que les gens entendaient de la parole publique officielle et ce qui était ressenti sur le terrain par les soignants". Et de préciser : "J'ai insisté sur le fait que cela n'allait pas être gérable longtemps".   

Interrogé par BFM TV le 21 avril 2020, il avait ensuite fermement exigé que les mesures de confinement soient appliquées de façon très stricte et en appelait à la responsabilité des Français . “Je vous en conjure, il faut que les Français comprennent aujourd'hui que ce que nous vivons ici à Mulhouse, à Colmar, à Strasbourg, en Moselle, dans les Vosges, cela va se produire partout si nous ne sommes pas responsables", alarmait-il avant d’ajouter, toujours avec un ton dramatique : “Vous savez, à force de faire le malin, on va être de vrais cons, parce qu'on va voir des gens autour de nous véritablement mourir. Nous sommes responsables de la vie des autres et ça, les Français ne le comprennent pas”.    

En plus de soutenir les mesures de confinement, l’ancien président de la région Grand-Est  a aussi ardemment défendu l’idée dans les médias d’imposer le port du masque en population générale : “Il faut massifier le port du masque, ça doit devenir normal”, avait-il expliqué lors d’une autre interview donnée à BFMTV, le 10 mai 2020.   

Rottner avait d’ailleurs lancé une commande au sein de sa région de 5 millions à la Chine en précisant qu’il fallait “arrêter maintenant avec cette doctrine qui dit que le masque ne sert à rien”. Ce n’était pas la première fois que l’élu faisait appel aux productions et services de l’industrie chinoise.  

Un mandat tourné vers la Chine  

En effet, le 17 décembre 2020, Jean Rottner saluait sur son compte Twitter la décision du géant des télécoms Huawei d’installer leur première usine de production hors du territoire de l’empire du Milieu, afin de produire des équipements pour la 5G.   

Le projet avait immédiatement suscité une levée de boucliers de tous les  bords politiques confondus, et en premier lieu  pour des raisons de sécurité nationale. La future usine de l’équipementier chinois devrait ouvrir courant 2023, à Brumath, à une vingtaine de kilomètres de Strasbourg. La proximité de sites militaires issus de la branche du renseignement de l’Armée de Terre près d'Haguenau avait interrogé. Un éventuel espionnage pouvait être sérieusement redouté par la France du fait de l’appartenance au Parti communiste chinois du fondateur de Huawei, Ren Zhengfei, par ailleurs ancien cadre de l'Armée populaire de Chine.   

Dès février 2020, l’administration de l’ancien président américain Donald Trump avait mis en avant ce type de risque d’espionnage pour le compte du gouvernement de Pékin. “Si nous ne comprenons pas la menace et ne réagissons pas, cela pourrait au bout du compte menacer ce qui est l’alliance militaire qui a eu le plus de succès dans l’histoire, l’OTAN”, avait réagi à l'époque Mark Esper, ancien ministre de la Défense des Etats-Unis. En mai 2019, le groupe chinois avait été placé sur liste noire, obligeant les entreprises américaines à se tourner vers d'autres fournisseurs pour construire leurs réseaux 5G.  

Aux arguments de sécurité nationale venaient également s’ajouter la question des Droits de l’Homme. En février 2021, les élus locaux d’une mairie récemment passée sous les couleurs écologistes avaient appelé Jean Rottner à faire machine arrière dans une lettre ouverte.   

Ces derniers l’enjoignaient à renoncer à l’implantation alsacienne de Huawei, accusée cette fois de participer à la répression des Ouïghours en Chine car spécifiquement mise en cause  pour son implication dans l’élaboration d’un système de reconnaissance faciale ciblant cette minorité ethnique.   

L’autonomie alsacienne : un caillou dans la chaussure du président de Région   

L'ancien maire de Mulhouse met surtout fin à une carrière politique placée sous le signe de la contradiction. L’homme politique alsacien avait fait campagne en 2014 sur le thème de l’indépendance de sa région natale.   

Le 20 juillet 2014, il avait lancé une pétition défendant l'Alsace contre le projet de grande région à l'Est de la France annoncé pour 2015 (qui s’étend maintenant de la Champagne aux rives du Rhin tout en passant par la Lorraine), estimant ce projet contraire à la cohérence des territoires et aux intérêts des populations et identités régionales.   

Mais une fois devenu président de la région Grand-Est le 20 octobre 2017, Rottner se pose alors en défenseur du projet qu’il a pourtant combattu, ce qui lui vaut encore à ce jour un certain nombre de critiques de la part de ses opposants politiques.  

En août 2018, il ne s'oppose pas non plus à la création de la  collectivité européenne d'Alsace (un regroupement des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin doté de compétences spécifiques en coopération transfrontalière avec l’Allemagne et la Suisse) alors que le président de cette nouvelle entité, Frédéric Bierry (LR), souhaitait un retour aux frontières d’avant la réforme de 2015 : “Il sera toujours plus facile pour nous de traverser le Rhin que les Vosges”, selon Frédéric Bierry.   

Une position que la majorité présidentielle partage également, puisqu’en novembre 2022, les députés du groupe Renaissance déposent une proposition de loi pour sortir l'Alsace du Grand-Est, faisant suite à celle déposée des députés du RN.  “Jean Rottner avait fait du Grand-Est son cheval de bataille mais des députés LR, sa famille politique, mais aussi des députés macronistes, sa famille de cœur, ont déposé plusieurs propositions de loi pour que l’Alsace redevienne une région de plein exercice. Or, Jean Rottner incarnait le Grand-Est”, analyse Laurent Jacobelli, président du groupe RN au conseil régional.  

Faut-il en conclure que les contradictions politiques du président de la Région Alsace ont fini par se retourner contre lui ?

Nomination à la tête du groupe "Réalités " : un risque de conflit d’intérêts  

Ce vendredi 30 décembre, le groupe Réalités, un cabinet de conseil et promoteur immobilier, annonce sa nomination à sa future direction régionale Grand-Est, bien que ce dernier ait motivé son départ de la vie politique pour des raisons familiales.  

Certains adversaires politiques ne se privent pas de dénoncer ce qu’ils perçoivent comme un manque de déontologie de la part du président de Région fraîchement démissionnaire. “Cette annonce vient un peu vite, ce qui laisse penser que c’était déjà conclu depuis un certain temps”, a jugé Eliane Romani, chef de file du groupe écologiste. M. Rottner “utilise le réseau qu’il a acquis dans ses fonctions publiques pour aller servir une organisation privée qui a des rapports avec les collectivités, c’est une définition du pantouflage”, a-t-elle ajouté. 

Il part avec une quantité importante de données territoriales”, s’est inquiété Christophe Choserot (Renaissance), membre du groupe centriste et maire de Maxéville (Meurthe-et-Moselle). “On était en pleine révision du SRADET (schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), il sait exactement quelles vont être les modifications de ce schéma, quels sont les atouts et les difficultés des territoires, ce n’est pas rien”, a-t-il ajouté. 

Le 6 septembre dernier, La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a néanmoins approuvé cette reconversion en rendant un avis “compatible avec réserves", dans lequel elle appelait Jean Rottner à “s’abstenir, dans le cadre de son activité privée, d’accomplir toute démarche auprès des élus et des agents de la région Grand-Est”.  

Une autre reconversion professionnelle n'aurait pas fait polémique : un retour pour ce médecin de carrière à l'hôpital. Là où ces derniers temps, l'on manque tellement de personnels. 

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